Tics linguistiques

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Islwyn
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Message par Islwyn »

Jacques a écrit :Le tutoiement systématique, non consenti, sans accord réciproque, me semble incorrect, sans-gêne, et comme vous dites méprisant.
En effet, et moi, bien qu'Anglais, je suis toujours choqué par le tutoiement facile. Par contre, je suis très content, voire ravi, de m'entendre tutoyer par quelqu'un que je connais depuis un certain temps. Le facteur principal reste le contexte social.
À propos du tutoiement en anglais, son emploi était plus général en ancien et moyen anglais, et il en existe des reliques dans certains dialectes toujours vivants.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Une erreur d'attention n'est pas à l'origine de ma phrase, mais peut-être une mauvaise interprétation de ce que j'entends et lis sur la langue anglaise. J'ai cité moi-même ici il y a quelques semaines une phrase, extraite d'une prière chrétienne, je crois, où apparaissait le pronom thou. Mais on m'a dit souvent qu'il avait disparu en anglais contemporain. Étant donné que l'on y dit you y compris aux intimes, aux enfants, aux animaux et aux plantes, je pensais qu'il s'agissait maintenant de l'équivalent d'une sorte de tutoiement généralisé, ce en quoi je me trompais : merci de m'avoir aidé à y voir plus clair.
Je serais d'ailleurs curieux de savoir ce qui, dans le texte d'origine, fait passer, en français, du vouvoiement au tutoiement les traducteurs d'œuvres littéraires ou cinématographiques anglophones.
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Jacques
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Message par Jacques »

André (G., R.) a écrit :J'ai cité moi-même ici il y a quelques semaines une phrase, extraite d'une prière chrétienne, je crois, où apparaissait le pronom thou.

Dans les prières c'est normal, le tutoiement apporte, si on veut, de la solennité.
André (G., R.) a écrit :Je serais d'ailleurs curieux de savoir ce qui, dans le texte d'origine, fait passer, en français, du vouvoiement au tutoiement les traducteurs d'œuvres littéraires ou cinématographiques anglophones.
Dans les transcriptions d'œuvres quelles qu'elles soient, je le sais pour l'avoir souvent appliqué, il s'agit non de reproduire fidèlement la phrase d'origine, mais de faire une adaptation en fonction de l'usage français, vers lequel on traduit.
Si l'usage français est de tutoyer dans un cas semblable, alors on le transcrit ainsi.
Prenons un exemple avec ce début d'une histoire drôle : « Tell me, you lazy boy, why you come to school so late this morning, said an Irish schoolmaster to one of his pupils... »
Je ne traduirai pas : Dites-moi, petit fainéant, pourquoi vous arrivez si tard à l'école ce matin, disait un instituteur irlandais à un de ses élèves, version littérale, mais Dis-moi, petit fainéant, pourquoi tu arrives...
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Il y a tout de même de quoi être perplexe ! Le tutoiement français correspond à une familiarité, l'anglais à l'inverse, à de la solennité. Je me demande donc pour l'anglais s'il ne s'agit pas d'une forme verbale à n'être plus que formellement de la deuxième personne du singulier.
En ce qui concerne les films ou les romans anglophones, il m'est arrivé de constater, dans leur version française, qu'à leur début deux personnes se vouvoient, puis se tutoient plus tard : je me pose la question de savoir ce qui en anglais justifie ce changement en français. J'ai même lu un jour, malheureusement l'œuvre concernée m'échappe, un commentaire sur un livre anglais expliquant que deux interlocuteurs se mettaient à tel moment à se « tutoyer ».
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Jacques
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Message par Jacques »

De quoi être perplexe en effet. Mais si vous poussez plus loin l'observation, vous remarquerez que même dans un film français d'origine, donc non traduit, il y a des anomalies et que, là aussi, des personnes se disent tantôt TU tantôt VOUS sans ordre logique. Il y a d'autres bizarreries, dans les détails du visage, l'habillage ou les attitudes qui changent en alternance, dans les décors aussi.
Il paraît que les scènes ne sont pas tournées dans l'ordre de passage, que tout se met en place au montage, il y a donc des ratés.
Islwyn nous éclairera peut-être sur cette solennité du TU, qui est à l'inverse de ce qui se fait chez nous.
Dans les prières en français, jadis on devait toujours vouvoyer Dieu, depuis environ un quart de siècle on lui dit TU, peut-être avec l'idée que cela montre davantage que nous sommes ses enfants, que nous sommes proches de lui et dans son intimité ; je ne sais pas, je ne suis guère croyant mais je ne pense pas être loin de la vérité.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Islwyn
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Message par Islwyn »

La deuxième personne du singulier du verbe anglais (pronom : thou) commence à disparaître au XVIIe siècle (mais après Shakespeare), et est définitivement vieillie au XVIIIe. La forme du verbe qui l'accompagnait constituait une anomalie dans la conjugaison : thou shalt, thou doest, thou readest, etc., et tout comme l'obstacle que présentait la troisième personne (he doth, he readeth, he maketh, etc.) est absorbée dans le régime « normal » (do / does).
Que thou (sujet), thee (objet), thy (possessif), thine (pronom possessif) persistent dans l'usage ecclésiastique vient surtout du fait que la « King James Version » de la Bible, datant de 1611 mais dans une grande mesure redevable aux versions de Tyndale et de Coverdale des années 1520-1530, garde les formes anciennes de la langue vues comme plus révérencielles envers la divinité. Et encore les réformes liturgiques récentes tendent-elles à moderniser le vocabulaire de l'Église anglicane.
La familiarité du tutoiement français se trouve transposée en anglais par d'autres choix lexicaux, le pronom personnel you restant partout la norme.
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Jacques
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Message par Jacques »

Merci de tous ces renseignements, c'est très intéressant. Ce que j'ai lu un jour dans un manuel d'anglais, c'est que la familiarité de TU est remplacée en anglais par une foule de petits mots : old chap, old fellow, dear... et de nombreux diminutifs ainsi que la pratique du prénom dans des situations où cela ne se ferait pas chez nous. Je me rappelle qu'un jour dans une boutique de disques à Londres, alors que j'avais une vingtaine d'années, une vendeuses, ne pouvant répondre à ma requête, m'avait dit : « Sorry dear, we can't do anything for you » (en français pour les non-anglophones Désolée cher, nous ne pouvons rien faire pour vous).
Notons que cette forme que vous considérez comme irrégulière s'apparente avec ce qui se fait en allemand (du bist, du sprichst...).
Mais pour les bizarreries, il y a en allemand et en espagnol ce tutoiement pluriel qui me laisse perplexe.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Merci beaucoup, Islwyn.
Islwyn a écrit : La forme du verbe qui l'accompagnait constituait une anomalie dans la conjugaison : thou shalt, thou doest, thou readest, etc., et tout comme l'obstacle que présentait la troisième personne (he doth, he readeth, he maketh, etc.) est absorbée dans le régime « normal » (do / does).
Puis-je vous demander en quoi c'était une anomalie ? Je constate que la terminaison des verbes à la deuxième personne du singulier était -st (à l'exception de shall). Or cette marque de deuxième personne du singulier, très « allemande », existe toujours dans la langue de Goethe (du tust, tu fais, du redest, tu causes...). Ce qui frappe ici le germaniste, c'est l'absence se S devant le T de (thou) shalt (du sollst en allemand, tu dois).
Islwyn a écrit :Que thou (sujet), thee (objet), thy (possessif), thine (pronom possessif)...
À ces mots correspondent en allemand moderne du (sujet) (pour thou), dich (objet) (pour thee), dein (adjectif possessif) et deiner, deine et deins (pronoms possessifs) (pour thine). J'espère ne pas abuser de votre bonne volonté en vous demandant de m'éclairer davantage sur thy !

Veuillez excuser ma digression.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Jacques a écrit :Mais pour les bizarreries, il y a en allemand et en espagnol ce tutoiement pluriel qui me laisse perplexe.
Et ce sans parler des trois formes de l'italien ! tu / Lei / voi.
J'ai dit « anomalie » pour la bonne raison que la simplification des conjugaisons héritées du moyen anglais effaça tout ce qui ne fut pas senti comme régulier. Mais ce qui fut vrai pour l'anglais ne l'est pas pour l'allemand.
Pour thy, j'aurais dû écrire « adjectif possessif ». Thou shalt honour thy mother and thy father = tu honoreras ta mère et ton père. Toute la série thou / thee / thy / thine m'intéresse parce que tel dialecte du nord de l'Angleterre continue à les utiliser, souvent sous la forme tha pour les trois premiers. Je le sais pour avoir été élevé dans ces régions, voire avant d'aller au lycée (où on nous en a purgé), je le parlais couramment.
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Jacques
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Message par Jacques »

Pour revenir au français dont nous nous sommes éloignés, j’ai lu un jour dans Grevisse (je crois) qu’à l’origine, en latin comme dans bien d’autres, TU était la forme, sans aucune familiarité, utilisée pour désigner une personne seule, donc le singulier, et VOUS le pluriel. C’est ainsi en chinois, arabe, hébreu, dans les langues africaines et bien d’autres dialectes de toutes origines.
Comme l’empereur romain parlait de lui-même en disant NOUS, (une emphase que nous appelons le nous de majesté), par flatterie les courtisans avaient pris l’habitude de lui dire vous, et c’est ainsi que le « vous de majesté » devint un vous de politesse.
Soit, je veux bien, c’est plausible. Mais alors, pourquoi cette pratique ne se limite-t-elle pas aux langues romanes ? Les autres langues indo-européennes, non issues du latin, font de même autant que je le sache. Il y a là une énigme.
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Stéph

Message par Stéph »

Pour revenir au sujet original (même si l'histoire du tutoiement est intéressante) :) , les fameux tics linguistiques que j'ai évoqués vous choquent-ils dans la vie courante ?

Pour les 300%, j'ai voulu regrouper mais c'est vrai, cela n'a pas la même fonction. Vu récemment dans le journal 20 minutes, en titre de sujet: "Je suis d'accord à 1000%" :shock:
Mais quand cette inflation va-t'elle s'arrêter :arrow:
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Jacques
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Message par Jacques »

Bien sûr que toutes ces manies choquent, c'est très agaçant. Les exagérations sont à la mode, on surenchérit sur tout dans le langage.
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Claude
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Message par Claude »

Jacques a écrit :
André (G., R.) a écrit :J'ai cité moi-même ici il y a quelques semaines une phrase, extraite d'une prière chrétienne, je crois, où apparaissait le pronom thou.

Dans les prières c'est normal, le tutoiement apporte, si on veut, de la solennité. [...]
Voici un exemple d'une évolution en français :
AVANT : Notre Père qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié ;
MAINTENANT : Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

L'hésitation entre le vouvoiement et le tutoiement concerne le Notre Père (Pater noster), non le Je vous salue Marie (Ave Maria), qui s'en tient depuis toujours, je crois, au vouvoiement. Or dans les versions latines anciennes des deux prières (elles-mêmes traductions de textes grecs), le tutoiement est de rigueur :

Pater noster, qui es in caelis,
sanctificetur nomen tuum,
adveniat regnum tuum,
fiat voluntas tua,
sicut in caelo et in terra.
Panem nostrum quotidianum
da nobis hodie
et dimitte nobis debita nostra,
sicut et nos dimittimus
debitoribus nostris,
et ne nos inducas in tentationem,
sed libera nos a malo.

Ave Maria, gratia plena,
Dominus tecum,
Benedicta tu in mulieribus ;
Et benedictus fructus ventris tui, Jesus !
Sancta Maria, Mater Dei,
Ora pro nobis, peccatoribus,
Nunc, et in ora mortis nostræ.
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Jacques
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Message par Jacques »

Ces hésitations entre tu et vous proviennent peut-être des traductions. À l'époque où ces prières furent écrites, le TU ne représentait pas une familiarité mais le pronom singulier, le vous de politesse n'existait pas, du moins en latin et en grec. Les adaptations se seraient donc faites en français selon les époques et leurs coutumes.
À confirmer.
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