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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Jacques a écrit :
Jacques-André-Albert a écrit :Jacques, la thèse du dialecte francien à l'origine du français est très controversée aujourd'hui. Le français viendrait plutôt d'une langue pratiquée à la cour royale et dans l'administration.
Mais cette langue de la cour n'était-elle pas justement le dialecte de l'Île-de-France ?
Je cite cet extrait de la présentation qui accompagne le livre du linguiste Bernard Cerquiglini, La naissance du français :
« Contrairement aux idées reçues, il ne semble pas y avoir de promotion particulière du « francien », ce dialecte d'Île-de-France. Notre français ne vient pas d'un terroir mais de la littérature, il résulte du travail séculaire d'écriture. »

Je vous livre des extraits d'une conférence donnée en 1998 par ce même linguiste :

« Le mot francien n'est attesté nulle part au Moyen-Age, à la différence du picard ou du bourguignon. Et pour cause : il a été inventé par les grammairiens à la fin du XIXe siècle ; c'est une création de Gaston PARIS, en 1889 »

« Que penser du rayonnement supposé de l'Ile-de-France ?
Ce serait une région centrale, tempérée, aimable. Elle incarnerait le juste milieu (6). C'est le mythe d'une France centrale, équilibrée telle que Michelet et son école la décrit, et Paris serait le centre du centre.
Que dit l'histoire ? Certes, l'abbaye de Saint-Denis et l'Université de Paris dès le XIIe siècle exercent incontestablement un rayonnement, mais leur langue est le latin. D'autre part, la cour royale avant 1180 est rarement à Paris et les rois ne montrent aucun intérêt pour la littérature ; seuls les intéressent les récits à leur gloire, et en latin là encore. La littérature se fait ailleurs, en Normandie, en Champagne et plus tard en Picardie. Elle n'a aucun protecteur à Paris. Et on n'imagine pas un Chrétien de Troyes écrivant pour le compte de Marie de Champagne ou de Philippe d'Alsace comte de Flandre dans le dialecte de Paris ! Il faut attendre 1249 pour trouver le premier document politique parisien écrit en langue vulgaire, la première charte de Paris. »

« écrire, c'est s'adresser à des gens qu'on n'a pas en face de soi et dont il faut se faire comprendre. Dans un espace aux multiples dialectes, l'écrivain a recours à une langue commune artificielle susceptible d'être comprise ici et là. Et le "lecteur ordinaire" qui, lui, parle son dialecte picard ou bourguignon, est d'abord un auditeur ; en effet, on ne lit pas seul comme de nos jours ; on passe par le truchement d'un lecteur professionnel oral cette fois, qui s'adapte à son auditoire en interprétant le texte et en le rendant dans le dialecte du cru. »

« construire une langue nationale écrite qui n'est pas la parlure vivante enracinée dans une région ou celle d'un prince territorial ; cette langue écrite est le fruit d'une activité consciente des poètes, une langue non pas du terroir mais du bureau et du ... tiroir.
Et dans ces conditions, il faut parler non pas de l'origine, orale, géographique et politique mais de la naissance, écrite, historique et littéraire de la langue française. La langue nationale a été choisie, construite. »

En résumé :
- L'hypothèse du francien est née après la défaite de 1870, quand il a fallu s'affirmer face à la Prusse, en fondant le mythe d'un creuset central d'où serait née la France.
- Les premiers textes en langue vulgaire sont en picard, en champenois ou en normand, pas de trace de texte en francien.
- La langue française est une construction qui permet de s'adresser à tous, un « beau parler » qui s'impose petit à petit par l'écrit et l'usage de la cour et de l'administration, face aux dialectes parlés dans les campagnes, y compris celles de l'ïle-de-France.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Jacques
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Message par Jacques »

Donc, en résumé, ce prétendu francien qui s'impose à tout le pays, c'est un avant-goût du centralisme parisien qui veut que tout émane de la capitale et que celle-ci rayonne sur le pays.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Centralisme parisien, je ne sais pas. Pour moi le Parisien, au moins jusqu'à la seconde guerre mondiale, c'est la population de Paris, qui ne parle pas un français académique. Le français officiel est d'un né d'un sociolecte, c'est à dire d'un langage propre à une classe de la société, la cour et l'administration royales, et l'élite cultivée qui gravitait autour, qui n'a pas toujours été liée à Paris (le Val de Loire, plus tard Saint-Germain et Versailles), et au moyen âge, Paris est devenu un centre intellectuel important plus tard que Chartres, Rouen Troyes ou Arras.

Pour revenir sur le prétendu « francien », les enquêtes modernes réalisées sur le terrain (en particulier l'atlas linguistique de la France, réalisé au tout début du XXème siècle), montrent que certaines formes du français standard n'existent pas dans les patois d'Île de France, mais dans d'autres parties du domaine d'oïl :
– la finale en –ent de la troisième personne du pluriel sont en –ont dans les environs de Paris, la finale –ent existe en Normandie et en Ile-et-Vilaine.
– les futurs comportant -dr-, comme viendra ou voudra, se trouvent dans le midi, la Normandie, l'Oise et une partie de la Somme. Ailleurs, c'est vienra et voura.
– la finale –aient de l'imparfait et du conditionnel se trouve dans à peu près les mêmes régions, mais pas autour de Paris où on prononce –aint.

Voilà qui permet de tordre le cou à ce dialecte francien à l'origine du français standard, idée née d'un fantasme patriotique dans le dernier quart du dix-neuvième siècle.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Jacques
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Message par Jacques »

Jacques-André-Albert a écrit : Le français officiel est d'un né d'un sociolecte, c'est à dire d'un langage propre à une classe de la société, la cour et l'administration royales, et l'élite cultivée qui gravitait autour
Un peu comme pour le latin impérial d'une part, et le latin dit « vulgaire » que parlait le peuple.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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