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Brazilian dude
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Message par Brazilian dude »

Ce barbarisme, issu tout droit de l'anglais to initiate, s'est malheureusement bien implanté dans le vocabulaire avec le faux sens de lancer (une initiative, une opération, la réalisation d'un projet) depuis déjà quelques dizaines d'années.
Pourquoi doit tout être issu de l'anglais? Il y initiare en latin, par exemple, avec le sens de commencer, et on trouve iniciar, iniziare etc. dans d'autres langues romanes.
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Jacques
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Message par Jacques »

Le verbe initier en français n'a pas le sens de commencer ou de créer, il signifie faire accéder à la connaissance de base (initier un enfant à la lecture par exemple), ou admettre dans une société secrète ou une pratique ésotérique par une cérémonie appelée « rituel initiatique ».
To initiate est d'origine latine, probablement introduit en anglais quand Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, était devenu roi d'Angleterre et avait voulu y imposer la langue française. Mais un grand nombre de ces mots français exportés ont pris là-bas un sens différent de celui qu'ils ont en français.
Dire initier pour lancer, créer, c'est s'inspirer du sens modifié, détourné, que les Anglais donnent à ce mot ; c'est là que se situe l'anglicisme.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Brazilian dude a écrit :Pourquoi doit tout être issu de l'anglais? Il y initiare en latin, par exemple, avec le sens de commencer, et on trouve iniciar, iniziare etc. dans d'autres langues romanes.
Lisez mieux le Gaffiot : le sens de commencer ne vient qu'en troisième position, et le français a bien repris le sens primitif de initiare.

Initio, avi, atum, are (initium)
1- initier (aux mystères)
2- initier à, instruire

Dire initier pour commencer, c'est bien un faux sens en français, et c'est bien calqué sur l'anglais. Je vous mets au défi de trouver dans des textes français (hormis des productions récentes dans un langage bâtard) le verbe initier pris dans le sens de commencer.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

J'ai cherché sur Google livres (me limitant à la période antérieure à 1970) et sur Wikisource et je n'ai en effet trouvé nulle trace de l'acception « commencer quelque chose ». En revanche, la langue administrative fourmille d'exemples de cet emploi ; la langue journalistique aussi mais, il me semble, dans une moindre mesure.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Jacques
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Message par Jacques »

L'Académie française n'a jamais envisagé le sens d'être à l'origine de, j'ai exploré toutes les éditions de son dictionnaire. Elle n'a guère varié depuis la première :
INITIER. v. act. Il ne se dit proprement qu'en parlant de la Religion des anciens payens ; & signifie, Recevoir au nombre de ceux qui font profession de quelque culte particulier, admettre à la connoissance, & à la participation des ceremonies secretes d'une Religion. Ainsi en parlant de quelqu'un d'entre les anciens Grecs ou Romains, on dira, Il se fit initier aux mysteres de Cerés. ceux qui n'estoient pas initiez aux mysteres de Cerés ne pouvoient assister à ses sacrifices. Il y avoit de certaines ceremonies à observer pour se faire initier aux mysteres.
Il se dit par extention de quelque Religion que ce soit, & mesme de la vraye. Quand les Peres ont parlé à ceux qui n'estoient pas encore initiez aux mysteres de la Religion.
Il se dit fig. En parlant de science ; ainsi on dit, Il n'est pas encore initié à la Philosophie, pour dire, Il n'en a pas encore les premieres connoissances, les premieres teintures.
On dit aussi fig. Estre initié dans une Societé, dans une Compagnie, pour dire, Y estre admis, estre receu au nombre de ceux qui la composent. Il n'est pas encore initié parmi nous. En ces trois derniers sens, son plus grand usage est au participe.
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Brazilian dude
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Message par Brazilian dude »

Lisez mieux le Gaffiot : le sens de commencer ne vient qu'en troisième position, et le français a bien repris le sens primitif de initiare.
Je l'avais bien lu.

Alors les autres langues romanes utilisent-elles un anglicisme dans ce cas? J'en doute.
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Jacques
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Message par Jacques »

On peut supposer, plutôt, que dans les autres langues latines, il a d'origine le sens que lui donnent les Anglais, et que le français constitue une exception. Mon dictionnaire d'espagnol, qui date de 1955, donne à iniciar le sens de commencer. Et en 1955, l'anglomanie n'existait pas. Je m'en souviens très bien.
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cyrano
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Message par cyrano »

C'est donc bien la preuve qu'il y a une perméabilité naturelle entre ces différents sens et une tendance spontanée des langues à passer assez facilement de l'un à l'autre: l'anglais l'a fait en son temps, d'autres langues aussi en dehors de toute influence anglaise, comme vous l'indiquez.

Qui pourra dire si, aujourd'hui, le français adopte ce sens de "commencer" ou de "créer" sous l'influence de l'anglais ou s'il s'agit d'une évolution qu'il aurait pu connaître de toute façon (même s'il était parlé sur une île isolée, sans aucun contact avec d'autres langues)? Ou sans doute un peu des deux: l'anglicisme s'implante d'autant plus facilement qu'il correspond à une propension naturelle de ce verbe à prendre aussi ce sens-là.

J'ai davantage de tolérance pour ce type d'évolution linguistique que pour des cas où un sens tout à fait nouveau vient littéralement éjecter un autre, avec en prime un risque d'ambiguité (comme "l'administration Bush/Obama...", ce qui fait que quand on parle de "l'administration américaine" on ne sait plus s'il est question du gouvernement de ce pays ou de l'administration proprement dite).
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Jacques
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Message par Jacques »

cyrano a écrit :Qui pourra dire si, aujourd'hui, le français adopte ce sens de "commencer" ou de "créer" sous l'influence de l'anglais ou s'il s'agit d'une évolution qu'il aurait pu connaître de toute façon (même s'il était parlé sur une île isolée, sans aucun contact avec d'autres langues)? Ou sans doute un peu des deux: l'anglicisme s'implante d'autant plus facilement qu'il correspond à une propension naturelle de ce verbe à prendre aussi ce sens-là.
Si on adhère à ce raisonnement, on peut aussi l'appliquer à opportunité et alternative, respectivement employés dans les sens de occasion favorable et autre possibilité. En tout cas, pour ce qui me concerne, je me suis déjà interrogé sur le sujet.
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Brazilian dude
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Message par Brazilian dude »

Si on adhère à ce raisonnement, on peut aussi l'appliquer à opportunité et alternative, respectivement employés dans les sens de occasion favorable et autre possibilité.
Tout à fait, on le fait déjà au moins en portugais, en espagnol et en catalan.
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Jacques
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Message par Jacques »

En français, ces sens sont pour le moment condamnés comme impropres, mais très courants dans l'usage. Tellement courants même qu'ils deviennent ce qu'on appelle des « scies ».
Mea culpa : faute de frappe que j'ai corrigée ; même, adverbe, ne devait pas prendre un S.
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Marco
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Message par Marco »

On en revient toujours à la question cruciale : quels critères permettent de déterminer ce qui est acceptable ou non dans le bon usage ? L’étymologie ? Non. L’usage tout court ? Non. La logique ? Non.

Il y a, ce me semble, des critères plus subtils, qui découlent forcément d’un usage, mais d’un usage conscient et surveillé. D’une part, l’enseignement inculque des notions, de l’autre, les grammaires et les gardiens de la langue permettent en quelque sorte de freiner certaines dérives.

Nous sommes confrontés toutefois, il est vrai, à trop de dérives. Ne m’en veuillez pas si je vous fais part d’une expérience personnelle, mais vraiment je suis choqué lorsque des élèves me disent, lors d’un travail d’analyse de texte, qu’ils sont outrés que l’orthographe, la syntaxe et l’expression comptent aussi. Et ils ont droit au dictionnaire ! Mais c’est trop d’effort, je suppose. « Si l’orthographe ne compt[er]ait pas, j’aurais eu une meilleure note. » J’ai parfois des envies masochistes. :D
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Jacques
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Message par Jacques »

Voilà bien le drame : l'orthographe est considérée comme superflue, ce n'est pas l'essentiel, on se demande à quoi elle sert.
J'ai déjà évoqué l'affaire, mais dans un ancien, ancien gouvernement, deux femmes ministres à qui on reprochait de signer des documents entachés de fautes, avaient toutes deux répondu : « L'orthographe n'a pas d'importance, ce qui compte c'est (sic) les idées ».
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JR
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Message par JR »

J'ignore de qui vous parlez, mais je doute de la netteté de leurs idées.
Personnellement, les fautes grossières me gênent, elles ralentissent ma lecture en m'empêchant d'identifier au premier coup d'œil le mot déformé. :evil:
L’ignorance est mère de tous les maux.
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Jacques
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Message par Jacques »

JR a écrit :J'ignore de qui vous parlez, mais je doute de la netteté de leurs idées.
Personnellement, les fautes grossières me gênent, elles ralentissent ma lecture en m'empêchant d'identifier au premier coup d'œil le mot déformé. :evil:
L'identité des personnes n'a pas grande importance, mais l'exemple est caractéristique : si des gens qui occupent les plus hauts postes à la tête de la nation affichent publiquement un mépris de la langue, ils font forcément école, et tout le monde se sent absous de ses fautes (j'ai vérifié dans le Bescherelle cet étrange participe passé).
GB91 nous rapporte la réponse de mauvaise foi du CSA : surcharge de travail excusanr un emploi dévoyé de la langue. Ce n'est pas recevable. Vous et moi, et les autres participants du forum, que nous soyons pressés ou non, voire débordés, avons le réflexe naturel d'un emploi correct, hormis les fautes de frappe notre français n'est pas plus mauvais dans l'urgence que dans le calme.
Dernière modification par Jacques le ven. 30 nov. 2012, 9:13, modifié 1 fois.
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