La Fontaine et le pluriel

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Yeva Agetuya
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La Fontaine et le pluriel

Message par Yeva Agetuya »

  • Le combat des rats et des belettes

    La nation des belettes,
    Non plus que celle des chats,
    Ne veut aucun bien aux rats;
    Et sans les portes étrètes
    De leurs habitations,
    L'animal à longue échine
    En ferait, je m'imagine,
    De grandes destructions.
    Or une certaine année
    Qu'il en était à foison,
    Leur roi, nommé Ratapon,
    Mit en campagne une armée.
    Les belettes, de leur part,
    Déployèrent l'étendard.
    Si l'on croit la renommée,
    La victoire balança:
    Plus d'un guéret s'engraissa
    Du sang de plus d'une bande.
    Mais la perte la plus grande
    Tomba presque en tous endroits
    Sur le peuple souriquois.
    Sa déroute fut entière,
    Quoi que pût faire Artapax,
    Psicarpax, Méridarpax,
    Qui, tout couverts de poussière,
    Soutinrent assez longtemps
    Les efforts des combattants.

    Leur résistance fut vaine;
    Il fallut céder au sort:
    Chacun s'enfuit au plus fort,
    Tant soldat que capitaine.
    Les princes périrent tous.
    La racaille, dans des trous
    Trouvant sa retraite prête,
    Se sauva sans grand travail;
    Mais les seigneurs sur leur tête
    Ayant chacun un plumail,
    Des cornes ou des aigrettes,
    Soit comme marques d'honneur,
    Soit afin que les belettes
    En conçussent plus de peur,
    Cela causa leur malheur.
    Trou, ni fente, ni crevasse
    Ne fut large assez pour eux;
    Au lieu que la populace
    Entrait dans les moindres creux.
    La principale jonchée
    Fut donc des principaux rats.

    Une tête empanachée
    N'est pas petit embarras.
    Le trop superbe équipage
    Peut souvent en un passage
    Causer du retardement.
    Les petits, en toute affaire,
    Esquivent fort aisément:
    Les grands ne le peuvent faire.
Quoi que pût faire Artapax, Psicarpax, Méridarpax, qui (...) soutinrent assez longtemps

J'aurais écrit "purent".... Ou bien j'aurais ajouté "ou" :

Quoi que pût faire Artapax, Psicarpax, ou Méridarpax, qui (...) soutinrent assez longtemps

Mais préjugeant que La Fontaine n'aurait pas commis une telle faute, j'aimerais qu'on m'explique...
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

L'accord avec le sujet le plus proche n'était pas rare à la période classique.
Dans « Quoi que pût faire Artapax » on a affaire à un subjonctif imparfait. L'accord au pluriel donnera « Quoi que pussent faire Artapax, Psicarpax, Méridarpax ». « Purent » est la troisième personne du pluriel du passé simple de l'indicatif (troisième personne du singulier « put », sans accent ; l'accent circonflexe ne se trouve, pour le passé simple, qu'aux première et deuxième personnes du pluriel : nous pûmes...).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

La transposition au présent permet de voir la nécessité du subjonctif :
 « Quoi que puisse faire Artapax » ou « Quoi que puissent faire Artapax, Psicarpax, Méridarpax ».
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Yeva Agetuya
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Message par Yeva Agetuya »

Toujours est-il que ma question portait sur l'accord du pluriel.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

C'est que ce « combat » est écrit en vers heptasyllabiques. « Pussent » aurait créé une syllabe de trop.

Quoi | que | pût | faire | Ar| ta | pax

Quoi | que | pu | ssent | faire | Ar | ta | pax
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

La métrique bien sûr. Mais l'accord de proximité a longtemps été appliqué en prose également. Un siècle avant LA FONTAINE, dans L'Heptaméron de Marguerite de Navarre, publié en 1558, on trouve : car il y a si peu que l'on m'a faict ung compte à la louange d'un gentil homme, dont l'amour, la fermeté et la patience est si louable, que je n'en doibtz laisser perdre la memoire. (le gras est de mon fait)
Vous donner des explications, Yeva Agetuya, dépassant le simple constat, est au-dessus de mes compétences. On peut toutefois supposer qu'il y avait dans cette pratique une réminiscence du latin, où elle était courante.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Et chez Rabelais (Gargantua)
« En la bataille se tient le roy et les princes de son royaulme ».
À l'époque de La Fontaine, Vaugelas admettra ce type d'accord, limité cependant aux cas où les termes coordonnés sont sentis comme synonymes ou du moins comme « approchants ».
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Claude
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Message par Claude »

Islwyn a écrit :C'est que ce « combat » est écrit en vers heptasyllabiques. « Pussent » aurait créé une syllabe de trop.
Quoi | que | pût | faire | Ar| ta | pax
Quoi | que | pu | ssent | faire | Ar | ta | pax
Licence poétique comme encor au lieu d'encore ?
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Pas vraiment. Nous avons vu que l'usage de l'époque justifie le singulier, et que la métrique l'exige. Il n'y a donc pas de « licence ».
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Claude
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Message par Claude »

J'ai bien compris, moi qui croyais avoir fait la découverte du siècle. :lol:
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