Passé surcomposé

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Klausinski
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Passé surcomposé

Message par Klausinski »

Il m’est arrivé quelquefois d’entendre à la télévision des phrases telles que : « Après avoir eu pris mes médicaments, j’étais tout fou. », « J’ai eu apprécié cet homme. » J’ai naturellement pensé qu’il s’agissait d’une faute, et des plus hideuses, cette expression me meurtrissant l’oreille. Mais à force de voir ces gens insister, de voir aussi l’aplomb avec lequel ils employaient cette tournure, je me suis mis à douter. Et après avoir recherché un certain temps, je suis tombé sur cette intéressante page web : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/surcomp.html
Alors certes, ces temps étaient acceptés durant la période classique, mais aujourd’hui, ne vaudrait-il pas mieux rétablir l’emploi du passé simple et du passé antérieur plutôt que de passer par-dessus deux siècles et demi afin de reprendre un temps assez loin de bien sonner ? Avez-vous été choqué comme moi ? Avez-vous un avis différent ?
Dernière modification par Klausinski le mer. 20 déc. 2006, 18:38, modifié 3 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Moi je vois ces emplois comme saugrenus. Il n'y a pas de raison d'introduire un auxiliaire dans le passé composé, sauf avec avoir à qui a le sens d'être obligé, de devoir : J'ai déjà eu à prendre ce genre de médicament. Prendre se conjugue normalement sans auxiliaire : après avoir pris mes médicaments. Une autre tournure peut recourir au passé antérieur : après que j'eus pris. Sur le lien que vous donnez, l'exemple de surcomposition présente une construction différente.
Les explications de Robert sont un peu alambiquées et ne donnent pas une prise de position franche.
Ces tournures au demeurant assez obscures me font penser à cette manie de dire : il demande à ce que, de manière à ce que, qui sont lourdes et d'ailleurs condamnées, sans parler de « vous n'êtes pas sans savoir » qui cumule trois négations, et est si douteux que des quantités de gens le transforment en « vous n'êtes pas sans ignorer ». Il est tellement plus simple de dire vous n'ignorez pas ou vous ne pouvez pas ignorer.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

J'apprends quantité de choses à chacun de vos messages, Jacques. J'ignorais que "de manière à ce que" fût considéré comme lourd et ne savais pas non plus qu'on pût la remplacer par "de manière que". Merci donc et pour la réponse et pour le "bonus".
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Jacques
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Message par Jacques »

Klausinski a écrit :J'apprends quantité de choses à chacun de vos messages, Jacques. J'ignorais que "de manière à ce que" fût considéré comme lourd et ne savais pas non plus qu'on pût la remplacer par "de manière que". Merci donc et pour la réponse et pour le "bonus".
On ne peut pas, on doit : de façon que, de manière que. Heureux de pouvoir vous apprendre quelque chose.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

J'employais le verbe "pouvoir" car je me suis d'abord demandé s'il était possible de la remplacer par quoi que ce soit. Le TLF, que j'ai consulté suite à votre remarque, m'a donné la réponse.
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Marco
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Message par Marco »

Je ne condamnerais pas les temps surcomposés, qui font partie de la langue française. Employés déjà au moyen âge, puis introduits dans la langue littéraire au XVIIIème siècle, ils sont toujours vivants dans la langue parlée (en tout cas dans certaines zones). Grevisse en offre une pléthore d’exemples chez des écrivains comme Bossuet, Diderot, Dumas, Flaubert…, et il explique ceci :
Les temps surcomposés marquent des faits antérieurs et accomplis par rapport à des faits qui s’exprimeraient par les temps composés correspondants. (Le bon usage, 9ème édition, § 661)
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Je ne les condamne pas, je m'étonne qu'ils soient employés presque une fois toutes les deux phrases lorsqu'un passé antérieur, un simple passé composé ou un passé simple seraient préférables. De grands auteurs les ont employé (et de grands auteurs ont employé l'expression "malgré que") mais ils les ont employé avec modération et sans la moindre affectation. Je dois dire que cet emploi a commencé à me surprendre et à me perturber quand j'ai entendu certaines personnes l'employer à qui mieux mieux en s'en gargarisant presque, à la télévision. Peut-être est-ce parce que vous avez la sagesse de ne pas regarder les émissions dans lesquelles des gens parlent ainsi que la façon dont ce temps est employé ne vous a pas encore dérangé. (C'est peut être une question subjective mais ce temps me semble relever du patois. Le conseilleriez-vous à l'écrit, Marco ?)
Dernière modification par Klausinski le ven. 15 déc. 2006, 20:02, modifié 1 fois.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
myahoo

Message par myahoo »

On parle de moi ? Hé bé, ça eut payé :lol:
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Jacques
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Message par Jacques »

J'ai la même impression d'un parler patoisant. Et je suis toujours réticent. On peut dire par exemple : je suis parti quand j'ai eu fini. Mais je ne vois pas la nécessité de dire j'ai eu fini avant lui ou j'ai déjà eu vu cela autre part.
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Marco
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Message par Marco »

Klausinski a écrit :Je ne les condamne pas, je m'étonne qu'ils soient employés presque une fois toutes les deux phrases lorsqu'un passé antérieur, un simple passé composé ou un passé simple seraient préférables. De grands auteurs les ont employé (et de grands auteurs ont employé l'expression "malgré que") mais ils les ont employé avec modération et sans la moindre affectation. Je dois dire que cet emploi a commencé à me surprendre et à me perturber quand j'ai entendu certaines personnes l'employer à qui mieux mieux en s'en gargarisant presque, à la télévision. Peut-être est-ce parce que vous avez la sagesse de ne pas regarder les émissions dans lesquelles des gens parlent ainsi que la façon dont ce temps est employé ne vous a pas encore dérangé. (C'est peut être une question subjective mais ce temps me semble relever du patois. Le conseilleriez-vous à l'écrit, Marco ?)
Pourquoi pas ? Sans doute pas dans un texte formel, mais dans un texte littéraire, il me paraît conférer une saveur toute particulière… :D Dans cet exemple de Mauriac, par exemple, le passé surcomposé me semble efficace :
Comme elle a eu vite fait de ramasser toutes ses cartes et de se remettre au jeu ! (Le Feu sur la terre, p. 127, cité par Grevisse).
Bien sûr, il s’agit d’avoir pleine conscience des effets stylistiques et de ne pas abuser des richesses de la langue : la mesure est toujours bonne conseillère. :)
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Perkele
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Message par Perkele »

Le passé surcomposé est d'un emploi courant dans notre magnifique région, et je m'applique régulièrement à déculpabiliser ceux qui s'en excusent me disant qu'ils ne l'écriraient pas.

Comme l'a fait remarquer Jac, le son auquel sont habituées nos oreilles n'est pas toujours celui de la correction du langage.

Devrait-on par exemple - illogiquement - employer l'indicatif derrière "après que" sous prétexte qu'une partie de nos contemporains trouvent le subjonctif laid ?
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Jacques
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Message par Jacques »

Ce n'est pas une question de laideur, mais de logique grammaticale : le mode subjonctif est celui de la probabilité, de l'incertitude, et marque une éventualité ; c'est pourquoi on doit dire avant qu'il n'arrive car son arrivée est probable mais non certaine. Le mode indicatif est celui de la certitude ou du fait accompli. D'où son emploi dans : après qu'il fut parti. L'action est réalisée. On ne peut pas désigner une action accomplie par un mode de probabilité. Cette situation n'est pas toujours expliquée par les livres, qui se contentent d'énoncer la règle sans la justifier.
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Perkele
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Message par Perkele »

De même le passé surcomposé à une logique ; il exprime une nuance que n'exprime pas le temps composé :

Exemple :
Je l'ai fait = je l'ai terminé récemment et on en ressent les conséquences sur le présent.
Je l'ai eu fait = il m'est arrivé un jour de faire ce type d'action.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je crois quand même que ce type d'emploi est régional, car je ne l'entends pas dans la Région parisienne. Ce qui ne signifie pas que les Parisiens parlent mieux que les autres. Je crois que nous en avons déjà parlé (?) mais je suis revenu récemment sur cette manie à laquelle je n'ai jamais pu m'habituer, et qui est typiquement parisienne, de décaler les noms de repas. Pour moi il y en a trois : le déjeuner le matin, dîner à midi et souper le soir. Mais ici on déjeune à midi, on dîne le soir et on soupe après 22 heures. Ce qui oblige à parler de petit déjeuner pour le matin. Il y a bien soixante ans que j'ai découvert cette pratique saugrenue, et chaque fois je dois marquer un temps de réflexion pour savoir de quoi il s'agit. En Belgique et en Suisse, on parle selon ma logique énoncée au début.
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Perkele
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Message par Perkele »

Nous avons eu quelques rendez-vous manqués à des repas de famille, la mienne s'étalant largement sur le territoire français.

Dans le midi, nous nous surveillons pour dire "bien comme il faut" "déjeuner" à midi et "dîner" le soir quand nous parlons à du "beau monde" :wink:
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