Vocabulaire et jargon de la correction

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GB-91
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Vocabulaire et jargon de la correction

Message par GB-91 »

Vocabulaire et jargon de la correction.

- Le correcteur travaille dans un cassetin. La casse est le tiroir compartimenté où se rangent les caractères, le casseau une sorte de boîte également compartimentée et plus petite dans laquelle figurent les caractères peu usités, le cassetin tire son nom d’un des compartiments de cette casse.
- Il opère sous les regards et l’autorité du chef correcteur appelé réglette. La fonction de réglette se confond souvent avec celle de morassier, dernier œil porté sur les pages composées avant le « serrage » c’est-à-dire la mise sous presse. Le cas de conscience survient lorsque, après serrage, le morassier découvre une ultime coquille qui a échappé aux lecteurs en première (C’est alors que le prote, appelé aussi « pageux », intervient : « Va au diable avec ton participe passé, fallait y penser avant ! »).
- Il parle bas pour ne pas troubler l’attention de ses collègues. S’il converse de tout autre sujet que professionnel avec un collègue, on dit qu’ils « vissent un ours » (d’où le verbe ourser).
- Il dispose du Larousse, du Littré, du Grevisse, du Robert mais aussi d’un dictionnaire des communes, d’un atlas, d’ouvrages dits de référence en harmonie avec les travaux habituels de la maison.
- Il respecte ce qu’on appelle « les marches » qui sont des interprétations du code typographique ou des particularismes aux origines incertaines, propres à un travail répétitif. Exemple : dans les débats de l’Assemblée nationale, on écrira M. Untel, pour le Sénat on écrira M. Jean-Pierre Untel. S’il y a homonymie, à l’Assemblée nationale on précisera M. Untel (Savoie) et M. Untel (Haute-Saône). Mais la « marche » est parfois définie par une fantaisie de l’auteur ou de l’éditeur auquel on donne satisfaction pour d’évidentes raisons commerciales (abréger francs par Frcs, par exemple, ou répéter les fonctions chaque fois que revient le patronyme : M. Chose, Directeur Technique, M. Truc, Adjoint de Direction auprès de M. Machin, Directeur Général…). Fastidieux, affreux et non négociable.
- Il achève la lecture de chaque feuillet en apposant sa signature. Il peut interroger la copie en entourant un passage litigieux ou douteux et en ajoutant un point d’interrogation mais il se garde d’écrire charabia ou Je ne suis pas Champollion dans la marge.
- Il ne dit pas majuscule mais capitale. Il appelle division le trait d’union et points de suite les points de suspension. Il appelle exclamatif (ou admiratif, ou clam) le point d’exclamation, interrogant ou rog le point d’interrogation. Il souligne d’un trait pour réclamer un passage en ital, de deux traits pour des petites caps. Il place un a-chapeau ou a-flex au mot âne, un e-violettes à ambiguë. Il appose ce signe # sur le dernier feuillet d’une liasse de copie et d’épreuves pour indiquer que c’est l’ultime.
- Il fête les anniversaires, les naissances, parfois les saints du calendrier par une « tasse » qui se tient au milieu du cassetin et s’ouvre par un « A-la… ». Après une période probatoire d’embauche qui varie selon les établissements, il applique l’article IV lequel consiste à fêter l’événement par une tasse mémorable qui réunit tout l’atelier.
- Il respecte religieusement la copie. Heureusement pour la langue française il y a parmi les correcteurs de nombreux impies et agnostiques. Le respect rigoureux de la copie tient à deux choses : la destination du texte, c’est-à-dire le lecteur, et l’amour propre de son auteur. Il en est à qui l’on peut suggérer un remplaçant au verbe faire ou le choix d’une préposition plus appropriée. Il en est d’autres qui ont raison en toute circonstance et avec lesquels on ne discute pas. Lorsque je parle du lecteur, entendons-nous : tous les romans ne sont pas des prix Goncourt et la notice de fonctionnement d’un appareil domestique demande plus de rigueur que le compte rendu d’un tournoi de pétanque.

Tout ce qui précède est caduc, le rouleau compresseur informatique a tout écrasé au cours des vingt dernières années. Les usages et le langage vont se perdre comme se sont perdus les saveurs des vrais fruits sur les étals des supermarchés. Nostalgie…
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Ce que vous nous apprenez là est très intéressant. J'ai fait un stage au service de correction d'une grande maison d'édition et, en effet, les choses se passaient tout à fait autrement.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Jacques
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Message par Jacques »

Il paraît que l'expression « vingt-deux » lancée en avertissement viendrait du domaine de l'imprimerie. Deux explications sont avancées : si on additionne la valeur des lettres du mot chef selon leur rang, cela donne vingt-deux. D'où : attention, voilà le chef !
Une autre est que le mot chef, pour marquer son importance, s'écrirait en caractères de corps 22, alors que les autres sont en corps 12 en moyenne. Et du même coup, on crierait quarante-quatre ! pour signaler l'arrivée du patron.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

C'est intéressant, ce que vous dites. Mais moi, je l'ai entendue, le plus souvent, suivie de « v'là les flics », ce qui sort du domaine de l'imprimerie.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
GB-91
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Message par GB-91 »

22 ou 44, jamais entendu ça dans une des dix-neuf imprimeries où je suis passé durant ma carrière.
Pour compléter :
Pas de 22 ni 44 mais en revanche un Pooooooo grave et prolongé, une contraction du mot chapeau, lorsqu'un visiteur étranger se présente et omet de saluer la cantonade. Ceci, probablement pour lui rappeler qu'on se découvre par respect pour ceux qui travaillent. Il ne faut pas oublier qu'au XVIIe siècle les compagnons imprimeurs étaient autorisés à porter l'épée, symbole de leur défense du beau langage.
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Jacques
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Message par Jacques »

GB-91 a écrit :22 ou 44, jamais entendu ça dans une des dix-neuf imprimeries où je suis passé durant ma carrière.
Je me doutais que c'était encore une fantaisie. C'est une amie qui m'avait rapporté cette histoire de corps de caractères, et j'avais du mal à la gober.
Le dictionnaire d'argot cite : « Vingt-deux qu'y dit le mec, c'est les flics ! »
Et il précise : Origine peu claire, sans doute d'un codage.
Donc l'histoire du chef serait également loufoque.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
GB-91
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Message par GB-91 »

Et la faute, tu l'as vue?


Autocitation : Tout ce qui précède est caduc, le rouleau compresseur informatique a tout écrasé au cours des vingt dernières années. Les usages et le langage vont se perdre comme se sont perdus les saveurs des vrais fruits sur les étals des supermarchés. Nostalgie…
Avec une faute au mot perdus. J'ai remplacé goûts par saveurs sans me relire. C'est aussi ça la correction.
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Jacques
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Message par Jacques »

Mais quand vous détectez une faute dans votre texte, une faute de frappe ou due à un instant de distraction, vous pouvez réparer le mal en éditant votre message et en le corrigeant vous-même, et inutile de présenter un mea culpa.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Surtout si personne n'a rien vu. :wink:
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Herdé76
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Message par Herdé76 »

Jacques a écrit :
GB-91 a écrit :22 ou 44, jamais entendu ça dans une des dix-neuf imprimeries où je suis passé durant ma carrière.
Je me doutais que c'était encore une fantaisie. C'est une amie qui m'avait rapporté cette histoire de corps de caractères, et j'avais du mal à la gober.
Le dictionnaire d'argot cite : « Vingt-deux qu'y dit le mec, c'est les flics ! »
Et il précise : Origine peu claire, sans doute d'un codage.
Donc l'histoire du chef serait également loufoque.
Quand j'étais gamin mon grand-père m'avait expliqué que l'origine de cette expression "22, v'la les flics" trouvait son origine à une époque où les voitures de police étaient immatriculées dans le département des "Côtes du Nord" (22) aujourd'hui Côtes d'Armor. Mais je ne peux garantir cette explication je ne trouve rien sur internet à ce sujet).
GB-91
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Message par GB-91 »

Pour compléter vos connaissances et sur la suggestion de notre collègue hippocampus roussillonis, je vous livre un petit échantillon du vocabulaire du cassetin :

Chameau : la direction l’appelle classeur. C’est le distributeur qui parcourt inlassablement le cassetin pour répartir et reprendre les copies et les épreuves corrigées. Ils sont deux par service, un qui distribue et un autre qui classe et archive copies et épreuves.
Suiveur (ou rouleur) : correcteur appelé en renfort auprès du bureau de placement du syndicat pour remplacer un défaillant ou en cas d’une augmentation de la pagination.
Malheureux : correcteur qui reste après le départ des équipiers pour assurer les dernières tierces avant le serrage et l’impression.
Brisure : demi-heure accordée en milieu de service pour recharger les batteries au bar du coin ou sur le boulevard.
Réglette : le chef d’équipe chez les correcteurs.
Pageux : le prote. Commande la composition et la correction.
Le bouquin : l’agenda sur lequel sont portés les noms des présents et qui sert aussi à la correspondance entre équipes.
Éculeux : nouvel arrivant au JO devenu « piéton ». Deviendra plus tard « actionnaire » c’est-à-dire sociétaire de la SACIJO (Société anonyme de composition et d’impression des journaux officiels). Nouvelle parenthèse : à Estienne, il y avait les culus, les élèves de première année. Le mot vient de « circulus », passage probatoire dans tous les ateliers du lycée afin de déterminer et choisir une spécialité parmi les treize qui étaient proposées.
Tournage : quand c’est chacun son tour pour les corvées ou les travaux rebutants (voir malheureux).
Plomb(s) : jetons que le chameau attribue en même temps qu’un travail long ou fastidieux et qu’il reprend lors des tours suivants jusqu’à épuisement sans donner de copie. Jadis, c’étaient des lingots de 6 douzes en corps 10, remplacés par des jetons de couleur en plastique.
# : signe appelé « la queue », porté sur la dernière page d’une copie qui en comporte plusieurs.
La tasse : quand verres et bouteilles variées sont alignés sur le marbre préalablement recouvert de papier. On fait alors un « A-la… » pour honorer celui qui arrose.
Visser un ours : conversation un peu longuette (qui risque de déranger ceux qui se concentrent).
La banque : la paie. Jadis, nous étions payés en espèces, à la semaine, le vendredi. Quand le comptable arrivait avec son plateau garni d’enveloppes, on entendait dans les ateliers « La Baaaannn-queee ! » suivi des noms des radins les plus notoires.
J’en oublie, ça me reviendra.
Bon dimanche et bonnes fêtes de fin d’année, GB.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Eh bien, je ne me doutais pas qu'il y eût tant de mots de jargon dans ce métier. C'est toujours aussi intéressant. Merci GB-91 !
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
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Jacques
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Message par Jacques »

Herdé76 a écrit : Quand j'étais gamin mon grand-père m'avait expliqué que l'origine de cette expression "22, v'la les flics" trouvait son origine à une époque où les voitures de police étaient immatriculées dans le département des "Côtes du Nord" (22) aujourd'hui Côtes d'Armor. Mais je ne peux garantir cette explication je ne trouve rien sur internet à ce sujet).
Selon mon dictionnaire d'argot l'origine n'est pas connue. Comme toujours dans un tel cas on trouve pas mal d'hypothèses fantaisistes.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Selon d'autres sources, vingt-deux ! est et était utilisé dans bien des ateliers pour signaler l'arrivée du chef. Avec le codage simple qui consiste à donner à une lettre son numéro d'ordre dans l'alphabet, on obtient pour chef un total de 22.
Un équivalent de vingt-deux ! pour alerter ses collègues est : tus ! tus !
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Jacques
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Message par Jacques »

J'ai proposé cette version, mais GB-91 nous dit qu'il n'a jamais entendu cela dans le monde de l'édition.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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