Arrêtez de « violenter » !

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LMMRM
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Message par LMMRM »

L'Académie dit qu'on doit écrire obligatoirement le pluriel de grand-mères sans S à "grand" et pourtant Robert et Larousse et quelques ouvrages l'écrivent grandS-mères.
En effet, mais des grand-mères, des grand-messes (mots féminins avec une supposée élision du e de grand, supposée élision matérialisée autrefois par une apostrophe : une grand'mère, des grand'mères, etc.), mais des grands-pères (mot masculin) sont les graphies traditionnelles, et l'Académie est plutôt tradi — avec parfois quelques surprises.
L'avantage du Dictionnaire de l'Académie, c'est l'absence de motivation commerciale, ce qui n'est peut-être pas le cas du Larousse et du Robert.
En principe, l'Académie ne fait pas dans le populisme, l'Académie n'avalise pas facilement les nouveautés, elle n'est pas néolâtre et elle est patiente.

Avalisera-t-elle les nouvelles acceptions de violenter ? je me suis posé la question. Je répondrai non pour violenter = brutaliser en frappant ; en revanche elle avalisera probablement l'euphémisme violenter = violer.
En tout cas, les paris sont ouverts.
Dernière modification par LMMRM le mer. 06 mars 2019, 17:02, modifié 1 fois.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

LMMRM a écrit :Ce ne peut être que ce sens que Thomas donne à violenter dans « violenter un enfant » et « violenter un vieillard ».
Enfin, si je ne me trompe, Thomas a écrit son Dictionnaire des difficultés dans les années 1940 : le sens qu'il donne à violenter ne peut être que conforme à celui du Dictionnaire de l'Académie de 1935.
Quand Maeterlinck écrit dans la Vie des abeilles (1901) :
« Ils sont encore à demi barbares, violentent les calices, les déchirent s'ils résistent, et pénètrent sous les voiles satinés des corolles comme l'ours des cavernes entrerait sous la tente, toute de soie et de perles, d'une princesse byzantine. »
on s'aperçoit que la définition de l'Académie (contraindre par la force) est trop restreinte et qu'il faut retenir plutôt l'idée de violence.
Même chose dans ce livre de 1937 : « Agir autrement m'eût violenté l'âme, de la même façon que des mains avides violentent les rameaux d'un jeune arbre en lui arrachant des fruits... qui ne sont pas encore mûrs. »
Thomas a peut-être tenu compte de cela.
Du reste, le Dictionnaire de Hatzfeld et Darmesteter ne craint pas de définir violenter par "contraindre par la violence".
Jean-Luc

Message par Jean-Luc »

👌😊😊 On verra prochainement si l'Académie refuse ou non le contexte quand on utilise ce mot. Ah la sacrée verbolâtrie !!
Dernière modification par Jean-Luc le jeu. 07 mars 2019, 11:08, modifié 5 fois.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

Du reste, le Dictionnaire de Hatzfeld et Darmesteter ne craint pas de définir violenter par "contraindre par la violence".
• C'est une définition qui me semble acceptable si l'on substitue force à violence. Cela dit, s'il y a contrainte, il y a force. J'en reste à la définition de l'Académie de 1935.
Noter qu'il y a des violences qui sont psychiques, toutes ne sont pas physiques. Idem pour la force.
Une mauvaise définition serait « frapper, donner des coups », c'est l'acception de plus en plus souvent utilisée dans la presse.
Une autre définition, plus mauvaise encore, serait « contraindre à faire en donnant des coups ».
Cela dit, je le répète, dans la nouvelle acception de la presse d'aujourd'hui, il n'est pas question de contrainte, mais de coups, même si dans certains cas ces coups visent à contraindre (à quitter le lieu d'une manifestation, à cesser une manifestation non déclarée, à cesser une agression, voire à donner son téléphone portable...).

• D'une personne « agressée gratuitement » (un des éléments de langage journalistique) à coups de poings sans qu'un vol soit commis à son encontre, un journaliste dira qu'elle a été violentée. Là aucune contrainte.
Dernière modification par LMMRM le mer. 06 mars 2019, 17:46, modifié 4 fois.
Jean-Luc

Message par Jean-Luc »

J'imagine que bientôt on verra l'issue de cette histoire. C'est un plaisir de vous lire à tous. Mon humble paris, échouera-t-il
? 🤔🤔
Dernière modification par Jean-Luc le mer. 06 mars 2019, 17:46, modifié 1 fois.
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Message par LMMRM »

Vous avez toutes vos chances, Jean-Luc, ne désespérez point. :-)
Jean-Luc

Message par Jean-Luc »

Que vous êtes adorable !! Je ne mérite pas d'être encouragé autant. 😇😇
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Message par LMMRM »

« Les mains avides violentent les rameaux d'un jeune arbre en lui arrachant des fruits... qui ne sont pas encore mûrs. »
Maeterlinck est un écrivain et, plus, un poète (plein de charme). Il a tous les droits, il peut se permettre toutes les licences, tous les néologismes de sens sans qu'on lui fasse reproche. Il ne lui est pas interdit de néologiser surtout quand il le fait sans équivoque sur le sens.
En matière d'information, c'est tout autre chose.

N. B. Xxxxxx. [Auto-commentaire : passage supprimé, car sans intérêt au demeurant.]
Dernière modification par LMMRM le jeu. 07 mars 2019, 23:50, modifié 2 fois.
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Message par LMMRM »

Une dernière citation pour la route, qui semble confirmer tous les autres dictionnaires consultés.
Dictionnaire de la langue française classique, de Dubois et Lagane (Librairie Belin, 1960) :

violenter, v. t.
Pousser à l'extrême.
« Pour amener chose ainsi surprenante ; 
Il est besoin d'en bien fonder le cas, 
Sans rien forcer et sans qu’on violente 
Un incident qui ne s'attendait pas »
(La Fontaine, Cont., V, 8).
Violenter qqn à suivi d'un infinitif : le contraindre à.
« Me violenter à fuir ton entretien » (Corneille, Pl. R., 23).
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Message par LMMRM »

Je ne prétendrai pas éteindre la discussion sur le sujet, mais voici des éléments que je considère comme assez décisifs.
On voudra bien noter la conclusion.

Voici la définition de violenter par le Petit Robert de 1988 nettoyée de quelques-uns de ses détails secondaires :

[indent=40]• violenter, v. t.

1. – Vx. Contraindre (qqn) par la force. Mod. Violenter une femme, la violer. 

2. – Littér. Aller à l’encontre de, faire violence à. Violenter une inclination. — Dénaturer, altérer. Violenter un texte. « Notre goût émoussé, violenté, accoutumé aux liqueurs fortes » (Taine). [/indent]

Remarques

— « Contraindre (qqn) par la force » n’implique pas que des coups sont donnés. 

— Pour la définition « Aller à l’encontre de, faire violence à », on notera que l’exemple sous-entend que le complément du verbe doit être une abstraction (ici une inclination).
— On notera aussi que « faire violence à » n’implique pas que des coups sont donnés (voyez la définition du Petit Robert s. v. violence). 

On pourra déduire de la définition du Petit Robert que dans la langue d’aujourd’hui violenter un homme ne peut que signifier le violer.
Jean-Luc

Message par Jean-Luc »

Votre argumentation est incroyable. Bravo ! Je crois que c'est moi, qui vais payer le paris. Et ce sera avec plaisir.
Dernière modification par Jean-Luc le ven. 08 mars 2019, 22:20, modifié 1 fois.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

LMMRM a écrit :On pourra déduire de la définition du Petit Robert que dans la langue d’aujourd’hui violenter un homme ne peut que signifier le violer.
Si c'était vrai, ce serait éminemment regrettable, et en contradiction avec les recommandations des chantres du bon usage, comme Girodet : « On évitera de l'employer au sens de violer, abuser de, comme le font les journaux. »
Pour ma part, je préfère l'extension de sens vers "donner des coups", à celle qui en fait un doublet parfaitement inutile de "violer".
Mais ce n'est que mon avis.
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LMMRM
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Message par LMMRM »

Pour ma part, je préfère l'extension de sens vers "donner des coups", à celle qui en fait un doublet parfaitement inutile de "violer".
Moi également, mais l'acception de « violer » pour violenter une femme pollue l'affaire — et durablement.
Les journalistes sont de gros pollueurs désinhibés. Il faudrait une taxe.
(Ces pollueurs sont d'autant plus dangereux qu'ils sont pris comme modèles par beaucoup de locuteurs.)
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Mon impression est quand même que l'utilisation de "violenter" dans le sens de "violer" a fortement régressé au cours des dernières années, probablement parce qu'on parle plus ouvertement du viol.
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Message par LMMRM »

L'utilisation de "violenter" dans le sens de "violer" a fortement régressé au cours des dernières années, probablement parce qu'on parle plus ouvertement du viol.
En effet, très juste.
Il y a dans ce sous-domaine de la criminalité moins de décence mal placée, et c'est toujours le mot exact qui est employé, et non l'euphémisme ; il faut certainement remercier les mouvements féministes.
En revanche, dans d'autres sous-domaines de la criminalité ou de la délinquance, de nombreux euphémismes sont nés et continuent à naître, comme « incivilité » ou « agression gratuite » : ils font partie de ce qu'on appelle la langue de bois ou le novlangue, qui minimisent, exagèrent ou déforment la réalité selon les besoins des gouvernants du moment.
Dans le domaine de la Toile, pensons au mot « modération », qui neuf fois sur dix cache le mot « censure (politique) ».
L'auto-censure, elle aussi, crée des euphémismes, et le mot « censure » est censuré, pourrait-on dire.
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