accord du verbe

André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

De l'utilité des règles de grammaire.
On s'interrogeait au début de ce fil sur la correction d'une phrase comportant un verbe au singulier après un sujet pluriel. L'inverse se trouve aussi (dans mon journal) :
Une explosion suivie d'un incendie, dans une usine de feux d'artifice de la banlieue de Djakarta, la capitale indonésienne, ont fait au moins quarante-sept morts (mots mis en gras par moi).
Probablement l'auteur de cette phrase aura-t-il pensé, arrivant à sa fin, avoir écrit au début quelque chose comme « Une explosion et l'incendie qui s'en est suivi... ».
Leclerc92
Messages : 3923
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Message par Leclerc92 »

Oui, le singulier du verbe est nécessaire. Sans doute l'auteur a-t-il oublié le début de sa phrase ou a-t-il, un instant, cru pouvoir profiter de la règle souple qui s'applique quand on utilise des comparateurs d'égalité (comme, ainsi, aussi bien, autant, de même, non moins, non plus, pas plus) dans une phrase où le comparateur perd sa valeur comparative et est perçu comme une conjonction de coordination. Le pluriel est facultatif mais majoritaire :
il a la main ainsi que l'avant-bras tout brûlés
la façon dont sa fortune, ainsi que celle de son mari, avaient été gérées
le français ainsi que l'italien dérivent du latin
Pierre autant que Paul admirent Juliette
Pierre, non plus que Paul, ne manquaient jamais la messe
son caractère autant que ses habitudes nous paraissaient un danger
son père, pas plus que sa mère, ne s'occupaient de son secret
cet homme a le dos comme la nuque forts et musclés
ils sont bêtes, lui comme elle
le chien comme le chat sont des mammifères
le père comme le fils mangeaient de bon appétit
le thym comme le romarin poussent en Provence

http://gabrielwyler.com/page416.html

Le grammairien dans le lien cité poursuit :

« Souvent avec peut être remplacé par et quels que soient les termes coordonnés : le murmure des sources avec le hennissement des licornes se mêlent à leurs voix (Flaubert).
D'autres prépositions (comme auprès de) entraînent parfois l'emploi du pluriel.
Des compléments comme accompagné de, flanqué de, doublé de, appuyé au bras de, suivi de entraînent parfois l'emploi du pluriel. »
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Je ne sais plus comment j'avais lu votre intervention. Elle m'inspire, tardivement, quelques remarques, le grammairien que vous citez ne me paraissant pas sérieux.

Il propose une phrase pour laquelle même le plus laxiste de ses collègues n'imaginerait pas de ne pas utiliser le pluriel après « ils » : « Ils sont bêtes, lui comme elle ». Elle ne pourrait illustrer le sujet traité que sous la forme « Lui comme elle sont bêtes ».

À dire que le comparateur est parfois perçu « comme une conjonction de coordination », vous êtes (le grammairien est ?), je crois, en-dessous de la vérité pour certains exemples : « ainsi que » n'est, selon moi et aux yeux de la plupart des lexicologues, me semble-t-il, que locution conjonctive de coordination dans des phrases comme « Il a la main ainsi que l'avant-bras tout brûlés ». À qui l'idée viendrait-elle d'écrire sans virgules « Il a la main ainsi que l'avant-bras toute brûlée » ? « Ainsi que » reprendrait sa valeur de comparateur, au moins formellement, si l'on changeait l'ordre des mots : « Il a la main toute brûlée, ainsi que l'avant-bras ».

« Comme » et « autant que » me semblent pouvoir être considérés de la même façon. Je ne dirais peut-être pas la même chose de « non plus que » et « pas plus que », en particulier dans la phrase avec virgules « Pierre, non plus que Paul, ne manquaient jamais la messe », à laquelle je préfère « Pierre, non plus que Paul, ne manquait jamais la messe » (que notre grammairien n'exclut pas, heureusement).

Mais j'en viens à ce qui m'est le plus difficilement supportable. Vous citez la phrase « Des compléments* comme accompagné de, flanqué de, doublé de, appuyé au bras de, suivi de entraînent parfois l'emploi du pluriel ». Or, d'une part : ces locutions ne sont pas des compléments, elles comportent des participes employés comme adjectifs (fonctions : épithètes, attributs ou apposés) et introduisent des compléments ; d'autre part, et surtout : si elles introduisent des compléments, les groupes nominaux concernés ne peuvent pas remplir une autre fonction, comme celle de sujet.

* Je le mets en gras.
Leclerc92
Messages : 3923
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Message par Leclerc92 »

Je ne connais pas le pedigree de Gabriel Wyler, mais j'apprécie généralement les informations qu'on trouve sur son site. Il a une vision moderne de la grammaire, et ses exemples sont souvent tirés de la langue d'aujourd'hui.

Je suis néanmoins absolument d'accord avec vous pour la phrase « Ils sont bêtes, lui comme elle » ou le pluriel s'impose facilement. Si l'on avait « Ils sont bêtes, lui comme frère », la chose serait peut-être moins évidente, car un « Il est bête, lui comme son frère » ne me paraît pas exclu.

Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Pour un exemple qui n'a pas sa place, le reste n'est pas forcément mal observé.

Je ne sais pas si l'on classe Grevisse dans les grammairiens sérieux, mais il nous permet de mesurer que la langue n'est pas toujours aussi rigoureuse qu'on le croit parfois :
La Fontaine : Il a cru [...] que [...] la contrainte de la Poësie jointe à la sévérité de nostre Langue m'embarasseroient en beaucoup d'endroits.
Hugo : Étaient assis [...]/Le premier homme auprès de la première femme.
Lamartine : Un jeune montagnard, près d'une jeune fille,/Sur la même racine étaient assis tous deux.
Maupassant : [...]la haute cheminée où rôtissaient un râble de lièvre flanqué de deux perdrix.
France : Dix minutes après, une femme tout habillée de rose, [...] accompagnée d'un cavalier en tricorne [...], se glissèrent dans la chaumière.
Proust : C'est à quoi peuvent [...] nous servir une grande fatigue que suit une bonne nuit.

Je ne conseillerais pas à des élèves d'imiter, dans leurs copies, ces auteurs , car ils sont à l'âge où l'on doit s'en tenir à quelques règles simples, mais je suis heureux que les écrivains usent d'un peu de liberté et que la langue française ne soit pas un carcan. Ce qu'on perd parfois en pure logique mathématique, on le regagne souvent en expressivité et en harmonie.
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Les mots qu'emploie un grammairien pour décrire les faits de langue doivent rendre compte desdits faits de langue. Lorsque Gabriel WYLER, j'insiste, note Des compléments comme accompagné de, flanqué de, doublé de, appuyé au bras de, suivi de entraînent parfois l'emploi du pluriel, il commet, je crois, les deux erreurs que j'ai décrites. Mais ma critique ne signifie évidemment pas que personne n'aurait jamais écrit quelque chose comme « Bientôt arrivèrent le chasseur flanqué de son vieux chien » ni même que je condamnerais cela sans autre forme de procès.
On l'a souvent dit à propos de sujets comparables : trouver dans la littérature, même la meilleure, des bizarreries grammaticales, ou des faits de langue difficilement explicables en termes grammaticaux simples, est aisé. On peut en accepter ou tolérer certains... ou non. Je veux bien admettre ne pas faire partie des observateurs les plus... tolérants, quoique cela demande à être examiné au cas par cas.
GREVISSE cite les phrases que vous nous proposez et dont personne ne conteste probablement l'authenticité : ce n'est pas la question. Il serait intéressant de savoir quelle analyse il en fait. Comment imaginer qu'il puisse considérer « accompagnée d' » comme un complément dans la phrase d'Anatole FRANCE Dix minutes après, une femme tout habillée de rose, [...] accompagnée d'un cavalier en tricorne [...], se glissèrent dans la chaumière ?
Leclerc92
Messages : 3923
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Message par Leclerc92 »

Voici la phrase au complet :
Dix minutes après, une femme tout habillée de rose, un bouquet de fleurs à la main, selon l’usage, accompagnée d’un cavalier en tricorne, habit rouge, veste et culotte rayées, se glissèrent dans la chaumière, tous deux si semblables aux galants de l’ancien régime qu’il fallait bien croire, avec le citoyen Blaise, qu’il y a dans les hommes des caractères que les révolutions ne changent point.

Il y a là, indiscutablement, une faute si l'on applique l'analyse logique traditionnelle. C'est peut-être une distraction du cher Anatole France, dont on disait pourtant dans mon enfance que c'était un des meilleurs écrivains de notre langue et qu'il était salutaire d'en imiter le style. Mais c'est peut-être une simple syllepse grammaticale, expressive.
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :Voici la phrase au complet :
Dix minutes après, une femme tout habillée de rose, un bouquet de fleurs à la main, selon l’usage, accompagnée d’un cavalier en tricorne, habit rouge, veste et culotte rayées, se glissèrent dans la chaumière, tous deux si semblables aux galants de l’ancien régime qu’il fallait bien croire, avec le citoyen Blaise, qu’il y a dans les hommes des caractères que les révolutions ne changent point.

Il y a là, indiscutablement, une faute si l'on applique l'analyse logique traditionnelle. C'est peut-être une distraction du cher Anatole France, dont on disait pourtant dans mon enfance que c'était un des meilleurs écrivains de notre langue et qu'il était salutaire d'en imiter le style. Mais c'est peut-être une simple syllepse grammaticale, expressive.
Vous voulez sans doute parler de l'analyse grammaticale dans sa logique traditionnelle, c'est d'elle en tout cas que relève l'accord d'un verbe. Je ne vous apprends rien si je rappelle que l' « analyse logique » consiste à décomposer la phrase en propositions dont on cherche les nature et fonction.
On constate que, dans la phrase intégrale, « se glissèrent » est encore plus éloigné de « une femme » que dans la citation de GREVISSE.
Syllepse voulue (sorte d'accord d'intention) ou distraction : nous sommes... d'accord ! Et si c'est une distraction, elle est bien peu de chose rapportée à l'œuvre du Prix Nobel.
Répondre