Le français d'ailleurs

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Jacques
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Le français d'ailleurs

Message par Jacques »

Je retrouve un article publié dans notre revue par un membre de Défense de la langue française, polyglotte et grand voyageur, qui court le monde pour son métier de journaliste :
Au cours d’une trentaine de visites au Québec, j’ai noté une vraie litanie dont les quelques exemples que voici devraient vous divertir.
La première fois où j’entrai dans une cabine téléphonique, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre la demoiselle des Télécommunications me dire : « Mettez une piastre et dix sous dans la fente. » Il s’agissait d’un dollar et dix cents.
Une autre fois, visitant le Parlement, je pus difficilement étouffer un éclat de rire lorsque mon cicérone me dit tout de go : « J’suis fier, car c’te fois, j’ai été élu par 47 ballots sur 60. » Il parlait bien sûr de 47 voix.
À l’apéritif, un soir, mon hôte s’enquit de mon choix : « J’aime tout, lui dis-je, donne-moi comme pour toi. » C’est alors que mon amphitryon conclut : « Ben, on va prendre un Jeannot Marcheur ! » en posant sur la table une bouteille de Johnny Walker. « Le veux-tu sur des rochers ? Avec un peu d’eau furieuse ? »
Je n’oublierai jamais cette balade en voiture en compagnie d’un fermier de Trois-Rivières. Tout d’abord, nous étions allés chercher sa blonde (une brunette : toutes les femmes sont appelées « des blondes ») avec son char (sa voiture) et nous étions passés chez le dépanneur (épicier du coin) acheter des beignes (beignets). Un arrêt à la station de gaz (station service) pour remplir le tank (réservoir), contrôler le criard (avertisseur) et souffler un tire (gonfler un pneu), et nous voilà partis.
La route était fort trafiquée (encombrée par la circulation). Deux fois, on dut s’arrêter à la traverse de chemin de fer (passage à niveau) et attendre que les gros chars (trains) passent.
Au troisième arrêt, c’était un restaurant. Denis prit de la dinde avec fard (farcie) et moi une soupe de barley (bouillie d’orge). À la table d’à côté, un homme était en brosse (ivre). Il cherchait un argument (querelle) à son voisin. Il le traitait de casseux d’veillée (trouble-fête). Le patron décida de payer une traite (tournée) et nous reprîmes la route.
Ce samedi-là, beaucoup de jeunes, étudiants pour la plupart, voyageaient sur le pouce (faisaient du stop), d’autres nous dépassaient sur leur bicycle à gazoline (moto). Quelques-uns essayaient leurs chars usagés (voitures d’occasion). Le soir, à Péribonka, on s’est matché (on a fait connaissance) avec un couple de Montréalais qui turlutaient (fredonnaient) un air du pays. Le mari était baquet (corpulent), il était constable (agent de police) et elle collet blanc (employée de bureau). C’étaient des vrais placoteux (bavards). Cela devenait achalant (agaçant) à la fin.
Au retour, c’est moi qui ai tenu la roue (pris le volant). On avait fait une belle ride (promenade).
Comme je revenais l’autre jour par Miami, la ville de Floride où les oiseaux de neige (Canadiens) ont coutume de passer une partie de l’hiver, le serveur du bar me dit :
– Vous êtes français, il paraît ?
– Oui.
Il ajouta alors : "D’Québec ou d’Montréal ?".
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Ce texte est formidable et l'on ressent le besoin de commenter chacune des particularités qu'il comporte aux yeux d'un francophone d'Europe, parce qu'elles sont de natures très diverses : leur origine me paraît claire pour certaines, mystérieuse pour d'autres. Je suppose qu'en son temps l'article avait dû provoquer des réactions de lecteurs.
"Piastre" : mot français d'origine italienne. Aucune influence de l'anglais sur son emploi par les Canadiens francophones.
"Sou" : Dans la France d'Ancien Régime, pièce de cuivre ou de bronze, ou monnaie de compte valant 1/20 de livre (Larousse). Aucune influence de l'anglais.
"Ballot" : vieux mot français adopté par l'anglais et repris par le français canadien.
"Jeannot Marcheur" : traduction (humoristique ?) d'un nom propre.
"Rocher" : anglicisme
"Eau furieuse" : peut-être un anglicisme ?
"Fermier" : au Québec encore davantage qu'en France, et sous influence de l'anglais, le mot est mis pour "paysan", "agriculteur".
"Blonde" : sens local, l'anglais n'y joue apparemment aucun rôle.
"Char" : peut-être influencé par "car" ?
"Dépanneur" : peut-être créé dans ce sens sous influence de l'anglais ?
"Beigne" : raccourci de "beignet" ?
"Station de gaz" : anglicisme.
"Tank" : anglicisme.
"Criard" : sens local, l'anglais y joue-t-il un rôle ?
"Tire" : anglicisme
"Trafiqué" : anglicisme
"Traverse de chemin de fer" : sens local, l'anglais n'y joue apparemment aucun rôle.
"Argument" : anglicisme.
"Casseux d'veillée" : français patoisant de l'Ouest de l'Hexagone.
"Traite" : anglicisme ?
"Voyager sur le pouce" : sens local, l'anglais n'y joue apparemment aucun rôle.
"Bicycle à gazoline" : anglicisme.
"Se matcher" : anglicisme
"Turluter" : vieux français
"Baquet" : sens local.
"Constable" : anglicisme.
"Collet blanc" : sens local.
"Placoteux" : Formé sur "placoter", déformation de "clapoter" (Larousse).
"Achalant" : français patoisant de l'Ouest de l'Hexagone. Dans la Sarthe, j'employais moi-même ce mot dans les années cinquante, à l'instar de ma mère et de ma grand-mère maternelle.
"Roue" : sens local.
"Ride" : anglicisme
"Oiseau de neige" : sens local.
Dernière modification par André (G., R.) le dim. 22 sept. 2013, 9:35, modifié 1 fois.
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Perkele
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Message par Perkele »

Je ne vois pas d'anglicisme dans le bicycle (mâle de la bicyclette) à gaz. :shock:
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Claude
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Message par Claude »

Je me suis régalé à la lecture de ce texte. :lol:
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Jacques
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Message par Jacques »

Merci André, Georges, Raymond, pour l'analyse des origines confirmées ou supposées du vocabulaire.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Islwyn
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Message par Islwyn »

« Voyager sur le pouce » : sans doute modelé sur l'expression angl. « to thumb a lift » (= faire de l'auto-stop).
Quantum mutatus ab illo
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est une explication vraisemblable.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Manni-Gédéon
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Message par Manni-Gédéon »

Ce texte est amusant.
Sans la traduction, j'aurais de la peine à comprendre certains passages.
L'erreur ne devient pas vérité parce qu'elle se propage et se multiplie ; la vérité ne devient pas erreur parce que nul ne la voit.
Gandhi, La Jeune Inde
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Jacques
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Message par Jacques »

Manni-Gédéon a écrit :Ce texte est amusant.
Sans la traduction, j'aurais de la peine à comprendre certains passages.
C'est vrai pour tous les francophones d'Europe. Et encore, à l'écrit nous n'avons pas l'accent !
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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