Privatiser

angeloï · Message par **angeloï** » lun. 18 juil. 2016, 8:33

J'entends des commentateurs du Tour parler de route "privatisée". Au début, je croyais à un transfert des droits de propriété, mais il me semble que cet emploi du verbe privatiser est à rapprocher de l'affreux "dédier"(au sens moderne et anglicisant) : un emploi réservé et temporaire.

Qu'en pensent les sages achyriens ?

Message par **Leclerc92** » lun. 18 juil. 2016, 8:44

Il semble que les dictionnaires n'aient pas encore noté cette acception moderne du mot que je rencontre assez souvent à Paris : une salle (de restaurant, d'hôtel, une salle municipale, un musée, ...) peut être privatisée pour tel ou tel événement d'ordre privé.
J'avoue que le mot me paraît clair, mais je ne me range pas parmi les « sages achyriens » dont j'attendrai et lirai l'avis avec plaisir.
Âmes sensibles, s'abstenir : il existe un site "listant" les lieux privatisables et il s'appelle, avec un jeu de mot bilingue,
https://www.privateaser.com/

angeloï · Message par **angeloï** » lun. 18 juil. 2016, 8:47

Ne s'agit-il pas simplement d'un doublon de "réserver" ? Je soupçonne cet emploi de "privatiser" de venir, une fois n'est pas coutume, de...l'anglais !

Message par **Leclerc92** » lun. 18 juil. 2016, 9:27

C'est très probable.
Est-ce un crime pour autant, dès lors que le mot est correctement formé et semble répondre à un besoin ? Si les Anglais ont formé ce mot alors qu'ils disposent déjà de to book et to reserve pour réserver, n'est-ce pas que cela correspondait à un certain besoin, lié à la généralisation de ces pratiques (il ne me semble pas qu'on pouvait "privatiser" un musée aussi facilement dans mon enfance). Si le besoin existe, pourquoi les Français devraient-ils se priver d'un mot ad hoc qui sonne bien français ?
Ce sont des questions que je me pose. Je n'ai pas la réponse.

Message par **Perkele** » lun. 18 juil. 2016, 10:30

Il me semble que lorsqu'on "privatise" un restaurant, par exemple, c'est l'établissement tout entier qui n'admet que des invités et non pas quelques tables ou une salle comme lorsqu'on réserve.

André (G., R.)

Le glissement de sens me gêne autant que vous, angeloï. C'est toujours la même question : devons-nous ici promouvoir ou freiner les anglicismes ?
Je lis dans le Robert en six volumes, à l'entrée RÉSERVER :
2° (Dans le langage courant). Attribuer, destiner [...] exclusivement ou spécialement à une personne ou à un groupe [...]
– Consacrer, destiner [...] exclusivement ou spécialement à un usage. Salle réservée aux réunions [...]

Islwyn · Message par **Islwyn** » lun. 18 juil. 2016, 11:57

L'étonnant ici est que « privatisé » dans le sens indiqué ci-dessus n'est pas un anglicisme, tout au plus s'agit-il d'un faux anglicisme. En anglais on dirait plutôt « reserved for private use » [litéralement : réservé à un usage privé] ou « private booking » [lit. réservation privée]. Dans le contexte du Tour, on dirait probablement « closed to non-competitors » [lit. fermé aux non-participants].

Message par **Leclerc92** » lun. 18 juil. 2016, 15:18

Merci de cette précision, Islwyn, qui devrait intéresser les traducteurs de certains sites français écrits en anglais :
http://www.quaibranly.fr/en/professiona ... lic-areas/
http://www.musee-de-salagon.com/en/prep ... useum.html
Peut-être qu'un jour ce sens s'introduira réellement en anglais et sera considéré comme un gallicisme !

Votre intervention permet de simplifier la question et de s'occuper sans a priori du sort de "privatiser" en français dans son acception nouvelle. Est-elle opportune ou non ?

Islwyn · Message par **Islwyn** » lun. 18 juil. 2016, 15:43

Vos liens sont déconcertants.
« Privatize museums » signifie pour moi ce que « privatisez les musées » doit signifier, dans son acception habituelle, pour un Français, c'est-à-dire transférer les musées (biens nationaux) dans le secteur privé (possibilité qui n'est pas, hélas, exclue de nos jours).
Je subodore un américanisme, d'autant plus que « privatize » s'écrit avec un z, là où l'usage en anglais préconise généralement un s.

Message par **Leclerc92** » lun. 18 juil. 2016, 16:04

Il peut s'agir d'un américanisme, ou simplement d'une mauvaise traduction, faite sous l'influence du sens français. J'ai vu des traducteurs, même chevronnés, même de langue maternelle anglaise, commettre quelques erreurs dans des traductions sous l'influence de la langue française, surtout quand ils vivent en France et subissent comme tout un chacun les évolutions de notre vocabulaire.

Yeva Agetuya · Message par **Yeva Agetuya** » mar. 19 juil. 2016, 23:18

Perkele a écrit :Il me semble que lorsqu'on "privatise" un restaurant, par exemple, c'est l'établissement tout entier qui n'admet que des invités et non pas quelques tables ou une salle comme lorsqu'on réserve.

Rien n'empêche de réserver un établissement entier.

Message par **Perkele** » mer. 20 juil. 2016, 8:16

Yeva Agetuya a écrit :
Perkele a écrit :Il me semble que lorsqu'on "privatise" un restaurant, par exemple, c'est l'établissement tout entier qui n'admet que des invités et non pas quelques tables ou une salle comme lorsqu'on réserve.
Rien n'empêche de réserver un établissement entier.

Mais je ne me sens pas de privatiser une table.

André (G., R.) · Message par **André (G., R.)** » mer. 20 juil. 2016, 8:35

Lorsqu'on voyage, y compris en France, on voit de plus en plus souvent l'inscription anglaise Private en toutes sortes de lieux. C'est probablement sous son influence que se fait le glissement de sens : il s'agit alors bel et bien d'un anglicisme, quand bien même, vous l'avez dit, Islwyn, l'équivalent ne se trouve pas en anglais authentique. On peut comparer cela à notre « smoking », pour lequel l'anglais utilise dinner jacket.

Message par **Leclerc92** » mer. 20 juil. 2016, 9:32

angeloï a écrit :Ne s'agit-il pas simplement d'un doublon de "réserver" ?

Ce matin, la télévision passait cette publicité :

qui s'achève par "Solutions de trésorerie réservées à tous".

Je vois que la formule, certainement paradoxale et amusante quand elle a été employée pour la première fois, s'étend :
« La route est réservée à tous, partageons »
https://www.preventionroutiere.asso.fr/ ... artageons/
« Culture : elle doit être réservée à tous ! »
http://pssaintgermain.fr/culture-elle-d ... ee-a-tous/

Petit à petit, le sens de "réserver" risque de se diluer, ce qui favorise l'émergence de substituts comme "privatiser".

L'idée est sans doute de faire passer le message d'un privilège dont tout le monde peut profiter. Les publicitaires nous ont habitués depuis longtemps aux libertés qu'ils prennent avec la langue, et c'est un euphémisme...