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Jacques
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Style moderne

Message par Jacques »

J'ai retrouvé ceci dans mes archives de textes publiés. Il avait d'abord paru dans la revue de DLF.

En offrant ce petit texte à traduire aux lecteurs de notre revue, mon ambition n'est rien d'autre que d'apporter un peu de divertissement à des lettrés qui n’ont pas complètement désarmé devant les barbares.
« Jérémie, vous avez un peu perdu la pêche, m'a dit hier le boss. Vous êtes moins performant. Prenez donc huit jours pour décompresser »
Disons que, depuis quelques mois, je suis anormalement stressé. Je m'investis trop dans mon job. Ma relation avec Samantha s'en ressent. Samantha Pousselard est ma compagne. Nous habitons un loft dans un ancien squat en cours de réhabilitation, ce qui provoque des nuisances au niveau du bruit. Dès le matin, c’est le hit-parade des décibels.
Bénéficiant d'un créneau dans mon planning surbouqué, je sautai sur cette opportunité pour proposer à ma compagne d'aller nous ressourcer dans un espace vert, loin de la pollution urbaine.
« Absolument, tout à fait, dit-elle. Quelque part, nous avons vocation à ça. » En plus de ses T-shirts, de ses baskets et de ses jeans, elle amena avec elle un best-of de short-stories car elle désirait ardemment revisiter Maupassant.
Nous nous impliquâmes dans notre voyage. Ce fut une relecture de la Bretagne. En roulant, Sam chantait du blues, moi du rap. Le pied, quoi ! À dix neuf heures trente du soir, nous stoppâmes devant une structure d'accueil qui faisait partie de la chaîne M.E.R.D.O.T.E.L. L'hôtesse, après nous avoir souhaité « Welcome à Margar'Inn », nous mena à la chambre six vingt-trois.
« Une chambre où vous serez relaxe niveau sommeil, nous dit-elle. Bonne fin de journée, messieurs-dames. »
Il y avait un fast-food dans l'établissement. Après y avoir englouti des hamburgers, des hot dogs, des milk-shakes et nous être dessoiffés au Coke, nous jugeâmes qu'il était temps de positiver côté sentiment.
Le lendemain matin, whaou ! En ouvrant les rideaux, nous découvrîmes une prairie ou, pour mieux dire, une sorte de green où des fleurs plurielles déclinaient toute la gamme de leurs couleurs variées. Un vrai happening !
Ma compagne s'écria : « C'est génial ! » Je répliquai : « Qu'est-ce qu'on dit à son petit concubin chéri ? » « Tu sais quoi, ronronna-t-elle, je serais si heureuse d'effectuer le parcours initiatique de la mère célibataire ! Cynthia, Vanessa, Ophélie, Sabrina, Jennifer, toutes mes potesses ont super bien perçu leur maternité. Je flippe à mort, c'est galère pour moi. La balle est dans ton camp. » Je lui fermai la bouche d'un french kiss. Au-dessus de nous, la couche d'ozone était à la normale. Voilà un temps fort dans mon vécu.

Jean DUTOURD, de l'Académie française.
Dernière modification par Jacques le jeu. 16 mai 2013, 16:25, modifié 3 fois.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Un intéressant florilège d'expressions qu'il faut utiliser si on veut paraître à la mode. Malheureusement, ceux qui usent et abusent de ces tournures et de ces mots ne lisent jamais ces textes qui les mettent en cause ; il vivent dans un autre monde.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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abgech
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Message par abgech »

Je dirait amusant pour ne pas dire irritant.

À mon avis, il manque l'horripilant "cela m'interpelle quelque part au niveau de mon vécu quotidien" !

Mais ne faut-il pas relativiser ? Après tout, les précieuses ridicules ne datent pas d'hier.
En revanche, l'invasion du français par des mots anglais (et qui souvent n'ont d'anglais que la consonance) me préoccupe plus.
jarnicoton
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Message par jarnicoton »

Je ne vois pas ce qu'on peut de bonne foi reprocher à un utilisateur du passé simple. Il faut l'applaudir.
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Message par Madame de Sévigné »

Je ne sais pas si vous vous sentez interpellés au niveau de votre vécu, mais nous sommes sur un vrai questionnement, alors prenons de la hauteur et essayons d''expliciter et solutionner les problématiques des spécificités individu-dépendantes.( sic) Vous voyez la dynamique !!!

Cf réunion de travail de cet après-midi, j'ai...fermé les yeux !
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Jacques
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Message par Jacques »

Quel bonheur de vous revoir, chère marquise. Vous êtes initiée au langage hexagonal, je ne ferais pas aussi bien que vous, mes connaissances en ce domaine étant très limitées. Je vous dirai simplement qu'il faut vérifier qu'il y ait bien un porteur de la méthodologie au sens de la responsabilité managériale, car la proposition d'évolution de notre référentiel consiste à regrouper les trois processus opérationnels actuels en un seul processus rendu autoporteur de ses livrables. En effet ce projet a fait l'objet d'une communication très en amont avec les fournisseurs afin qu'ils soient challengés sur nos objectifs de réactivité en développement.
Mais où en est le restaurant ?
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Madame de Sévigné
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Message par Madame de Sévigné »

Jacques a écrit :Quel bonheur de vous revoir, chère marquise.

Mais où en est le restaurant ?
Crise oblige, je me mets frileusement...au régime ! :(
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Jacques
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Message par Jacques »

Est-ce à dire que les affaires ne décollent pas ?
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Re: Style moderne

Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit :En offrant ce petit texte à traduire aux lecteurs de notre revue, mon ambition n'est rien d'autre que d'apporter un peu de divertissement à des lettrés qui n’ont pas complètement désarmé devant les barbares.

Avez-vous effectivement obtenu des traductions ? La difficulté à trouver des mots ou expressions authentiquement français est très variable : les mots de jargon et les anglicismes me semblent se répartir sur une gamme allant du caricatural à celui pour lequel on n'a rien d'autre à disposition.
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Jacques
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Re: Style moderne

Message par Jacques »

André (Georges, Raymond) a écrit : Avez-vous effectivement obtenu des traductions ?
Vous commettez une méprise qui me flatte : l'auteur de ce texte était Jean Dutourd, de l'Académie française, président de notre association Défense de la langue française. Je ne sais pas si DLF a reçu des « traductions » mais c'est fort peu probable. Jean Dutourd avait un esprit très fin, et un indéfectible humour. Ce texte était une parodie. Il était un fervent défenseur de notre langue mais, plutôt que de se fâcher en fustigeant ceux qui la malmènent, il traitait toujours les choses par la dérision.
Dernière modification par Jacques le mar. 18 févr. 2014, 11:59, modifié 2 fois.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

La signature Jean DUTOURD est effectivement bien lisible. Il m’avait semblé par contre que la première phrase en bleu, celle que je cite ci-dessus, était de vous.
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Jacques
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Message par Jacques »

Non, il n'y a rien de moi, sauf l'introduction en noir.
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Thypot
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Re: Style moderne

Message par Thypot »

Je me permets de relancer le sujet, car le texte cité par Jacques me préoccupe. Il est manifeste que son auteur a, à dessein, regroupé de nombreuses fautes courantes de la langue commune et relâchée, parfois en en exagérant les traits. Cependant, comme il pèse une présomption d'impropriété sur presque tous les termes utilisés, je me trouve face à quelques incertitudes.

Je mets ci-dessous en italique les fautes qui me paraissent évidentes, et en gras les mots et expressions qui semblent fautifs, mais pour une raison qui m'échappe (je l'explique entre parenthèses). Pourriez-vous m'éclairer pour ces derniers ? Auriez-vous en outre l'obligeance de me signaler une formule fautive que je n'ai pas soulignée ?

« "Jérémie, vous avez un peu perdu la pêche, m'a dit hier le boss. Vous êtes moins performant. Prenez donc huit jours pour décompresser (Langage familier, mais je ne vois pas en quoi c'est impropre.)".

Disons que, depuis quelques mois, je suis anormalement stressé (Je suis d'accord pour dire que c'est un anglicisme ; mais d'aucuns argueront que le « stress » est un concept de psychologie bien défini, et qu'il ne se confond pas avec l'anxiété ou l'angoisse, ce qui pourrait en autoriser l'usage, à moins que ce soit son emploi comme verbe qui gêne ici.). Je m'investis trop dans mon job.

Ma relation avec Samantha s'en ressent. Samantha Pousselard est ma compagne. Nous habitons un loft dans un ancien squat en cours de réhabilitation, ce qui provoque des nuisances au niveau du bruit. Dès le matin, c’est le hit-parade des décibels.

Bénéficiant d' (Est-ce fautif en ce sens ?)un créneau dans mon planning surbouqué, je sautai sur cette opportunité pour proposer à ma compagne d'aller nous ressourcer dans un espace vert, loin de la pollution urbaine.
"Absolument, tout à fait, dit-elle. Quelque part, nous avons vocation à ça." En plus de ses T-shirts, de ses baskets et de ses jeans (Alors là, je ne comprends pas. Bien sûr, ce sont des mots anglais, mais ils sont entrés dans l'usage et sont difficiles, voire impossibles à remplacer.), elle amena avec elle un best-of de short-stories car elle désirait ardemment revisiter Maupassant.

Nous nous impliquâmes dans notre voyage. Ce fut une relecture de la Bretagne. En roulant, Sam chantait du blues, moi du rap (Quel est le problème avec ces mots irremplaçables ?). Le pied, quoi ! À dix neuf heures trente du soir, nous stoppâmes devant une structure d'accueil qui faisait partie de la chaîne M.E.R.D.O.T.E.L. L'hôtesse, après nous avoir souhaité "Welcome à Margar'Inn", nous mena à la chambre six vingt-trois.

"Une chambre où vous serez relaxe niveau sommeil, nous dit-elle. Bonne fin de journée, messieurs-dames (Inélégant, mais impropre ?)."

Il y avait un fast-food dans l'établissement. Après y avoir englouti des hamburgers, des hot dogs, des milk-shakes (Tout cela est admissible selon moi, car ce sont des aliments venant d'une culture bien précise, et dont il n'existe pas d'équivalent français exact, me semble-t-il. Les mots étrangers dans le vocabulaire de la cuisine ont toujours été nombreux, et c'est bien naturel.) et nous être dessoiffés au Coke, nous jugeâmes qu'il était temps de positiver côté sentiment.

Le lendemain matin, whaou ! En ouvrant les rideaux, nous découvrîmes une prairie ou, pour mieux dire, une sorte de green où des fleurs plurielles déclinaient toute la gamme de leurs couleurs variées. Un vrai happening !

Ma compagne s'écria : "C'est génial !" Je répliquai : "Qu'est-ce qu'on dit à son petit concubin chéri ?" "Tu sais quoi, ronronna-t-elle, je serais si heureuse d'effectuer le parcours initiatique (Je crois que c'est incorrect, mais je ne sais plus pourquoi !) de la mère célibataire ! Cynthia, Vanessa, Ophélie, Sabrina, Jennifer, toutes mes potesses ont super bien perçu leur maternité. Je flippe à mort, c'est galère pour moi. La balle est dans ton camp." Je lui fermai la bouche d'un french kiss. Au-dessus de nous, la couche d'ozone était à la normale (?). Voilà un temps fort dans mon vécu. »


La plupart des fautes évidentes sont des anglicismes grossiers. Il subsiste néanmoins quelques incertitudes.

C'est assez long ; je remercie celui qui prendra le temps d'analyser le texte.
Dernière modification par Thypot le ven. 07 mars 2014, 10:24, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est trop long pour moi, la lecture m'est difficile mais votre analyse, d'après le peu que j'ai pu en appréhender, est pertinente. Je ne crois pas que l'on doive parler de fautes. L'auteur n'avait qu'un objectif humoristique, et voulait par la dérision pointer ce langage loufoque et en tout cas ridicule qui envahit la langue quotidienne. Il ne faut donc pas trop approfondir le sujet. C'est un peu comme avec mon texte sur les sigles et acronymes, une accumulation qui force la note et attire l'attention sur un phénomène linguistique.
On ne doit pas tenter une analyse, mais se laisser porter par l'ironie.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Jean Dutourd a apparemment cherché à produire un texte plein d'expressions à la mode, fautives pour la plupart, qu'il serait amusant de traduire en français plus classique. Comme vous, certaines expressions ne me paraissent pas condamnables. Je vais essayer de tout reprendre et de m'interroger comme vous le faites. L'exercice est intéressant.

1) pour décompresser : Jean Dutourd emploie ce mot parce que c'est un mot à la mode et qu'il est familier ; la familiarité est une incorrection comme les autres, non ? À la place, on pourrait dire : « pour vous détendre ».

2) stressé : l'expression est familière dans l'acception courante de l'état d'inquiétude et d'angoisse ; cependant, on peut, selon moi, parler du stress, du fait de ressentir un stress, etc.

3) Bénéficiant d'un créneau : c'est le mot créneau qui relève de l'argot militaire ; toute l'expression est donc condamnable.

4) T-shirts, baskets, jeans : rien ne me choque ici, mais puisque Jean Dutourd proposait un exercice de traduction, le but était peut-être de pousser les lecteurs à trouver les vieux équivalents français de ces mots passés dans le langage courant : le T-Shirt est un maillot ou une chemise, les baskets sont des chaussures de sport et les jeans des pantalons de toile.

5) blues, rap : je ne vois pas par quoi on peut remplacer ces mots, sinon par de longues périphrases.

6) Bonne fin de journée : on dirait plutôt « bonne soirée » à sept heures du soir.

7) hamburgers, etc. : même chose que pour le 4.

8 ) dessoiffés : je n'ai jamais entendu ce mot et je ne le trouve que dans le Wiktionnaire , il paraît familier ; on dirait plutôt « après nous être désaltérés ».

9) parcours initiatique : je ne sais qu'en dire, sinon que l'expression paraît disproportionnée par rapport à la chose dont il est question.

10) la couche d'ozone était à la normale : voilà une manière bien complexe de dire que le ciel était normal.
Dernière modification par Klausinski le mar. 18 févr. 2014, 13:04, modifié 1 fois.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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