Molière assassiné

André (G., R.)
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Molière assassiné

Message par André (G., R.) »

C'est le titre d'un article de la revue Défense de la langue française (1er trimestre 2019). Voici ce qui m'a semblé en être l'essentiel :

J'ai lu L'Avare pour la première fois en 1972 lorsque j'étais étudiant, mais ce n'est qu'en juin 2018 que j'ai eu enfin l'occasion de voir une mise en scène de ce chef-d'œuvre de Molière au théâtre de l'Odéon. Très belle salle, ambiance conviviale, acteurs et actrices de haute qualité. Et pourtant ce spectacle m'a déçu.
[...]
Et je dois même avouer que, comme tous les autres hommes dans la salle, j'ai beaucoup apprécié le moment où, pendant qu'Harpagon explique à Valère sa décision de marier sa fille à Anselme parce que ce dernier « s'engage à la prendre sans dot », Élise enlève son tee-shirt et son soutien-gorge pour révéler aux spectateurs sa belle poitrine. Non, ce qui m'a déplu, c'est qu'après avoir accompli ce geste, Élise prend son rouge à lèvre pour écrire sur son ventre « FREE FUCK » Il s'agit, bien sûr, d'une expression anglaise très vulgaire pour décrire les rapports sexuels, mais de nos jours l'emploi de gros mots s'est banalisé. Ce qui m'a scandalisé, c'est plutôt que cette invention de la part du metteur en scène m'a fait comprendre que l'anglomanie qui sévit actuellement en France est arrivée au point où l'on considère que la « langue de Molière » ne suffit plus, même pour monter une pièce de Molière !

Il faut noter aussi que, avant le spectacle, après avoir annoncé que la salle était ouverte et que les spectateurs pouvaient prendre leurs places, la direction a jugé nécessaire de répéter le même message en anglais. Pourquoi ? Pour qui ? Si leur français était si limité qu'ils ne comprennent pas un message aussi simple que celui-là, ils ne choisiraient certainement pas d'assister à une pièce de Molière.

Donald Lillistone*

* Ancien proviseur de lycée à Middlesbrough, Angleterre.


Je ne crois pas que « Free fuck » décrive les rapports sexuels ! Il s'agit plutôt de la conception qu'en ont certains ! Mais c'est sans importance ici.
Comment ne pas partager l'avis de cet Anglais, qui me rappelle le regretté Islwyn ? Plus d'une fois, j'ai parlé de prostitution à propos de l'anglomanie de trop nombreux francophones. Elle est bien illustrée ci-dessus. Ne cessons pas de la dénoncer.
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Claude
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Re: Molière assassiné

Message par Claude »

On ne peut qu'applaudir cet ancien proviseur d'autant plus qu'il est anglais.
Ce texte mériterait sa place dans un journal quotidien (français bien sûr).
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André (G., R.)
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Re: Molière assassiné

Message par André (G., R.) »

Donald LILISTONE continue de dénoncer le tout-anglais dans le dernier numéro, très intéressant, de Défense de la langue française.

Le meilleur des mondes

Le Lucernaire est un théâtre parisien situé dans le sixième arrondissement. J'ai eu le plaisir d'y assister à plusieurs spectacles innovants de très haute qualité. Pourtant, en été 2018, on y a monté un spectacle musical qui raconte la vie d'Édith Piaf. Son titre ? « I love Piaf ». Quelle ironie de donner un titre anglais à un spectacle sur la chanteuse qui, dans le monde entier, symbolise plus que toutes les autres la France en général et Paris en particulier. Mais ce n'est pas tout. La direction avait pris la décision d'y ajouter le « English Pack », c'est-à-dire accueil en anglais, programme en anglais et sous-titrage en anglais. Néanmoins, une chose dont on peut être certain, c'est que si on connaît et apprécie les chansons de Piaf, c'est qu'on parle français, quelle que soit sa nationalité ou sa langue maternelle. Par conséquent, tous les francophiles venus de l'étranger auraient en horreur une telle anglicisation de cette icône de la culture française.

Il faut constater que le roman français semble tout aussi prêt que le théâtre à accueillir les bras ouverts la domination de la langue anglaise. Parmi les romans écrits en français par des écrivains francophones et publiés en France en 2018 figurent, entre autres, Secrets of Life (Virginie Cailleux, Love Happens (Axelle Tournemire), Community (Estelle Nollet), Drive Me Crazy (Ève Souliac), Only You... & Me (Jeanne Périlhac), Sexy Deal (Alex Roussel), Don't Make Me Love You (Hélène Philippe). Le caractère éminemment ridicule de la plupart de ces titres donne sans doute une bonne indication de la qualité littéraire de ces romans. Mais pourquoi donner un titre en anglais à un roman français ? Pour la même raison, on parle depuis un certain temps des « French Days », du « Black Friday » à la française. Cela signifie que les États-Unis sont de plus en plus perçus comme un modèle à suivre et qu'on accepte, par conséquent, l'anglais comme langue dominante dont on entend imiter les usages, comme l'indique le titre du livre de Géraldine Smith publié en octobre 2018 Vu en Amérique... bientôt en France1.

L'hégémonie américaine n'est pas exclusive de bonnes intentions, ni de certains effets positifs, mais la volonté de répandre partout la culture américaine mène inéluctablement au déclin de toutes les autres cultures. Le linguiste Claude Hagège constate que « cette fascination pour tout ce qui est américain atteint les limites du grotesque »2, ce qui est d'une évidence frappante pour tous les francophiles du monde entier lorsqu'ils ont l'occasion de visiter Paris.

Mais c'est un romancier britannique qui a compris très tôt jusqu'où peut nous mener une telle domination culturelle. En 1932, après un séjour aux États-Unis, Aldous Huxkley a publié Le Meilleur des mondes (titre original : Brave New World), roman d'anticipation qui décrit un avenir dystopique. Il s'agit d'une société fondée sur la technologie et un consumérisme débridé — le monde des GAFA, n'est-ce pas ? — où tout le monde est conditionné pour avoir les mêmes goûts et les mêmes désirs. Par conséquent, tout le monde pense et s'exprime de la même manière. Toute notion de culture est réduite au niveau du divertissement de masse : cinéma doté d'effets spéciaux éblouissants mais dénué de tout contenu intellectuel, musique synthétique homogénéisée, sports dont l'objectif principal est de vendre un équipement spécialisé fort cher plutôt que d'encourager l'excellence sportive, etc. L'action se déroule principalement à Londres, mais l'identité américaine de la société est claire dès le début, parce que la date est « cette année de stabilité, cette année 632 de N.F.3 », c'est-à-dire de Notre Ford, Henry Ford, entrepreneur américain dont les chaînes de montage ont fait baisser les coûts de production et entrer notre monde dans une ère de consommation de masse. Un des hauts fonctionnaires de ce « nouveau monde glorieux » est en train de parler à des étudiants. Il s'interrompt pour poser une question :
« Vous savez ce qu'est le polonais, je suppose ?
— Une langue morte.
— Comme le français et l'allemand, ajouta un autre étudiant, exhibant avec zèle son savoir.
4 »

Quatre-vingts ans avant la publication du livre iconoclaste de Claude Hagège, Contre la pensée unique, Aldous Huxley avait déjà dénoncé les effets néfastes d'une mondialisation à l'américaine dont le support est l'imposition partout de la langue anglaise.

Les partisans du tout-anglais, sans peut-être s'en rendre compte, courent le risque de détruire la richesse et la diversité culturelle de l'Europe. Résistons !

Donald Lillistone*
___________________________________________
* Ancien proviseur de lycée à Middlesbrough, Angleterre.
1. Éditions Stock.
2. Parler, c'est tricoter (Éditions de l'Aube, 2013, p. 38).
3. A. Huxley, traduction française de Brave New World (1932) : Le Meilleur des Mondes (Pocket, p. 27).
4. Op. cit. p. 48.
Leclerc92
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Re: Molière assassiné

Message par Leclerc92 »

Donald : « Néanmoins, une chose dont on peut être certain, c'est que si on connaît et apprécie les chansons de Piaf, c'est qu'on parle français, quelle que soit sa nationalité ou sa langue maternelle. Par conséquent, tous les francophiles venus de l'étranger auraient en horreur une telle anglicisation de cette icône de la culture française. »

Sur ce point, Donald se trompe. Je connais beaucoup d'Américains qui adorent Piaf mais ne parlent pas notre langue en dehors de quelques mots. Ils seraient très heureux d'avoir le sous-titrage en anglais.
De même, en France, quand les deux films anglophones récents sur Freddie Mercury et sur Elton John sont sortis, je suppose que les amateurs francophones qui sont allés au cinéma voir ces films en version originale étaient quand même bien contents d'avoir les sous-titres. On peut aimer et connaître des chansons dans une langue étrangère sans maîtriser totalement la langue étrangère. Et quand je vais à l'Opéra entendre du Tchaïkowski, du Wagner ou du Verdi, j'apprécie bien les sous-titres même si je baragouine quelques mots de russe, d'allemand ou d'italien. Je note qu'à l'Opéra de Paris, les sous-titres sont (re)donnés systématiquement en français et... en anglais. Horresco referens.
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Claude
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Re: Molière assassiné

Message par Claude »

Leclerc92 a écrit : jeu. 20 juin 2019, 15:33 [...]Et quand je vais à l'Opéra entendre du Tchaïkowski, du Wagner ou du Verdi, j'apprécie bien les sous-titres même si je baragouine quelques mots de russe, d'allemand ou d'italien. Je note qu'à l'Opéra de Paris, les sous-titres sont (re)donnés systématiquement en français et... en anglais. Horresco referens.
André n'aurait pas besoin de sous-titrage s'il se rendait au festival de Bayreuth. :wink:
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Leclerc92
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Re: Molière assassiné

Message par Leclerc92 »

Je n'en doute pas. Je suis moins doué et j'ai généralement besoin de sous-titres même en français, car ce n'est pas toujours aisé de comprendre ce qu'on chante, surtout en voix aigüe.
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