Sur un emploi de ni.

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Klausinski
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Sur un emploi de ni.

Message par Klausinski »

Chez un auteur peu négligent, je tombe sur ces phrases : "Par-dessus tout, qu'ils ne se donnent pas pour des hommes de foi. Ou, ni on ne les prendra pour ce qu'ils veulent être, ni on ne les souffrira en ce qu'ils sont."

Cet emploi de la conjonction "ni" me choque. Pour ma part, je ne le placerai pas avant un pronom en position de sujet. Je me serais plutôt attendu à des formulations telles que les suivantes : "On ne les prendra ni pour ce qu'ils veulent être ni pour ce qu'ils sont" ou bien "On ne les prendra pas pour ce qu'ils veulent être et on ne les souffrira pas en ce qu'ils sont." Mais je suis naturellement moins audacieux que ce grand auteur.

Croyez-vous que cet emploi de "ni" soit correct ?
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Diomède
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Message par Diomède »

Je trouve que cette proposition n'est pas désagréable à entendre, sauf, je trouve, le "ou, ni...". Mais je pense que c'est accepté.
Qu'il est sombre, le rire amer des grandes eaux !
Leconte de Lisle
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Message par Invité »

Je doute qu'un écrivains jusqu'avant guerre ait pu écrire une telle horreur. Ou ni on...ni on.
ion ion
c'est pas loin du hi-han hi-han

Votre auteur a-t-il de grandes oreilles?
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Mon auteur est mort en 1948 et n'avait pas de grandes oreilles. Non mais ! Il s'agit de Suarès.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Message par Invité »

Vous avez de ces trouvailles! De Suarès je connaissais juste le nom, je ne savais pas ce qu'on pouvait en dire. Wikipedia m'a doné quelques repères. Apparemment sa littérature n'a pas laissé de marques profondes et reste sans postérité.
L'extrait que vous citez ne porte pas à le lire. Peut-être manque-t-il de style?
Voici ce que disait Chateaubriand d'un auteur anglais:
Si Richardson n'a pas de style (ce dont nous ne sommes pas juges, nous autres étrangers), il ne vivra pas, parce que l'on ne vit que par le style. En vain on se révolte contre cette vérité : l'ouvrage le mieux composé, orné de portraits d'une bonne ressemblance, rempli de mille autres perfections, est mort-né si le style manque. Le style, et il y en a de mille sortes, ne s'apprend pas ; c'est le don du ciel, c'est le talent.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Suarès est un fort bon auteur et il a du style, la preuve :
Elle est baignée d’air. Elle voit le ciel, les arbres et les saisons. Je n’évoque pas votre amoureuse de théâtre, une vieille femme au cou de taureau, qui pousse ses roulades, comme si elle était assise, infirme, et qu’elle ne pût avancer que sous ce vent en poupe : car il vous les faut d’au moins cinquante ans, vos héroïnes. Ni la jeune femme qu’elle est aussi quelquefois, pleine de son, je dis de sciure, une poupée d’Amérique, qui n’a d’yeux, de ventre et de voix que pour elle-même : de là son luxe charnel, et sa santé ; et ses perles dans le chignon, et le caillou si lourd sous la gorge.
Non, je vois la fillette au teint jaune, la petite de treize ans, qu’un tel amour a prise qu’elle est folle, qu’elle doit vivre toute sa vie en quelques jours ; et il faut qu’elle meure : car elle ne pourrait pas même enfanter.
Je la vois, la joue longue, l’haleine qui brûle, comme le narcisse. Elle rit en fronçant le sourcil, et presque en mourant. Quand elle grince des dents, elle se mord la langue.
Son ventre étroit est de feu. Et sa gorge est pareille à deux boutons de pavot. Au jour, si elle pâlit, elle est verte. Et le soir, aux lumières, elle est comme une tubéreuse : sa pâleur est éclatante. Elle sent l’herbe verte. Son parfum est d’eau qui bouge sur la prairie, fraîchement fauchée. Elle brûle, elle brûle.
Ses yeux font mal, tant ils se consument. Tant ils veulent vivre, ils meurent d’amour. Au nom seul de Roméo, elle tend sa bouche. L’arc de son corps sourit. Ses lèvres ardentes crient ; elles meurent si elle ne reçoit le vin de la langue, dans le fruit des baisers. Tout son corps tremble. Et ses cuisses se serrent. Et elle sent l’odeur de l’encens, que son sang fume. Et le reste du temps, elle veut dormir, et se retourne sur son lit, accablée.
Voilà comme elle sort de sa maison, pour venir à son tombeau. Et c’est son amour qui la porte. Elle n’a fait qu’une promenade. Juliette n’est sortie seule qu’une fois. L’amour l’a tenue par le bras. Elle a brûlé : elle est morte. Parce qu’on meurt d’aimer et qu’on n’en saurait pas vivre.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Message par Invité »

Je ne dis pas.

Vous conseilleriez quel livre pour commencer?
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Il a écrit une relation de ses voyages successifs en Italie sous le titre Le Voyage du Condottière (en trois parties : Venise, Fiorenza, Sienne la bien-aimée -- mais pas Rome qu'il commençait à détester). Je la conseille pour plusieurs raison : on peut encore la trouver facilement et en poche, elle est magnifiquement écrite et pleine de références, d'enthousiasmes, de jugements artistiques. Voilà. :wink:
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Message par Invité »

Merci, je vais inscrire ça sur mes tablettes.

Le hasard fait que je suis en train de lire en ce moment un auteur qui couvre à peu près la même période que Suarès, à cheval sur les 2 siècles. Un écrivain pas très connu, on dirait aujourd'hui régional.
Jean RAMEAU (Laurent Larbaigt) - 1858-1942 - poète et romancier

Le livre s'appelle MOUNE, il sort d'un vieux fonds de bibliothèque familiale, ça se passe dans le pays d'Orthe, près de Peyrehorade.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

(J'espère que les autres nous pardonneront de nous écarter du premier sujet de ce ce fil.)

Je ne connaissais pas du tout l'auteur dont vous parlez. Je viens de lire un de ses poèmes, le poème misogyne. Je ne sais qu'en penser, il faudrait d'autres exemples. Vous plaît-il ?
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
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Message par Invité »

Je suis tombé en effet sur le texte en question. Il passe mal aujourd'hui, c'est sûr. Je l'ai comme vous trouvé sur le forum (Dieu et le diable c'est cela? il y a aussi le poème des seins...). J'ai l'impression que c'est le poème qui fait qu'on parle encore de Jean Rameau (en dehors de sa Gloriette à Pourtaou), la postérité parfois réserve de ces surprises.

Pour le reste je lis MOUNE, c'est tout ce que je connais. C'est l'histoire de 2 soeurs l'une contrefaite l'autre jolie, l'une se croyant aimée, l'autre l'étant par le beau Justin. C'est un roman dans la veine naturaliste proche de Maupassant, Zola, Alexis etc.

A propos de forum, j'ai trouvé cette expression: "Chaque fois qu'il la rencontrait, il lui demandait des nouvelles de la récolte, comme font les paysans bien appris".

"bien appris" au sens de "bien éduqué".

Cet emploi est étonnant non? N'a-t-il pas déjà été évoqué dans le forum?

Ce doit être un régionalisme comme dirait Jac.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Votre expression se trouve référencée dans le TLFi, c'est du registre familier, une expression synonyme de "bien élevé". De nos jours, on connaît surtout l'expression antonyme qui s'est substantivée : "mal appris" donnant "malappris".

J'aime bien l'exemple donné par le TLFi où l'expression "bien appris" signifie "bien dressé" :

"Les deux sœurs l'examinèrent du coin de l'œil en chattes bien apprises, qui lorgnent une souris sans avoir l'air d'y faire attention.
BALZAC, La Maison Nucingen, 1838, p. 615."

Quant à Jean Romain, je ne crois pas avoir envie de le lire. Le style naturaliste ou réaliste ne me tente pas extraordinairement. A moins que vous sachiez me donner envie de le lire, mais c'est une autre histoire. :wink:
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Message par Invité »

J'en termine avec Moune de Jean Rameau.
Je vous confirme que vous ne perdez rien à ignorer cet auteur.
(Il faut le lire par hasard: Quelques belles pages à son actif, une belle peinture des passions qui transfigurent le monde extérieur).
La postérité n'a pas retenu son nom, sans injustice.

Vocabulaire:
"Yannetouic se réfugia chez son voisin, convaincue que, cette nuit, la maison de Maisonnave serait enguignonnée par l'esprit du diable".

enguignonner: porter le guignon, on dit de nos jours porter la guigne, la malchance.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Oh, merci. Cette lecture n'aura pas été tout à fait sans fruit, vous aurez au moins appris (et nous grâce à vous) un joli verbe. :D
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Message par Klausinski »

Je lis, dans une traduction de Platon, un autre exemple de cet emploi de « ni », qui me prouve qu'il est bien admis :

« Car ni ce n'est en ce monde-ci que de ta part une telle conduite se révélera meilleure, ni plus juste, ni plus pieuse, pas d'avantage pour toi que pour aucun des tiens ; ni elle ne vaudra mieux quand tu auras été rendu là-bas ! »

Cet emploi continue de me troubler et de me paraître un peu pédant, mais on voit mieux ici à quoi il peut servir que dans la citation de Suarès.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
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