Négations en chaîne...

André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :Je n'ai pas le temps ce matin d'approfondir plus mais je soumets à votre réflexion juste quelques citations :
Merci de vos recherches. Que serait-ce si vous aviez le temps !

1 - Je reviens sur votre première citation :
Réciproquement, il y a des exemples de l'emploi de ni au lieu de et dans les propositions affirmatives ; c'est qu'alors les mots unis par ni sont les restes d'une proposition négative, qu'il est facile de rétablir : La fortune y aurait plus de part que sa valeur ni sa conduite; c'est-à-dire, que sa valeur ni ta conduite s'y auraient de part.
S'il s'agit des restes d'une négative, on est en présence d'une anacoluthe, qui ne saurait me satisfaire. Par ailleurs l'auteur semble malheureusement se perdre dans sa tentative de supprimer cette dernière : que peut bien vouloir dire que sa valeur ni ta conduite s'y auraient de part ? Ce n'est pas sérieux. Ce le serait, je le crois, s'il nous proposait « La fortune y aurait plus de part que sa valeur ou sa conduite », mais alors l'impropriété de toute négation, en la circonstance, serait démontrée ! « La fortune y aurait plus de part que ne sauraient en avoir sa valeur ou sa conduite » serait sans doute pareillement envisageable, mais on aurait alors à faire, autant que je sache, à un « ne » explétif.

2 - Vous nous proposez cette autre citation : B. − Littér. [Dans des cont. dépendant d'un adv., d'un adj., d'un verbe ou d'un subst. dont le sens peut se ramener à celui d'une négation]Défense à tous de causer ni de quitter les rangs (Barrès,Colline insp., 1913, p.148). Cet homme enrageait littéralement de se trouver dans son tort, d'être dans l'impossibilité de recevoir, ni de se donner, un brevet de vertu (Camus,Chute, 1956, p.1483). En effet, CAMUS utilise probablement « ni » en pensant à quelque chose comme : Cet homme... n'avait pas la possibilité de... Les francophones de 2017 doivent-ils prendre sa formulation comme modèle ?

3 - Je lis sous votre premier lien ce qu'ils seraient probablement plus avisés de choisir comme règle : ... la conjonction ni ne se trouve jamais dans une proposition affirmative.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

André (G., R.) a écrit :Les francophones de 2017 doivent-ils prendre sa formulation comme modèle ?
Si les Francophones de 2017 écrivaient comme Camus, ce ne serait pas si mal à mon avis, mais au fond là n'est pas la question. Elle était simplement de savoir si la formulation proposée plus haut est correcte ou non. La réponse est clairement "oui", même s'il est tout à fait possible, et probablement plus courant, de formuler autrement la phrase.
Je n'ai pas grand chose à ajouter à la moisson de ce matin. Bien sûr, la licéité de la formule a été discutée, notamment au XIXe siècle, comme en témoignent ces deux extraits.
https://web.archive.org/web/20180309150 ... apture.png
https://books.google.fr/books?id=g3sCAA ... &q&f=false
https://web.archive.org/web/20180309150 ... pture1.png
https://books.google.fr/books?id=i7RHAQ ... &q&f=false

J'y ajoute un passage des Le Bidois, cité par Dupré et surtout un extrait de Hanse, qui est un grammairien moderne à qui je laisse le dernier mot.

https://web.archive.org/web/20180309150 ... oScan2.jpg

https://web.archive.org/web/20180309150 ... toScan.jpg
Dernière modification par Leclerc92 le dim. 09 avr. 2017, 20:43, modifié 1 fois.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

À chacun de se faire son opinion ! Les éléments de jugement sont là !
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Comme toujours, l'érudition de mes cotélépapoteurs ne cesse de m'étonner ! Comme d'ailleurs la politesse des échanges. :wink:
Dernière modification par Islwyn le lun. 10 avr. 2017, 18:51, modifié 1 fois.
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Claude
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Message par Claude »

Je partage votre avis et estime que vous en faites également partie. Comme disait Louis de Funès : « Ils m'épatent, ils m'épatent ! ».
Notre forum est un bel exemple à suivre ; Jacques en serait comblé.
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Astragal
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Message par Astragal »

La bonne citation est : « La fortune y aurait plus de part que sa valeur ni sa conduite ; c'est-à-dire, que sa valeur ni sa conduite n'y auraient de part. »
Le logiciel de reconnaissance optique de caractères n'a pas détecté correctement ces lettres.
C’est très bien. J’aurai tout manqué, même ma mort. (Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac)
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Merci Astragal pour votre vigilance. J'ai rectifié le message.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Faut-il reprendre le débat ? Celui qui propose cette phrase raisonne de manière totalement spécieuse. Pour démontrer la légitimité de « ni » dans le groupe nominal (sa valeur ni sa conduite), complément du comparatif (plus de part), il transforme ce groupe nominal en sujet d'une subordonnée complément du comparatif (que sa valeur ni sa conduite n'y auraient de part)... et oublie de se poser la question de savoir si « ni » est davantage justifié dans la subordonnée que dans le groupe nominal seul.
Ma réponse : non. En quoi une négation manquerait-elle dans « La fortune y aurait plus de part que sa valeur et sa conduite y auraient de part » ? La phrase est certes laide (elle appuie seulement la démonstration !), mais quels reproches peut-on faire à sa syntaxe ?
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Cette phrase était citée par l'auteur pour illustrer l'utilisation classique du "ni" dans les phrases comparatives ; c'est aussi ce que disait, de manière peut-être plus simple, l'Académie (également citée plus haut) : « Dans la langue classique, ni s'employait sans l'adverbe ne [...] après un comparatif :[...] Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, proverbe tiré de la fable de La Fontaine Le Lion et le Rat. »
Comme l'écrivaient les Le Bidois (également cités plus haut) : « C'est la négation implicite de l'échantil après "plus que" qui justifie le ni dans l'exemple cité. »
Autrement dit, ces auteurs admettent comme pensée implicite quelque chose comme "Ni la force ni la rage ne sont aussi efficaces que la patience et la longueur de temps".
Mais cet usage de "ni" dans les phrases comparatives est aujourd'hui pratiquement abandonné et je ne m'y risquerais pas. On écrit aujourd'hui exactement comme la phrase que vous proposez, cela n'est pas discuté.
Nous parlions plus haut d'une autre construction syntaxique qui, elle, n'est pas abandonnée aujourd'hui, même si elle n'est plus aussi courante et naturelle qu'à l'époque classique.


Au passage, c'était la première fois que je rencontrais le mot échantil, qui n'est pas dans le TLF mais est dans Littré.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

L'auteur de la phrase parle de « rétablir » une « proposition négative ». Comme je l'ai dit, il ne peut pas se satisfaire de transposer le « ni » initial dans la subordonnée pour justifier la proposition négative qu'il évoque. S'appuie-t-il sur « n' » ?
Si tel est le cas, il se trompe lourdement : ce « n' » est explétif. Quand je remplace « La maison du voisin a plus de fenêtres que la nôtre » par « La maison du voisin a plus de fenêtres que la nôtre n'en a », je ne nie rien du tout !
Notre maison a des fenêtres !
La valeur et la conduite ont leur part !
Il me paraît plus difficile de parler de « négation implicite » aujourd'hui que jadis.
Merci pour l'échantil !
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