Arrêtez de « violenter » !

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LMMRM
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Arrêtez de « violenter » !

Message par LMMRM »

Bonjour à tous, chers lecteurs du forum de langue francaise,

J'aimerais avoir votre opinion sur les deux problèmes suivants. 


• Faux-sens ?
Nous sommes personnellement fatigué d’entendre et de lire depuis quelques années le mot violenter au sens de « faire subir une ou des violences physiques ». Exemple, le député LFI Loïc Prud’homme, qui disait il y a peu dans une conférence de presse avoir été « violenté » par un policier (il a reçu des coups de matraque à Bordeaux en mars 2019, dont un ou des coups à la tête). « Violenter » dans cette acception est une sorte d’archaïsme à la mode, de snobisme, une fausse élégance.
Dans le langage courant, violenter c’est violer, et on peut considérer violenter comme un euphémisme de décence dans cette acception. 
Donner un ou des coups de matraque à la tête n’est pas violenter. 


• Définition erronée ?
Noter cette curieuse définition du Larousse 2011 (idem dans le Larousse en ligne et dans le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse [10 vol., 1985]), selon nous fautive :

violenter 
[...] 
Commettre sur quelqu’un un viol ou une tentative de viol.

« Ou une tentative de viol » n'est-il pas de trop ?

Mise à jour. Voir dans mes commentaires des 9 et 11 mars sept exemples tirés de la presse.
Dernière modification par LMMRM le ven. 15 mars 2019, 11:54, modifié 1 fois.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Bonjour,
Le verbe "violenter" est depuis longtemps dans la langue française. Pourquoi le refuser ?
https://artflsrv03.uchicago.edu/philolo ... =violenter
http://www.cnrtl.fr/definition/violenter

On peut violenter une personne en tentant de la violer. On ne la viole pas (selon la définition ancienne du viol), mais on la violente. La précision du Larousse me semble utile.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

Merci pour votre réponse, Leclerc92.
Je crains que vous ne m'ayez mal lu, je refuse violenter dans l'acception abusive de « donner des coups ».
Introduire par la force une matraque dans un orifice sexuel est violenter, c'est-à-dire violer, par exemple ; mais donner un ou des coups de matraque au visage, non.
Enfin, tenter de violer ou de violenter n'est pas violer ni violenter et je dirai que violenter au sens de « donner des coups » est une sorte de retour à l'étymologie, un snobisme (volontaire) ou un faux-sens (involontaire).
Dernière modification par LMMRM le mar. 05 mars 2019, 16:01, modifié 5 fois.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

J'ajouterai ceci. Si l'on pense que violenter signifie « donner des coups », on interprète mal cette phrase de Zola :

« Il violentait ses élèves, les traitait de brutes et cachait des idées avancées, sous sa raideur correcte à l'égard du curé et du maire » (Zola, Terre, 1887, p. 56).

Source : http://www.cnrtl.fr/definition/violenter

(Il n'a pas non plus ici le sens de « violer ».)
Dernière modification par LMMRM le mar. 05 mars 2019, 15:32, modifié 1 fois.
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Message par LMMRM »

Autre curiosité, violenter au sens de « violer » semble être récent, car Littré ne donne pas cette acception : https://www.littre.org/definition/violenter
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Perkele
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Message par Perkele »

Selon l'Académie, c'est "contraindre par la force"
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

Selon l'Académie, c'est "contraindre par la force".
En effet, c'est bien la définition de la huitième édition (1835).
J'ajoute qu'on peut contraindre par la force sans donner de coups, or violenter dans la presse depuis quelques années signifie « donner des coups » : quand un journaliste cherche un synonyme élégant, « qui fait bien » pour tabasser, il écrit violenter.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

"tabasser" est familier et populaire. Ce n'est pas du même registre que "violenter".
LMMRM a écrit :J'ajouterai ceci. Si l'on pense que violenter signifie « donner des coups », on interprète mal cette phrase de Zola :
« Il violentait ses élèves, les traitait de brutes et cachait des idées avancées, sous sa raideur correcte à l'égard du curé et du maire » (Zola, Terre, 1887, p. 56).
Source : http://www.cnrtl.fr/definition/violenter
Le Cnrtl donne justement cet exemple pour illustrer sa définition : "Exercer des violences à l'encontre de quelqu'un. "
Quel sens donnez-vous au verbe dans cet extrait ?

Il y a un demi-siècle, Dupré dans son Encyclopédie du bon français consacrait un article à "violenter". Mais c'était pour s'y plaindre du sens souvent donné de "violer", sous l'influence des journalistes ! Toujours eux !

Encore plus ancien, le sévère Thomas chez Larousse écrit : « violenter signifie "faire violence à" : violenter un enfant, violenter un vieillard. Ce mot n'a pas par lui-même le sens de "violer" qu'on lui attribue parfois, et il faut se garder, par crainte d'équivoque. »

Ces ouvrages semblent trouver légitime l'emploi que vous reprochez, faire violence à, exercer des violences à l'encontre de. Je suppose que c'est bien de ce même sens qu'il s'agit pour le député LFI Loïc Prud’homme, quand il dit avoir été « violenté » par un policier. On a exercé des violences à son encontre.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

"Tabasser" est familier et populaire. Ce n'est pas du même registre que "violenter".
• Oui, c'est la raison pour laquelle le journaliste à qui vient d'abord en tête le mot tabasser, le remplace par violenter pour faire chic — croit-il.
(Vous avez dû remarquer que presque tous les journalistes ignorent l'expression pourtant bien commode « rouer de coups », ils préfèrent nettement « passer à tabac ».)
Le Cnrtl donne justement cet exemple pour illustrer sa définition : "Exercer des violences à l'encontre de quelqu'un."
Quel sens donnez-vous au verbe dans cet extrait ?
• Selon moi, l'instituteur de Zola qui violente les élèves les oblige à faire ou à ne pas faire telle chose, à dire et ne pas dire telle chose, il les met au piquet, il est sévère, il est dur avec eux, il les reprend, les bouscule psychiquement, il ne leur passe rien, il combat leur nature paresseuse. Il ne les gifle pas, ne leur donne pas sur les doigts avec une règle, ou pas forcément. En tout cas ici violenter n'est pas synonyme de « donner des coups », de « frapper » et n'implique pas de donner des coups.
La définition « exercer des violences à l'encontre de quelqu'un » ne me satisfait pas. Comme le suggère la définition de l'Académie de 1835, il s'agit plutôt d'« exercer des contraintes » que d'« exercer des violences ».
Dans l'exemple du député, « violenter » est une référence exclusive aux coups qu'il a reçus. Loïc Prud'homme précise même qu'il a reçu « une volée de matraques » (sic)*.
Pour Loïc Prud'homme, comme pour beaucoup de journalistes contemporains, violenter, ce n'est ni bousculer ni gazer ni insulter ni humilier ni contraindre, mais c'est frapper, cogner.
Il y a un demi-siècle, Dupré dans son Encyclopédie du bon français consacrait un article à "violenter". Mais c'était pour s'y plaindre du sens souvent donné de "violer", sous l'influence des journalistes ! Toujours eux !
• Très intéressant. Cet euphémisme s'est ensuite imposé à tous, sauf à nos nouveaux journalistes, qui lisent peu ; mais rien n'empêche d'utiliser le mot violer si on n'aime pas violenter, si on le trouve affecté ; en revanche si on utilise violenter il faut le faire correctement ; pour ma part je préfère violer à l'euphémisme violenter, qui minimise un peu, cache l'horreur, l'habille.
De violer, de contraindre à des rapports sexuels, les journalistes d'hier dont parle Dupré sont donc passés à un contraindre tout court et pudique : autrement dit violenter.
Que cet euphémisme ait été inventé par des journalistes ne me surprend pas.
J'aurais peut-être pesté contre cet euphémisme si je l'avais vu naître sous mes yeux, de même que j'évite le mot décéder, auquel je préfère mourir (c'est une chose trop importante pour qu'on la voile : par exemple, je ne dis pas de mes parents qu'ils sont décédés).

• Thomas écrit que violenter signifie « faire violence à » (et non « exercer des violences à l'encontre de » — pas dans mon édition en tout cas).
Que signifie cet élégant « faire violence à quelqu'un » ?
Réponse difficile ; peut-être pas « donner des coups ». En tout cas l'expression n'est pas synonyme de « donner des coups » si j'en crois ces deux seules définitions de Littré :

Faire violence à une femme, la prendre de force. [...]
Fig. Faire violence à la loi, à un texte, y donner un sens contraire à son véritable esprit. [...]
Je suppose que c'est bien de ce même sens qu'il s'agit pour le député LFI Loïc Prud’homme, quand il dit avoir été « violenté » par un policier. On a exercé des violences à son encontre.
• Loïc Prud’homme n'a pas voulu dire qu'il a été exercé des violences à son égard, mais qu'il a été frappé.

• Pour résumer, ce que j'essaie de dire ici c'est que chez beaucoup de gens aujourd'hui :
violenter signifie « frapper » ;
violenter au sens de « violer » n'est plus connu.

* https://www.europe1.fr/politique/video- ... ue-3866855
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

LMMRM a écrit :• Pour résumer, ce que j'essaie de dire ici c'est que chez beaucoup de gens aujourd'hui :
violenter signifie « frapper » ;
violenter au sens de « violer » n'est plus connu.
C'est plutôt une bonne nouvelle pour ceux qui comme moi avaient horreur de ce "violenter" pris pour "violer" !
Quant à bien sentir que derrière "violenter" il y a "violence" et non simplement contrainte, je ne peux pas dire que ça me chagrine. Mais je conçois que vous puissiez avoir un avis différent.
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Perkele
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Message par Perkele »

LMMRM a écrit :
Selon l'Académie, c'est "contraindre par la force".
En effet, c'est bien la définition de la huitième édition (1835).
J'ajoute qu'on peut contraindre par la force sans donner de coups, or violenter dans la presse depuis quelques années signifie « donner des coups » : quand un journaliste cherche un synonyme élégant, « qui fait bien » pour tabasser, il écrit violenter.
L'édition en cours n'en est pas encore au V, nous verrons si elle accepte l'extension de sens.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Perkele
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Message par Perkele »

Si j'ai bien compris l'étymologie de ces mots :

- violer (violatio), c'est essentiellement profaner, enfreindre, transgresser, déshonorer et accessoirement user de violence.

- violenter (violens, violenter, violentia, violentus), c'est carrément user de violence.

À ne pas confondre avec "violarius" qui est un teinturier spécialisé dans la couleur violette ;)
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

Rectification.

Définition de l'édition de 1935 — et non 1835, comme je l'ai écrit plus haut alors que je commentais un commentaire de Perkele — du Dictionnaire de l'Académie :

VIOLENTER. v. tr. Contraindre, faire faire par force.
Les pères et les mères ne doivent point violenter leurs enfants dans le choix d'un état, d'une profession. Violenter les inclinations de quelqu'un.

Ce ne peut être que ce sens que Thomas donne à violenter dans « violenter un enfant » et « violenter un vieillard ».
Enfin, si je ne me trompe, Thomas a écrit son Dictionnaire des difficultés dans les années 1940 : le sens qu'il donne à violenter ne peut être que conforme à celui du Dictionnaire de l'Académie de 1935.
« Violenter un enfant » et « violenter un vieillard » signifient donc « les forcer, les obliger à faire ce qu'ils ne veulent pas faire ».
L'enfant est indiscipliné et le vieillard est têtu.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

L'édition en cours n'en est pas encore au V, nous verrons si elle accepte l'extension de sens.
Les plus impatients pourront poser la question de violenter au service du dictionnaire de l'Académie française :

http://www.academie-francaise.fr/le-dic ... ctionnaire
Jean-Luc

Message par Jean-Luc »

Si l'on tient compte de toutes les données et de l'utilisation quE les médias et les journaux font au quotidien du mot "violenter" l'Académie dans sa nouvelle édition devrait prendre la position que c'est le contexte qui déterminera le sens de violenter. Cette fois-ci, l'Académie n'aura pas d'autre choix. Et ce n'est pas moi qui le dis. L'Académie dit qu'on doit écrire obligatoirement le pluriel de grand-mères sans S "grand" et pourtant Robert et Larousse et quelques ouvrages l'écrivent grandS-mères., parfois, l'Académie est touchable.
L'Académie pour éviter faire le ridicule, acceptera bel et bien l'extension de sens. 😏
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