"Entrer" existe-t-il encore ?
"Entrer" existe-t-il encore ?
Dans "La Vie en fleur", Anatole France écrit :
"J'étais très malheureux au collège d'une façon à peu près constante, et je me promettais une grande joie de le quitter. Quand j'en sortis pour n'y plus rentrer, je fus déçu. "
Je soupire à la pensée que le sens du verbe "rentrer" tel qu'il est utilisé par ce grand écrivain s'est obscurci depuis que quasiment tout le monde s'est mis à l'utiliser à la place de "entrer".
Quand avons-nous entendu pour la dernière fois le verbe "rentrer" employé dans son vrai sens ? Et que doit-on dire aujourd'hui quand on veut dire "entrer de nouveau"? Ré-entrer, ré-rentrer ?
Quelle pitié...
"J'étais très malheureux au collège d'une façon à peu près constante, et je me promettais une grande joie de le quitter. Quand j'en sortis pour n'y plus rentrer, je fus déçu. "
Je soupire à la pensée que le sens du verbe "rentrer" tel qu'il est utilisé par ce grand écrivain s'est obscurci depuis que quasiment tout le monde s'est mis à l'utiliser à la place de "entrer".
Quand avons-nous entendu pour la dernière fois le verbe "rentrer" employé dans son vrai sens ? Et que doit-on dire aujourd'hui quand on veut dire "entrer de nouveau"? Ré-entrer, ré-rentrer ?
Quelle pitié...
- Dame Vérone
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Re: "Entrer" existe-t-il encore ?
C'est une très bonne idée de lire ou relire Anatole France. Son nom est tout spécialement associé à la "rentrée des classes", un texte qu'il était habituel de lire en classe au début de l'année scolaire.angeloï a écrit :Dans "La Vie en fleur", Anatole France écrit :
"J'étais très malheureux au collège d'une façon à peu près constante, et je me promettais une grande joie de le quitter. Quand j'en sortis pour n'y plus rentrer, je fus déçu. "
Je soupire à la pensée que le sens du verbe "rentrer" tel qu'il est utilisé par ce grand écrivain s'est obscurci depuis que quasiment tout le monde s'est mis à l'utiliser à la place de "entrer".
On dit toujours la rentrée des classes et non l'entrée des classes, vous l'aurez noté. Les petits nouveaux qui mettent leurs pieds à l'école pour la première fois sont quantité négligeable par rapport aux grands qui y retournent.
Certainement pas plus tard qu'hier quand je suis rentrée chez moi.angeloï a écrit : Quand avons-nous entendu pour la dernière fois le verbe "rentrer" employé dans son vrai sens ?
Il me semble qu'on utilise le verbe correctement à longueur de temps, car il est bien des lieux où nous sommes déjà allés et où nous rentrons donc, avec la bénédiction de l'Académie !
Dans d'autres cas, c'est vrai, on utilise "rentrer" là où "entrer" suffirait probablement. Mais vous-même, angeloï, quand avez-vous entendu pour la dernière fois le verbe enforcer ou enforcir, le verbe nifler, le verbe froigner, ou le verbe naquer ? N'utilisez-vous pas comme tout le monde renforcer, renifler, renfrogner ou renâcler ? C'est que le préfixe "re-" a deux significations : dans l'une, il indique la répétition, dans l'autre, il indique un simple renforcement de l'action, quelquefois à peine sensible (ralentir, raccourcir, remplir), notamment pour ce dernier cas quand le verbe simple commence par une voyelle : souvent alors le verbe primitif vieillit ou disparaît. C'est ce qui arrive à notre "entrer". "Rentrer" lui fait concurrence ; "entrer" n'a pas disparu, certes, mais le combat est rude.
- Dame Vérone
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Il faut remonter au latin. Réprouver n'a pas été formé en français sur prouver, mais vient du latin ecclésiastique reprobare qui a donné réprouver comme probare a donné prouver.Dame Vérone a écrit :Je me demande comment on fait le lien entre éprouver et réprouver, le premier est destiné à donner une preuve, l'autre à la rejeter; et non à prouver à nouveau.
En latin, le préfixe re indique normalement le mouvement en arrière : ce mouvement en arrière peut parfois conduire à défaire ce qui a été fait. "Re" a donc souvent un sens négatif qu'on trouve par exemple dans renoncer, révoquer, rejeter, récuser.
C'est ce sens négatif qui fait que, de probare, signifiant approuver, éprouver, a été tiré reprobare, réprouver.
Ce sens n'est pas non plus inconnu dans certains dérivés purement français, comme repousser, de pousser, où re indique bien le mouvement vers l'arrière.
Eh bien, derrière ses deux petites lettres, "re" recèle bien des significations.
Si l'on pense immédiatement -- et à tort exclusivement -- à la répétition, c'est que c'est le seul sens vivant du préfixe, qui permet de créer de nouveaux verbes sans ambiguïté.
Oui, mais comment faire pour dire "entrer de nouveau" si "rentrer" n'a plus son sens originel
Ralentir, remplir d'accord parce qu'il s'agit d'actions qui se font progressivement, par gestes successifs, mais entrer, à moins qu'il n'y ait un obstacle à vaincre ne nécessite pas de renforcement. Je continue de penser qu'on a tort de ne plus utiliser "entrer".
Supposons une phrase telle que "la fusée est rentrée dans l'atmosphère". A moins d'avoir le contexte, il est impossible de savoir s'il s'agit d'une simple entrée ou d'un retour.
Ralentir, remplir d'accord parce qu'il s'agit d'actions qui se font progressivement, par gestes successifs, mais entrer, à moins qu'il n'y ait un obstacle à vaincre ne nécessite pas de renforcement. Je continue de penser qu'on a tort de ne plus utiliser "entrer".
Supposons une phrase telle que "la fusée est rentrée dans l'atmosphère". A moins d'avoir le contexte, il est impossible de savoir s'il s'agit d'une simple entrée ou d'un retour.
- Manni-Gédéon
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Non, c'est re-rentrer.angeloï a écrit :Quand avons-nous entendu pour la dernière fois le verbe "rentrer" employé dans son vrai sens ? Et que doit-on dire aujourd'hui quand on veut dire "entrer de nouveau"? Ré-entrer, ré-rentrer ?
Chez nous, on dit doubler et les doubleurs. Ou du moins, on le disait à l'époque de ma scolarité.Dame Vérone a écrit :Les écoliers à la fin des vacances d'été disent : « Je rentre en telle classe » alors qu'ils rentrent dans leurs établissements en entrant dans leur nouvelle année, sauf pour les redoublants qui eux rentrent bien.
J'ai souvent entendu critiquer l'emploi du verbe redoubler, car doubler suffit pour dire qu'on refait son année. Redoubler reviendrait donc à tripler...
On dira qu'ici, le re a un effet de renforcement.
- Klausinski
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Vous venez de le dire ! Entrer de nouveau. :Dangeloï a écrit :Oui, mais comment faire pour dire "entrer de nouveau" si "rentrer" n'a plus son sens originel ?
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Il ne faut pas généraliser je pense. Nous devons pouvoir distinguer les cas où le préfixe donne l'idée de retour ou de répétition et les autres, par la logique et le bon sens. Rentrer a bien le sens d'entrer de nouveau dans un lieu où on a déjà séjourné, ou de revenir à son point de départ. Je vois mal qu'il puisse en être autrement. Le mauvais emploi de rentrer est précisément l'exemple type de l'usage impropre donné par les grammairiens.angeloï a écrit :Oui, mais comment faire pour dire "entrer de nouveau" si "rentrer" n'a plus son sens originel
Ralentir, remplir d'accord parce qu'il s'agit d'actions qui se font progressivement, par gestes successifs, mais entrer, à moins qu'il n'y ait un obstacle à vaincre ne nécessite pas de renforcement. Je continue de penser qu'on a tort de ne plus utiliser "entrer".
Supposons une phrase telle que "la fusée est rentrée dans l'atmosphère". A moins d'avoir le contexte, il est impossible de savoir s'il s'agit d'une simple entrée ou d'un retour.
Il est vrai qu'assez curieusement on dit « rentrer les récoltes » quand on les met à l'abri ; est-ce parce que l'opération a lieu tous les ans ?
Quant à la fusée, si elle rentre dans l'atmosphère c'est qu'elle en était d'abord sortie, alors que les météorites qui tombent sur la terre entrent dans l'atmosphère.
Et si une fusée martienne arrive un jour sur notre planète, elle y entrera aussi, dans cette atmosphère.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
- TSOS
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Juste un commentaire quant au préfixe re- dans sa valeur de renforcement de l'action: on peut noter qu'on retrouve parallèlement assez souvent cette idée en Allemand de manière exacte, et sous la forme du préfixe be-.
Comme dans
recouvrir>bedecken
renforcer>bestärken
remarquer>bemerken (et dans ce dernier exemple on remarque aussi la proximité des radicaux, en outre... )
et cætera...
Fin de ma remarque.
Comme dans
recouvrir>bedecken
renforcer>bestärken
remarquer>bemerken (et dans ce dernier exemple on remarque aussi la proximité des radicaux, en outre... )
et cætera...
Fin de ma remarque.
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D'ailleurs, des engins partis de la Terre sont déjà entrés dans les atmosphères de Mars, Vénus, etc.Jacques a écrit : Et si une fusée martienne arrive un jour sur notre planète, elle y entrera aussi, dans cette atmosphère.
Rentrer a aussi un sens de renforcement dans des expressions populaires telles que "leur rentrer dedans" (en situation d'affrontement : match, bagarre, guerre), "faire du rentre dedans" (faire la cour à une dame avec une insistance excessive) . . . je suppose qu'il peut y en avoir d'autres.
On en entend aussi un exemple caractéristique à la 222ième seconde (ou 3'42") du "plaidoyer pour ma terre" ( )
L’ignorance est mère de tous les maux.
François Rabelais
François Rabelais