Perdurer

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Jacques
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Perdurer

Message par Jacques »

Ce verbe perdurer est très à la mode. Les amateurs d'effets s'en sont emparés ; est-il plus beau que persister ? Il a un petit air un peu savant ou littéraire qui fait monter sa cote.
Voilà donc que je trouve ceci dans les nouvelles :
Ebola : Cuba fait perdurer la tradition de l'entraide médicale
PERDURER v. intr. XIIe siècle. Emprunté du latin perdurare, de même sens, lui-même composé de per-, qui marque l'achèvement, et durare, « durer ».
Durer éternellement (vieilli). Par affaibl. Durer longtemps, se perpétuer. Une situation, un conflit qui perdure. Leur amitié a perduré malgré l'éloignement.

(Académie française)
Se pose donc le constat qui est d'ordre grammatical : c'est un verbe intransitif, et par conséquent il s'emploie seul, sans complément (nous le savons tous, bien entendu) et ne peut s'accommoder de l'auxiliaire causatif faire.*

* En linguistique, le causatif est une diathèse qui a pour effet d'augmenter d'un actant la valence d'un verbe en faisant intervenir un sujet causateur distinct de l'agent effectif du processus décrit.
Si vous avez compris du premier coup, je vous tire mon chapeau. J'essaye de traduire dans mon langage primaire de francophone moyen ; l'auxiliaire causatif fait intervenir un acteur autre que celui qui accomplit directement l'action : Il récite sa leçon – je lui fais réciter sa leçon.
Bref, en conclusion, nous sommes encore en face de cette manie de vouloir « faire chic » qui conduit à des usages impropres ou barbares de la part de gens qui maîtrisent mal la langue. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. André a une autre définition, héritée de ses parents, qui me plaît tant que je m'y réfère encore, mais elle est tellement adaptée à la situation ! Il suffisait de dire que Cuba fait prolonger.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Je viens de constater avec un certain étonnement que le verbe perdurer ne figure ni dans mon PR de 1976 ni dans mon Lexis de la même date. Il se trouve bien dans TLFi, dont l'article contient la citation suivante :
« À moins que nous ne voulions entretenir, faire perdurer à tout jamais le privilège et la misère, il est clair qu'avec cette banque [nationale] nous aurons (...) l'escompte pour rien, le crédit pour rien » (PROUDHON, Révol. soc., 1852). L'apparat historique indique « inusité » à la date de 1856.
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est un verbe très ancien, qui ne figure dans aucune des 8 premières éditions du dictionnaire de l'Académie. Tombé en désuétude, il a été remis en usage, probablement par snobisme, vers la fin du XXe siècle, et refait son apparition dans les dictionnaires d'usage récents, ainsi que dans celui de l'Académie, 9e édition.
Dans votre citation, perdurer à tout jamais me paraît être un pléonasme, puisque le premier sens était durer pour l'éternité.
Dans ce sens-là, d'ailleurs, il est considéré comme vieilli. En français moderne seule existe l'acception de durer encore au moment où on parle, continuer à exister, qui est un néologisme.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
jarnicoton
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Message par jarnicoton »

J'ai entendu récemment : "le beau temps va perdurer jusqu'à la fin de la semaine."
André (G., R.)
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Re: Perdurer

Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit :Ce
* En linguistique, le causatif est une diathèse qui a pour effet d'augmenter d'un actant la valence d'un verbe en faisant intervenir un sujet causateur distinct de l'agent effectif du processus décrit.
Si vous avez compris du premier coup, je vous tire mon chapeau. J'essaye de traduire dans mon langage primaire de francophone moyen ; l'auxiliaire causatif fait intervenir un acteur autre que celui qui accomplit directement l'action : Il récite sa leçon – je lui fais réciter sa leçon.
Bref, en conclusion, nous sommes encore en face de cette manie de vouloir « faire chic » qui conduit à des usages impropres ou barbares de la part de gens qui maîtrisent mal la langue. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. André a une autre définition, héritée de ses parents, qui me plaît tant que je m'y réfère encore, mais elle est tellement adaptée à la situation ! Il suffisait de dire que Cuba fait prolonger.
Mes parents n'utilisaient pas les mots les plus distingués qui fussent pour constater plaisamment que certaines personnes avaient des ambitions ridicules, sociales par exemple, au-dessus de leurs moyens, mais l'image était d'une grande clarté.

La valence d'un verbe est le nombre minimal de groupes fonctionnels dont il a besoin pour avoir un sens.
1 - On dit des verbes impersonnels qu’ils sont de valence zéro. Dans Il pleut, Il ne remplace aucun nom.
2 - Tomber, courir... ne demandent qu’un sujet pour être employés à bon escient (Je cours, Tu es tombée sont des phrases claires), ils sont monovalents.
3 - Si je dis de but en blanc Il a acheté, on ressent un manque, acheter exige un COD (un stylo par exemple) et un sujet, sa valence est double.
4 - Si j’entends Nous t’avons donné, je ressens aussi un manque, donner, qui a besoin d’un sujet, amène normalement un COD (de l’argent) et un COS, sa valence est triple.

Causatif est plus ou moins synonyme de factitif, ce dernier étant peut-être plus connu. Le factitif, comme son nom l’indique, est souvent amené par le verbe faire (Jeanne a fait réparer sa voiture signifie que l’action à l’origine de laquelle Jeanne se trouve n’est pas la sienne), mais pas toujours : des verbes qui n’en sont normalement pas se trouvent de plus en plus souvent employés comme des factitifs. Tiens, tu t’es coupé les cheveux ? signifie parfois Tiens, tu t’es fait couper les cheveux ? Même chose pour construire dans Les DUPONT ont construit en banlieue.

Veuillez m’excuser si ces explications, qui ne sont toutefois pas celles d’un spécialiste, enfoncent des portes ouvertes.
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Jacques
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Message par Jacques »

Nous sommes là pour discuter, c'est l'objectif même d'un forum. Ce n'est donc pas une vaine démonstration.
On est toujours étonné et un peu perdu face à un langage dont on ne connaît ni la terminologie ni les principes qui l'animent. L'humour et la dérision sont alors les armes, ou la défense du béotien. Mais vous nous avez éclairés un peu sur l'ésotérisme linguistique, la journée n'est pas perdue.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Merci.
Corrections et remarques :
1 - J'ai eu tort de dire que le factitif est amené par le verbe faire : faire est, avec l'infinitif qu'il introduit, un élément du factitif.
2 - Je crois que de nos jours Tiens, tu t'es coupé les cheveux ? signifie la plupart du temps Tiens, tu t'es fait couper les cheveux ?
3 - Le verbe montrer, parce que synonyme de faire voir, est souvent considéré comme un factitif. Or il suppose un geste du sujet : peut-être semi-factitif suffirait-il.
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Claude
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Message par Claude »

Dans ce même domaine de durée, nous avons également à la mode pérenne qui prend progressivement le pas sur durable (à part l'expression "développement durable") ; ne conviendrait-il plus ? :evil:
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

jarnicoton a écrit : "le beau temps va perdurer jusqu'à la fin de la semaine."
L'exemple même de ce que vous dénoncez, Jacques.

Comme Islwyn, je peine par contre à vous suivre dans votre critique de l'emploi de faire devant un verbe intransitif. Tomber, venir sont intransitifs et se rencontrent souvent dans des phrases telles que Il a fait venir la police ou Pourquoi as-tu fait tomber ta sœur ?
Simplement, le complément de faire, dans le factitif, sera un COD si le verbe à l'infinitif est intransitif (Je le fais venir), ce sera un COS si le verbe à l'infinitif est transitif (Je lui fais réciter sa leçon).
D'ailleurs perdurer vient de durer, lui-même intransitif, que l'on trouve dans des expressions comme faire durer le plaisir.
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Jacques
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Message par Jacques »

André (G., R.) a écrit :Comme Islwyn, je peine par contre à vous suivre dans votre critique de l'emploi de faire devant un verbe intransitif. Tomber, venir sont intransitifs et se rencontrent souvent dans des phrases telles que Il a fait venir la police ou Pourquoi as-tu fait tomber ta sœur ?
Simplement, le complément de faire, dans le factitif, sera un COD si le verbe à l'infinitif est intransitif (Je le fais venir), ce sera un COS si le verbe à l'infinitif est transitif (Je lui fais réciter sa leçon).
D'ailleurs perdurer vient de durer, lui-même intransitif, que l'on trouve dans des expressions comme faire durer le plaisir.
Au temps pour moi. Il y a une faille, en effet, dans mon raisonnement ; les souvenirs de grammaire sont si loin ! Je n'aurais pas dû lier intransitif et auxiliaire causatif.
Des quantités de verbes intransitifs s'accommodent de l'auxiliaire faire. Je trouverai peut-être l'argument, mais je ne vois pas qu'on puisse faire perdurer quelque chose, cette chose perdure par elle-même.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit :Je trouverai peut-être l'argument, mais je ne vois pas qu'on puisse faire perdurer quelque chose, cette chose perdure par elle-même.
C'est précisément ce que je pense aussi, malheureusement l'explication m'échappe pareillement.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Je me demande si la différence entre perdurer et d'autres tels d'un côté, et tomber et quantité d'autres tels de l'autre, ne s'explique par la distinction bien connue entre verbes d'état et verbes d'action, mais je n'ai pas pour l'instant le loisir de poursuivre.
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est peut-être la piste. Nous attendons que vous ayez le temps d'y réfléchir.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Claude a écrit : pérenne qui prend progressivement le pas sur durable (à part l'expression "développement durable") ; ne conviendrait-il plus ? :evil:
Vous l'avez dit, c'est surtout un phénomène de mode. Mais apparemment une mode intérieure au français, si j'en juge par les explications que donne le Robert DHLF, dont je retiens que l'adjectif est emprunté au latin perennis «qui dure toute l'année», d'où «perpétuel», de per... et annus... (guillemets placés ainsi).
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Jacques
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Message par Jacques »

En cherchant un peu, nous pourrions probablement trouver d'autres exemples de ces mots qui sont remplacés par d'autres, en grande partie par snobisme, parce que pérenne fait plus chic que durable, parce que perdurer a l'air plus littéraire que
persister ; et peu importe s'il y a une trahison envers le sens, l'essentiel est de paraître.
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