OH ! N'INSULTEZ JAMAIS UNE FEMME QUI TOMBE !

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André (G., R.)
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OH ! N'INSULTEZ JAMAIS UNE FEMME QUI TOMBE !

Message par André (G., R.) »

Dans ce poème, généralement sans titre, de Victor HUGO (Les Chants du crépuscule), le troisième vers Qui sait combien de jours sa faim a combattu ! me met dans l'embarras. Afin que la grammaire ne souffre pas, on est obligé, me semble-t-il, de voir un verbe intransitif dans combattre et un complément de temps dans combien de jours. Les deux sont possibles, mais le sens de l'alexandrin est alors que la faim de la femme a lutté, s'est battue très longtemps, ce qui est tout de même curieux. Qu'en pensez-vous ?
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Oui, c'est un peu étrange que ce soit la faim qui combatte, mais je pense que c'est bien ce que dit le vers, et il doit y avoir une sorte de figure de style ou de licence poétique pour permettre ce renversement des rôles.
J'ai trouvé une traduction anglaise qui semble comprendre la même chose :
https://books.google.fr/books?id=5cSEpZ ... &q&f=false
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Il est intéressant, n'est-ce pas, que le poème d'Hugo présente une série de points d'exclamation, remplacés dans la traduction par des points d'interrogation ? Hugo nous invite à nous apitoyer sur le sort de cette femme, là où la traduction nous pose une série de questions. Pour le sens du vers cité, comme vous je pense à une figure de style, qui sert à personnifier la faim.
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valiente
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Message par valiente »

Bonjour à vous,
Intéressante remarque !
Je partage l'avis de Islwyn, c'est une sorte de personnification de la faim. Pour moi, il s'agit bien ici d'une faim qui a combattu, je pense qu'on peut difficilement douter de l'intention de l'auteur.
Je comprends que cette tournure puisse faire réfléchir certains lecteurs avisés, mais j'avoue ne pas avoir été surpris car je rencontre assez régulièrement ce genre de figure de style dans les textes poétiques.
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Claude
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Message par Claude »

Après une telle intervention, revenez-nous plus souvent cher Valiente. :wink:
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Comme vous avez raison, Claude !
valiente a écrit :Je partage l'avis de Islwyn, c'est une sorte de personnification de la faim. Pour moi, il s'agit bien ici d'une faim qui a combattu, je pense qu'on peut difficilement douter de l'intention de l'auteur.
Je comprends que cette tournure puisse faire réfléchir certains lecteurs avisés, mais j'avoue ne pas avoir été surpris car je rencontre assez régulièrement ce genre de figure de style dans les textes poétiques.
On est obligé de s'en tenir à cela.
Pourtant la raison raisonnante voudrait que ce soit la femme qui combatte la faim. Je crois d'ailleurs avoir vu hier, malheureusement je ne sais plus où, une telle interprétation. Le sujet de a combattu serait alors sous-entendu, mais l'accord du participe serait fautif : inenvisageable chez Victor HUGO !
Il semblerait que le poème veuille dénoncer le mépris envers les prostituées au XIXe siècle.

Je ne parviens pas, Islwyn, à voir quelle intention le traducteur a pu mettre dans sa substitution d'interrogatives à des exclamatives.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Je suis tenté de penser que la faim, qui tant domine la femme, s'identifie pour ainsi dire à elle : la faim, et la femme qui en est dévorée, ne feraient qu'une. « Sa faim », c'est elle-même. Licence poétique si l'on veut, mais aussi aperçu psychologique.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Très convaincant.
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Claude
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Message par Claude »

Je profite de l'occasion d'un échange en privé avec Valiente pour vous soumettre une petite devinette :
- pourquoi un des alexandrins du poème d'Hugo finit-il par encor et non encore puisque le nombre de syllabes est de douze, présence ou non du E ?
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Il me semble qu'encore s'est écrit jadis sans E final. Et il y a la rime avec or. Mais tout cela me paraît un peu simple.
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Claude
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Message par Claude »

Vous avez dit l'essentiel mais voici l'explication de Valiente :
« Le mot « encor » doit répondre au mot « or », d'un point de vue sonore mais aussi graphique ; l'auteur est donc forcé de se plier à l’exigence d'une rime masculine, et donc de supprimer le « e » muet qui aurait alors constitué une rime féminine et une entrave aux règles de versification classique. »

Ai-je raison quand je dis à Valiente de venir nous voir plus souvent ?
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Ô combien !
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Tout à fait. Cet encor parvient à satisfaire à la fois à l'exigence d'une rime pour l'œil et d'une autre pour l'oreille. Très heureux pour Hugo qu'encor soit une variante graphique dont ses lecteurs auraient été familiers.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :il doit y avoir une sorte de figure de style ou de licence poétique pour permettre ce renversement des rôles.
Une sorte de métonymie, très audacieuse !
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valiente
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Message par valiente »

Merci pour vos gentillesses. C'est un plaisir de lire des échanges comme celui-ci ! La qualité des interventions est toujours aussi impressionnante sur ce forum, je dois vous en féliciter. :)
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