Bonjour à tous ! Je fais une apparition fugace après un très long silence pour solliciter vos avis et vos critiques constructives sur le texte que j’ai préparé. J’enseigne dans une école en Suisse romande et le département dont nous dépendons et mon école elle-même font usage de l’écriture inclusive… Je ne sais pas encore à qui je vais l’envoyer, mais en attendant, vos commentaires sont les bienvenus !
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L’Académie française s’est déjà exprimée en défaveur de l’
écriture inclusive dans
une déclaration du 26 octobre 2017 et, vu son emploi assez généralisé en Suisse, j’aimerais proposer quelques considérations à ce sujet.
Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il existe un
genre grammatical et un
genre sexuel, qui, sur le plan linguistique, ne correspondent pas toujours. Les mots n’ont pas de sexe, ni fort ni faible, ni laid ni beau, ils ont un genre donné par l’histoire de la langue. Par exemple, un homme est UNE sentinelle et une femme est UN ange, et on ne dira jamais que tel homme est *UN sentinel ou telle femme *UNE ange. De même, telle femme est LE sosie de telle autre et tel homme est LA réplique exacte de tel autre. Les exemples sont infinis.
Deuxièmement, en ce qui concerne les pronoms indéfinis (
tous, chacun, aucun, nul, etc.), le genre
non marqué est depuis toujours le masculin, sans que cela ait jamais exclu les femmes. « Bonsoir à tous » signifie que l’on s’adresse à toutes les personnes qui constituent notre auditoire, indépendamment de leur sexe. Dans les textes officiels, par exemple
le code civil suisse, nous pouvons observer qu’on utilise « nul » et « chacun » dans leur sens réel, qui est inclusif des deux sexes (
nul équivalant à « aucune personne » et
chacun à « chaque personne »). Ainsi, dire « chacune et chacun », « toutes et tous » est tautologique.
Troisièmement, cette forme d’écriture entraîne des difficultés de lecture, en particulier lorsqu’il s’agit de lire ce genre de texte à haute voix en public. Comment lirait-on, par exemple, « il concerne tou-te-s les élèves », « les rencontres entre élèves et enseignant-e-s » ? Dans nombre de cas, la différence n’est même pas perceptible à l’oreille, comme dans « seul-e-s les élèves » ou « les élèves promu-e-s ».
Quatrièmement, cette complication orthographique inutile mène parfois à des aberrations telles que « leur-e situation » ou « leur-e commission », où on invente un adjectif possessif féminin *
leure qui n’existe pas, puisque « leur » n’a qu’une seule forme pour les deux genres.
Qu’il y ait des dénominations spécifiques nouvelles pour désigner les femmes qui désirent mettre en avant leur statut de femme, cela est légitime, mais encore faut-il 1) que ces noms soient formés selon les règles de la langue (« autrice » et non « auteure ») et 2) que ces mêmes noms ne véhiculent pas un sens péjoratif qui dessert la cause défendue, c’est-à-dire l’égalité des sexes : une femme voulant s’appeler « une médecin » ou « une médecine » sera plus facilement déclassée par rapport à l’appellation neutre « un médecin », « elle est médecin ». Que le médecin soit une femme ou un homme n’a aucune importance ; ce qui importe, c’est la compétence professionnelle, qui ne dépend pas du sexe.
D’autre part, les exemples fournis par les défenseurs de cette pratique ne sont pas probants et souvent d’une grammaticalité douteuse. Un exemple parmi d’autres, tiré du site
http://www.ecriture-inclusive.ch/langag ... re-suisse/ :
Après leur travail, les mécaniciens ont décidé d’aller boire un verre. Malheureusement, une d’entre elles n’a pas pu les accompagner.
Ici « une d’entre elles » est agrammatical, car « elles » ne peut pas pronominaliser « les mécaniciens », tout comme, à l’inverse, « ils » ne peut pas pronominaliser « les mécaniciennes ».
La solution jugée plus compréhensible par les auteurs du site est :
Après leur travail, les mécaniciennes et les mécaniciens ont décidé d’aller boire un verre. Malheureusement, une d’entre elles n’a pas pu les accompagner.
Et la phrase n’en est toujours pas plus grammaticale. Mais il est toujours possible de trouver une formulation autre, parfaitement grammaticale et efficace, en suivant la logique, comme les suivantes :
Après leur travail, les mécaniciens, dont une femme, ont décidé d’aller boire un verre. Malheureusement, celle-ci n’a pas pu les accompagner.
Après leur travail, les mécaniciens, dont plusieurs femmes, ont décidé d’aller boire un verre. Malheureusement, une n’a pas pu les accompagner.
Et on peut remplacer « mécaniciens » par « sages-femmes », métier moins pratiqué par les hommes, et rédiger des phrases tout à fait sensées sans recourir à des tournures forcées :
Après leur travail, les sages-femmes, dont un homme, ont décidé d’aller boire un verre. Malheureusement, celui-ci n’a pas pu les accompagner.
Après leur travail, les sages-femmes, dont plusieurs hommes, ont décidé d’aller boire un verre. Malheureusement, un n’a pas pu les accompagner.
L’usage de cette écriture inclusive ne change rien à la réalité sémantique, complique l’écriture et la lecture, et ne donne que l’
impression, à celui qui l’emploie, d’inclure les femmes alors qu’elles le sont et l’ont toujours été avec un seul terme commun. Désormais, devrait-on dire, « depuis que la femme et l’homme ont marché sur la Lune » ? « Rendre femmage » ? « Nulle et nul ne sont censé-e-s ignorer la loi » ? Il semblerait qu’il y ait là plus un désir de diviser que d’unir.
L’égalité des sexes trouverait plus de reconnaissance et de dignité effectives dans l’utilisation de désignations uniques, pour les métiers où une forme féminine distincte n’est pas solidement établie, et dans la forme neutre que représente en français correct, pour les pronoms indéfinis, le
masculin grammatical asexué. Nul n’est censé ignorer la loi. Nul n’est censé dénaturer le génie de la langue. Que le bon sens prévale – dans l’intérêt commun.