Un sens bien oublié d'"entreprendre"

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angeloï
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Un sens bien oublié d'"entreprendre"

Message par angeloï »

Entreprendre qqn. Engager une discussion serrée pour l'amener à changer de point de vue, le convaincre :

1. Mais je ne sais pourquoi, monsieur le chevalier, c'est toujours moi que vous entreprenez, ni pourquoi je me laisse toujours entraîner où vous voulez. Vous m'avez essoufflé au pied de la lettre avec votre malheureux Locke. Pourquoi ne promenez-vous pas de même notre ami le sénateur?
J. DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. 1, 1821, p. 535.

2. L'ennemi, vers le milieu de 1915, décida de forcer tous les industriels à travailler pour lui. Fort adroitement, il entreprit les patrons isolément, l'un après l'autre, pour vaincre plus aisément les résistances.
VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 127.

Tenter de séduire :

3. ... je la rejoignis sur un divan de sa chambre, et c'est là qu'elle commença de m'entreprendre. Mon jeune ami... Vous permettez que je vous appelle ainsi, dit-elle, profitons vite de ce que nous voici tous deux seuls. (...) Et, tout en protestant qu'elle ne s'adressait qu'à mon âme ou à je ne sais quoi d'intérieur, elle ne laissait pas de porter ses mains à mon front, puis, ...
GIDE, Thésée, 1946, p. 1426.

Rare, concr. Harceler, attaquer :

4. Le taureau, de la droite, décocha un coup de corne qui frôla le jeune homme sans le toucher. Sur un signe d'Alban les péons l'entreprirent, le firent changer de place.
MONTHERLANT, Les Bestiaires, 1926, p. 539.
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angeloï
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Message par angeloï »

La cause de ce fil est l'affreux "lobbying" dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée.

Les patrons ont décidé d'entreprendre les parlementaires sur la question de la taxe carbone.

Au lieu de

Sur le front de la taxe carbone, le lobbying des patrons auprès des parlementaires a commencé.
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valiente
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Message par valiente »

Donc, pour tenter de convaincre quelqu'un : d'abord, on l'entreprend ; si cela ne réussit pas, on l'entreprend ; et en dernier recours, on peut l'entreprendre ! C'est ça ?
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Jacques
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Message par Jacques »

Je tique sur ce terme de « taxe carbone », alertement forgé par les responsables de haut niveau, qui me semble être, du point de vue syntaxique, du charabia dans le vent, abondant dans le langage moderne, où l'on parle aussi de test ADN, de murs bois, de kilomètres heure, de séances photos, de crème vanille, cuisson vapeur, etc.
Juste Ciel ! où sont passées les prépositions, parfois accompagnées d'articles définis ?
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques
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Message par Jacques »

Je ne suis pas surpris de cet usage du verbe entreprendre, qui était courant dans ma jeunesse, plus courant même de celui que j'ai appris plus tard, et qui signifie se lancer dans une opération.
Le sens premier de ce verbe en ancien français le justifie fort bien : attaquer, et, au sens figuré, interpeller. Par glissement de sens, il a aussi signifié figurément faire des avances, essayer de séduire.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Jacques a écrit :Par glissement de sens, il a aussi signifié figurément faire des avances, essayer de séduire.
On parle toujours dans ce cas de quelqu'un d'entreprenant.
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Perkele
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Message par Perkele »

Et un entrepreneur peut être entreprenant.

Ce qui ne l'empêche pas, non plus d'entreprendre un quidam qui lui fait concurrence.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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grumpythedwarf
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Message par grumpythedwarf »

Il y avait jadis un sens d'entreprendre:
-entreprendre sa femme- c-à-d la lutiner, que l'on rencontrait, je pense, dans Zola.
"Le cynisme est ce qui ressemble le plus à la clairvoyance". François Mauriac.
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JR
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Message par JR »

valiente a écrit :Donc, pour tenter de convaincre quelqu'un : d'abord, on l'entreprend ; si cela ne réussit pas, on l'entreprend ; et en dernier recours, on peut l'entreprendre ! C'est ça ?
Pourquoi dernier recours ?
Hors les diverses manières d'entreprendre, il y a le chantage, le meurtre, la corruption, et je peux en oublier : c'est aussi ça, le "lobbying" ! :lol:
L’ignorance est mère de tous les maux.
François Rabelais
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valiente
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Message par valiente »

Bien entendu, il s'agissait du dernier recours pour celui qui ne voulait qu'entreprendre.
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angeloï
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Message par angeloï »

Jacques a écrit :Je tique sur ce terme de « taxe carbone », alertement forgé par les responsables de haut niveau, qui me semble être, du point de vue syntaxique, du charabia dans le vent, abondant dans le langage moderne, où l'on parle aussi de test ADN, de murs bois, de kilomètres heure, de séances photos, de crème vanille, cuisson vapeur, etc.
Juste Ciel ! où sont passées les prépositions, parfois accompagnées d'articles définis ?
Mais que faites-vous, Jacques de "Hôtel-Dieu" ?
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Jacques
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Message par Jacques »

Les noms propres ne sont pas soumis aux règles de la grammaire. Remarquez en outre qu'il s'agit d'un nom composé avec trait d'union ; on peut supposer que ce dernier remplace une préposition qui a été supprimée (je n'affirme rien). On ne dira pas hôtel ville mais hôtel de ville, hôtel monnaie mais de la monnaie, hôtel passe, mais de passe.
De même on dit une séance de psychothérapie, d'hypnose, de maquillage, de cinéma, de culture physique, de relaxation, de massage. Alors pourquoi séance photo ?
Pour test ADN, on dit bien test de paternité, d'aptitude professionnelle, d'intelligence, d'endurance, de résistance ; donc on doit dire test d'ADN.
Dernière modification par Jacques le ven. 01 janv. 2010, 11:57, modifié 1 fois.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Jacques a écrit :Les noms propres ne sont pas soumis aux règles de la grammaire. Remarquez en outre qu'il s'agit d'un nom composé avec trait d'union ; on peut supposer que ce dernier remplace une préposition qui a été supprimée (je n'affirme rien).
Si, si, les noms propres sont soumis aux règles de la grammaire et de la syntaxe.
Il s'agit en fait d'une forme ancienne, courante en ancien français : le complément de nom n'était pas introduit par la préposition « de » ; on disait ainsi : le fiz sainte Marie, la fille ma mere, es bras mon ami, les noces le roi, le pié l'ermite, l'ermitage frere Ogrin. C'est cette construction qui a été figée dans Vic-le-Comte, Château-l'Évêque, Bourg-la-Reine, et aussi Hôtel-Dieu.
On avait aussi exceptionnellement en ancien français l'inversion : les noveles de la roi cort = les nouvelles de la cour du roi ; la Dieu ancele = la servante de Dieu.
Mais la construction avec la préposition de est apparue dès l'époque de l'ancien français.
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Jacques
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Message par Jacques »

Ce qui démontre qu'il y a bien faute dans ces expressions que j'ai dénoncées, et qui devraient être assorties de prépositions, voire de prépositions et articles.
Errare humanum est, je corrige : les noms propres ne sont pas soumis aux règles de l'orthographe.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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