« (Se) baser (sur) »

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Marco
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« (Se) baser (sur) »

Message par Marco »

J’ai toujours lu un peu partout qu’il fallait s’abstenir du verbe (se) baser (sur) et qu’il fallait le remplacer par (se) fonder (sur). Aujourd’hui, je m’interroge, justement, sur le bien-fondé de ce décret.

L’Académie dit :
BASER v. tr. XVe siècle, bassée, « fondée sur », en architecture ; rare avant le XVIIIe siècle. Dérivé de base.
MILIT. Installer dans une ou plusieurs bases. Baser des troupes sur divers points du territoire. La flotte basée dans le Pacifique, les unités basées aux frontières orientales. Ce verbe ne doit pas être employé au sens figuré. Il faut lui préférer Fonder, établir.
Pourquoi donc ? Littré me paraît plus lucide à ce propos (et contredit l’Académie) :
BASER

Fonder. Il n’est d’usage qu’au figuré. Baser un système sur des faits. Se baser, v. réfl. Se fonder C’est là-dessus qu’il se base.

Ce mot est un néologisme fort employé présentement, et qui n’a rien de condamnable en soi, puisque baser est formé par rapport à base comme fonder par rapport à fond, mais qui est peu utile, puisque baser ne diffère pas sensiblement de fonder. Il vaudra donc toujours mieux, en écrivant, se servir de fonder que de baser.
Mais là encore, le critère de l’inutilité est assez faible : les synonymes parfaits sont très rares, voire inexistants. Chaque mot évoque quelque chose de sensiblement différent, même si le sens est le même ; pouvoir disposer de synonymes pour éviter des répétitions me semble une richesse, et je m’insurge contre le bannissement de baser. ;)
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Jacques
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Message par Jacques »

Nous voici de nouveau face à cette question : quel comportement devons-nous adopter alors que deux autorités linguistiques formulent des avis contradictoires ?
– Bordas se fait l'écho de l'Académie et déconseille l'emploi dans le sens de fonder.
– Grevisse : L'Académie refuse cet emploi figuré qui a reçu la sanction de l'usage. Baser au sens figuré est entré en 1798 dans le Dictionnaire de l'Académie, mais il en a été exclu de l'édition de 1835. C'est de ce verbe que l'académicien Roger Collard disait : « S'il entre je sors ».
– Robert des difficultés : « C'est le type même du néologisme, » disait de lui le grammairien Féraud... en 1787, « contre lequel s'acharnent les puristes ».
Bien que ce verbe puisse être considéré comme une doublure inutile de fonder, il est depuis longtemps passé, en dépit de tous les interdits, dans la langue courante et même dans le lexique d'excellents écrivains qui l'emploient aujourd'hui sans hésitation (suivent des citations de Cocteau, Gide, Troyat). Littré ne condamnait pas ce verbe et F. Brunot l'acceptait carrément.

Je propose une interprétation personnelle de cet emploi figuré : quand on dit « je me base sur tel fait », je comprends « je prends tel fait comme base de mon raisonnement », ce qui légitimerait son utilisation, et je crois que c'est ainsi qu'il est perçu généralement.
Dernière modification par Jacques le lun. 12 mai 2008, 12:37, modifié 2 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Voici l'entrée de 1798 dans le Dictionnaire de l'Académie :
BASER v. a. qu'on emploie depuis quelque temps, et plus au figuré qu'au propre. Fonder, établir sur une base solide, donner une base. On doit baser un impôt sur la consommation habituelle. Ce système est basé sur des faits constans.
On l'emploie quelquefois avec le pronom personnel, au sens de Se fonder. Il faut, en matière de Gouvernement, se baser sur les verités démontrées, et non sur des opinions variables.
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JR
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Message par JR »

Je pense que la base, c'est l'élément stable, assuré, sur lequel repose le reste, dont dépend le reste.
Si on veut faire un parallèle avec "(se) fonder", il ne faut pas parler de fond, mais de fondation ou de fondement.
J'ai l'impression que fonder est plus littéraire, et que techniciens et scientifiques utilisent habituellement le mot base dans de nombreux domaines.
L’ignorance est mère de tous les maux.
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Jacques
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Message par Jacques »

Votre définition de la base (appelée aussi assiette) est un argument en faveur de cet emploi. Je vote pour.
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Jacques
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Message par Jacques »

J'avais oublié de citer Hanse : Cet emploi n'est ni récent ni rare, même dans la langue cultivée ou littéraire, et l'on doit le considérer comme correct.
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Marco
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Message par Marco »

Merci pour toutes ces précisions, Jacques. Il est tout de même étonnant que l’Académie n’accepte plus ce qu’elle acceptait dans une édition précédente de son dictionnaire… :roll:
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Jacques
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Message par Jacques »

Je crois que nous sommes nombreux à trouver cela surprenant, y compris les spécialistes que j'ai cités. En tout cas me voilà libéré d'un préjugé.
J'ai quand même une explication, donnée Par Pièges et difficultés de Larousse, qui rejoint d'ailleurs un point évoqué ci-dessus :
Admis par le Dictionnaire de l'Académie en 1798, baser devait être banni de l'édition de 1835, à la suite de la campagne menée par Royer-Collard pour la suppression de ce néologisme.
Larousse se montre assez réticent, et insiste sur le fait qu'il est superflu puisqu'il double inutilement fonder ou se fonder sur. Il ajoute que les bons auteurs ont soin de l'éviter, ce qui est encore contradictoire avec ce que démontre Robert. Il s'appuie sur l'avis de Littré, qui estime que « ce néologisme est peu utile, puisque baser ne diffère pas sensiblement de fonder. Il vaudra donc toujours mieux, en écrivant, se servir de fonder que de baser ».
Quoi qu'il en soit, comme nous l'avons souvent constaté ici, l'usage a force de loi et finit presque toujours par s'imposer. Si j'ai pris le pli de ne pas l'utiliser, je ne me sentirai plus coupable le jour où il m'échappera.
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