Généralisation du français en France

Répondre
Leclerc92
Messages : 3915
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Généralisation du français en France

Message par Leclerc92 »

Le français a mis du temps à s'imposer sur notre territoire. Je connaissais depuis longtemps cette lettre de La Fontaine, écrite d'Uzès en 1661 :
J’avois commencé dès Lyon à ne plus guère entendre le langage du pays, et à n’être plus intelligible moi-même. Ce malheur s’accrut à Valence, et Dieu voulut qu’ayant demandé à une servante un pot de chambre, elle mît un réchaud sous mon lit. Vous pouvez vous imaginer les suites de cette maudite aventure, et ce qui peut arriver à un homme endormi qui se sert d’un réchaud dans ses nécessités de nuit. Mais c’est encore bien pis dans ce pays. Je vous jure que j’ai autant besoin d’un interprète, qu’un Moscovite en auroit besoin dans Paris. Néanmoins je commence à m’apercevoir que c’est un langage mêlé d’espagnol et d’italien; et comme j’entends assez bien ces deux langues, j’y ai quelquefois recours pour entendre les autres et pour me faire entendre. Mais il arrive souvent que je perds toutes mes mesures, comme il arriva hier qu’ayant besoin de petits clous à broquette pour ajuster ma chambre, j’envoyai le valet de mon oncle en ville, et lui dis de m’acheter deux ou trois cents de broquettes; il m’apporta incontinent trois bottes d’allumettes.
https://cercamon.net/2009/12/17/racine- ... aine-1661/

Je pensais que la Révolution avait marqué un pas important vers la généralisation de l'usage du français dans toute l'étendue du territoire métropolitain, mais je suis tombé tout récemment sur ce passage de Théophile Gautier, se rendant en Algérie et traversant la France de Paris à Marseille pendant l'été de 1845. Il écrit encore :
Quand on ne sait que le parisien, on a besoin d'un drogman en France, comme si l'on était dans les échelles du Levant. La majorité des Français parle d'affreux charabias aussi parfaitement inintelligibles pour nous que du chinois ou de l'algonquin.
https://books.google.fr/books?id=hXHteS ... &q&f=false

Quel progrès depuis, même si l'on peut regretter que beaucoup de patois aient quasiment disparu du fait de la généralisation du français.
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 9723
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

Les personnes âgées de mon enfance se laissaient facilement aller à parler entièrement en provençal lorsqu'elles étaient entre elles, et nous étions dans la deuxième moitiè du XXe siècle... Ce n'est plus le cas à présent, mais la dernière fois que je suis passée en Alsace...
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Avatar de l’utilisateur
abgech
Messages : 562
Inscription : lun. 02 oct. 2006, 17:43
Localisation : Genève, Suisse

Message par abgech »

En Suisse romande, les patois ont pratiquement disparu. De langue populaire qu'ils étaient, ils sont devenus langues de lettrés.
Quel bizarre retournement.

En revanche, en Suisse alémanique, les dialectes sont d'usage absolument courant. Ils sont pratiquement toujours utilisés à l'oral.
Ce n'est qu'à l'entrée à l'école que les petits alémaniques apprennent une langue étrangère : l'allemand.

J'ai fait la partie terminale de mes études à Zurich. J'y suis arrivé en "sachant" l'allemand standard ; il m'a fallu une à deux années pour arriver à, d'abord comprendre, ensuite parler le züridüütsch.

En principe, dans les parlements c'est l'allemand qui est la règle, mais dans le feu de l'action, les discussions se terminent très souvent en dialecte.
Avatar de l’utilisateur
Jacques-André-Albert
Messages : 4474
Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
Localisation : Niort

Message par Jacques-André-Albert »

Ma mère, parisienne, a été présentée à la famille de mon père, dans le Nord, et la tournée des maisons a été un vrai supplice pour ma mère car tout se passait en patois. C'était vers 1947-48.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Avatar de l’utilisateur
Yeva Agetuya
Messages : 1936
Inscription : lun. 22 juin 2015, 1:43

Message par Yeva Agetuya »

Il ne faudrait tout de même pas mettre sur le même plan les patois d'oïl et les langues locales.
Avatar de l’utilisateur
Jacques-André-Albert
Messages : 4474
Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
Localisation : Niort

Message par Jacques-André-Albert »

Ah bon ? Votre remarque m'étonne. Les patois d'oïl n'étaient pas des langues locales ? Le Provençal et les patois franco-provençaux ou rhodaniens rencontrés par La Fontaine méritent-ils plus l'appellation de langue locale que le picard ou le berrichon ?
Que vous mettiez à part les vraies langues locales étrangères au français, je veux bien : breton, alsacien, flamand, lorrain, basque, elles-mêmes morcelées en patois, font partie d'autres familles linguistiques. Mais le picard, par exemple, est aussi éloigné du français standard que le lyonnais.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Avatar de l’utilisateur
Yeva Agetuya
Messages : 1936
Inscription : lun. 22 juin 2015, 1:43

Message par Yeva Agetuya »

Cette carte classique distingue des langues et leurs patois :

Image
Avatar de l’utilisateur
Jacques-André-Albert
Messages : 4474
Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
Localisation : Niort

Message par Jacques-André-Albert »

Le patois est la forme dégradée d'un dialecte, lui-même variante d'une langue. Mais cette hiérarchisation est artificielle : au sud de la zone où l'on parle le languedocien, c'est le catalan qui est la langue locale. Alors, le catalan, langue locale ou dialecte ? De l'autre côté des Pyrénées, le catalan n'est pas un dialecte de l'espagnol, c'est une langue à par entière. On a l'habitude de dire qu'un dialecte est une langue qui n'a pas réussi à s'imposer par le biais d'un pouvoir politique. C'est le cas du picard, langue majeur et très productive au moyen-âge, mais reléguée au rang de patois au fil des siècles sous la poussée du français standard.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 9723
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

Je n'ai pas entendu dans le patois lorrain de termes particulièrement éloignés du français comme dans le basque, le breton ou l'alsacien.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Avatar de l’utilisateur
Jacques-André-Albert
Messages : 4474
Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
Localisation : Niort

Message par Jacques-André-Albert »

En citant le lorrain à côté du breton, du basque et de l'alsacien, je pensais au francique lorrain, ensemble de patois germaniques parlés au nord et à l'est du département de la Moselle (voir cette carte).
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 9723
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

C'est le "platt", disait ma belle-mère.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

La langue allemande ne comporte pas d'équivalent exact de notre « patois », si bien qu'on y utilise parfois das Patois quand on évoque des parlers locaux de France.
Stricto sensu le « Plattdeutsch » est parlé dans la moitié septentrionale de l'Allemagne, mais « Platt sprechen » (parler platt) est devenu synonyme, dans certaines autres zones de l'espace linguistique allemand, de parler dialecte.
Votre carte, Yeva Agetuya, montre bien ce qu'il en est en France. Les frontières dialectales (en gris) qu'elle présente sont nécessaires. Toutefois sur le terrain les différences sont très progressives et l'habitant d'un village situé sur une ligne grise de la carte n'est généralement pas conscient de cette situation « frontalière » : nous avons vu plus d'une fois les ressemblances entre le sarthois et l'angevin.
Sur cette même carte, la zone du gallo englobe bizarrement la plus grande partie de l'ancien Maine : le patois de l'Ille-et-Vilaine a des traits communs avec le sarthois, certes, mais pas plus, me semble-t-il, que l'angevin ; et aucun Sarthois ne considère, à ma connaissance, qu'il parle gallo !
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

De même, en zone d'oc les Niçois ne considèrent pas qu'ils parlent provençal.
Avatar de l’utilisateur
Jacques-André-Albert
Messages : 4474
Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
Localisation : Niort

Message par Jacques-André-Albert »

Cette carte est à la fois inexacte et réductrice. Inexacte parce qu'elle étend abusivement des aires de répartition sur des dialectes voisins (si le gallo n'est pas parlé dans le Maine, on ne parle pas non plus angevin sur la côte atlantique). Réductrice parce qu'il existe de nombreuses zones de transitions correspondant à un étalement d'isoglosses, ces lignes qui encerclent des zones contenant un fait linguistique commun. Voir par exemple cet article de Wikipédia.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 9723
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

André (G., R.) a écrit :De même, en zone d'oc les Niçois ne considèrent pas qu'ils parlent provençal.
Et ils ont raison puisqu'il parlent niçard. ;)
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Répondre