Flaubert m'étonne...

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angeloï
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Flaubert m'étonne...

Message par angeloï »

Extrait du premier chapitre de l'Education sentimentale de Flaubert :

Ce fut comme une apparition :

Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.

[...]

Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites.


Il y a plusieurs choses qui m'étonnent dans le passage en gras, à commencer par

cette splendeur de sa peau brune

Moi, j'aurais dit "une peau brune d'une telle splendeur" parce que je trouve choquante la juxtaposition de "cette" et de "sa".

Ensuite, mais là, c'est quelque chose que j'apprécie, il y a l'emploi de "séduction" au sens de "caractère de ce qui séduit". Aujourd'hui on dirait peut-être "séductivitude", pour parler comme madame Royal. Ici aussi je suis étonné de voir "la" et "sa" ensemble, quand j'aurais dit "une taille aussi séduisante".

Cette finesse des doigts que la lumière traversait me gêne pour la même raison que "cette splendeur de sa peau brune" : il me semble qu'il y a un excès de déterminants. J'aurais dit : "Des doigts aussi fins, au point qu'on avait l'impression que la lumière eût pu les traverser".

J'ai conscience que mes propres versions sont nettement moins belles que ce qu'a écrit le maître. Reste que j'ai du mal à me faire à ce type de construction : s'agit-il ici d'un mode d'expression typiquement littéraire ?
Invité

Message par Invité »

Angeloï, la recherche des figures de style de ce texte est un des classiques des cours de français :)

Je suis certaine qu'en cherchant la définition de la métaphore filée, vous trouverez les explications à vos questions .
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Chose amusante, je suis aussi en train de lire L’éducation sentimentale. On voit dans les notes que Maxime du Camp a quelquefois proposé des corrections à Flaubert, jugeant telle ou telle tournure incorrecte ; pas mal de ces corrections ont été négligées par Flaubert. Si ce dernier avait été un grand grammairien plus qu’un grand styliste, notre siècle n’en eût pas gardé la mémoire. C’est, entre autres, en osant des tournures inhabituelles qui sonnaient bien à son oreille (vous savez qu’il les gueulait pour en tester l’euphonie, la souplesse et la beauté) qu’il a produit des œuvres si intéressantes.

On trouve, en revanche, des traducteurs de latin dont l’expression est irréprochable si l’on ne tient pas compte de l’ennui de leur prose. Certains ont écrit des ouvrages personnels mais n’ont pas pour autant abordé nos époques.
Dernière modification par Klausinski le lun. 17 févr. 2014, 19:13, modifié 2 fois.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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angeloï
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Message par angeloï »

Voici un pastiche :

Jamais je n'avais goûté cette précision de sa traduction, la justesse de ses termes, cette perfection des métaphores qui chantaient sur la page blanche du manuscrit.
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