Oh que oui !

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valiente
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Oh que oui !

Message par valiente »

Alfred de Musset, dans sa « confession », employait cette tournure :
« … elle répondit qu'oui... »
Je pense que cette phrase doit en déranger plus d’un, non ? Pourtant, elle est correcte.

Encore une fois, je me demande ce que l’on peut accepter ou non, et ce que l'on doit privilégier. Dans l’absolu, je ne vois pas de raison d’interdire cette tournure inhabituelle puisque n’importe quel autre mot commençant par une voyelle la rendrait naturelle :
« Elle répondit qu’à présent l’orthographe la passionnait. »
« Elle répondit qu’il était préférable de se relire. »
« Elle répondit qu’enfin nous avions assez d’exemples. »


Voici une réflexion qui touche à la fois la syntaxe et la prononciation. Dans le cas précis de la phrase de Musset, maintiendriez-vous le "e", ou appliqueriez-vous la règle de l’élision ?
Personnellement, je pencherais pour la seconde proposition à l'écrit et la première à l'oral ; mais alors l'absence d'uniformité me déplait...
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Claude
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Re: Oh que oui !

Message par Claude »

valiente a écrit :« … elle répondit qu'oui... »...
Pouvez-vous nous donner la phrase complète ?
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valiente
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Message par valiente »

Voici la phrase complète :
« J'entendis que le cabaretier lui demandait si elle me connaissait ; elle répondit qu'oui, et qu'on me laissât tranquille. »
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Klausinski
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Message par Klausinski »

La règle donnée par les manuels est que les mots comme « oui » et « onze » ne permettent pas l’élision de l’article les précédant. Littré dit :
« oui ; ce mot a une demi-aspiration : ce oui ; des oui, dites : dê oui ; un oui, dites : un (sans liaison) oui ; le oui et le non ; eh mais oui, dites : eh mê oui ; je crois que oui, je dis que oui ; on dit cependant aussi et on écrit : je crois qu'oui, je dis qu'oui »
ainsi que
« Malherbe élidait l'e de le devant oui : En matière de choses futures, l'oui et le non trouvent des amis, qui parient les uns d'un côté, les autres d'un autre, Lexique, éd. L. Lalanne. »

Le TLFi commente ainsi :
« Ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'élision devant oui: le oui comme le non (pas d'homon. avec l'ouïe), mais fam. et dans des expr. toutes faites: je crois bien qu'oui à la place de que oui. Pas de liaison non plus: un/oui, des/oui (pas d'homon. avec des ouïes). »

Le cas de « onze » est aussi particulier, voir le Littré.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Jacques
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Message par Jacques »

J'ai déjà vu cette forme. Elle n'est pas habituelle. En lisant la phrase complète, j'ai idée que l'auteur, en écrivant « elle répondit qu'oui » a peut-être voulu démontrer que la personne appartient à un milieu populaire, et s'exprime ordinairement dans un style assez populaire. J'ai vu ce type d'artifice utilisé dans cette intention. C'est comme s'il écrivait : « Elle répondit que c'était ptêt' vrai, qu'y fallait voir ». Vous voyez ce que je veux dire. C'est un style indirect, remplaçant habilement la construction Elle répondit : « C'est pt'êt' vrai, faut que je voye ».
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valiente
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Message par valiente »

Quelqu'un n'avait-il pas loué déjà la complémentarité des membres de ce forum ? :wink:
Merci pour vos réponses.
Je viens de regarder le onze expliqué par Littré. C'est un exemple intéressant et bien particulier.
Jacques, votre supposition est à considérer sérieusement. Je ne me souviens plus précisément du contexte, mais je crois qu'il s'agissait effectivement d'une fille de la rue, d'une "abandonnée"...
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valiente
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Message par valiente »

valiente a écrit :je crois qu'il s'agissait effectivement d'une fille de la rue, d'une "abandonnée"...
Après vérification rapide, c'était une erreur de ma part. Voici une rectification :
« Ils disputaient sourdement sur des cartes dégoûtantes; au milieu d'eux était une fille très jeune et très jolie, proprement mise, et qui ne paraissait leur ressembler en rien, si ce n'est par la voix, qu'elle avait aussi enrouée et aussi cassée, avec un visage de rose, que si elle avait été crieuse publique pendant soixante ans. »
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Jacques
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Message par Jacques »

La description de la scène et la voix cassée et enrouée de la fille ont l'air de confirmer qu'elle est d'origine populaire. Ce serait donc la réponse, car nous ne pouvons pas supposer qu'un grand auteur ait pu commettre une faute contre une règle que tout le monde applique.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Grévisse donne encore une information complémentaire ici.

Pour ma part, je ne crois pas que l’exemple cité par Valiente soit la marque d’un parler populaire. La discours est rapporté de manière indirecte ; la fille ne dit donc pas « qu’oui » mais quelque chose comme « Oui. Et laissez-le tranquille ! ». Si la syntaxe du narrateur devait refléter le niveau d’éducation de la personne qui parle, ce qui n’est pas tout à fait exclu, pourquoi prendrait-il la peine, en ce cas, de mettre le verbe laisser à l’imparfait du subjonctif ? Ce serait incohérent.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je l'interprète ainsi : qu'oui décrit le style populaire de la personne, et l'imparfait du subjonctif celui du narrateur. Il est possible que mon interprétation ne soit pas la bonne, je me réfère à des cas semblables où l'intention était évidente. Car alors, comment expliquer que Musset ait pu commettre une telle erreur ?
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valiente
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Message par valiente »

Votre point de vue, Jacques, est certainement souvent vérifié ; vous nous en donnez d'ailleurs de bons exemples.

Mais dans notre cas, et sans vouloir vous donner tort, voici comment Musset fait parler cette femme :
« - Vous souffrez, me dit cette fille en me prenant le bras; vous avez bu comme un enfant que vous êtes, sans savoir ce que vous faisiez. Restez sur cette chaise et attendez qu'il passe un fiacre dans la rue; vous me direz où demeure votre mère, et il vous mènera chez vous; puisque vraiment, ajouta-t-elle en riant, puisque vraiment vous me trouvez laide. »

Le texte complet est ici. (Vous pouvez utiliser la fonction "rechercher" et renseigner qu'oui, pour arriver directement sur l'extrait en question)

Je rejoins alors l'interrogation de Jacques ; si Musset n'utilise pas cette forme dans le but que l'on pouvait penser, est-ce à dire qu'il l'utilise simplement par goût ?
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Klausinski
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Message par Klausinski »

valiente a écrit :Le texte complet est ici. (Vous pouvez utiliser la fonction "rechercher" et renseigner qu'oui, pour arriver directement sur l'extrait en question)

Je rejoins alors l'interrogation de Jacques ; si Musset n'utilise pas cette forme dans le but que l'on pouvait penser, est-ce à dire qu'il l'utilise simplement par goût ?
Jacques, comme dit Valiente, votre avis est souvent des plus pertinents, mais pour cette fois, je redis que l’expression « qu’oui » n’est pas une faute ! Littré, Grevisse et le TLFi le disent assez clairement ; c’est une forme archaïque, et je ne suis pas étonné qu’un homme comme Musset puisse la priser fort. Il arrive souvent que de très bons écrivains n’aient jamais ouvert un livre de grammaire ; par conséquent, si Musset a appris la langue en lisant maints vieux ouvrages, il ne trouvera pas que ce « qu’oui » soit du mauvais français, bien au contraire ! Ce sont plutôt les traducteurs de latin ou de grec de cette époque qui ont l’air d’avoir appris leur français surtout dans les livres de grammaire, et c’est souvent chez eux d’ailleurs, qu’on trouve les expressions les plus précieuses
Dernière modification par Klausinski le jeu. 25 nov. 2010, 11:19, modifié 1 fois.
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Message par Jacques »

Cet usage fut donc correct à une époque, et ne l'est plus aujourd'hui. Rien d'étonnant alors à ce qu'on le trouve sous la plume d'un auteur illustre. Remarquons, à propos de onze, que l'élision subsiste dans l'expression « bouillon d'onze heures ».
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valiente
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Message par valiente »

Je me suis procuré une édition postérieure à l'édition originale de cette fameuse confession.
Je viens de m'apercevoir que le « qu'oui » de 1836 faisant l'objet de cette discussion a été changé en « que oui » dans cette édition de 1899. Je me demande la raison de ce changement, de ce non-respect du texte original ? Bien que jugeant cette forme incorrecte au moment de la réédition, l'éditeur n'a-t-il pas le devoir de respecter le texte d'origine, le goût de l'époque ?
Et quand bien même un écrivain commettrait une erreur de langage, ne faut-il pas conserver cette erreur au fil du temps ?
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Aujourd’hui, en tout cas, la question n’a pas l’air de se poser pour les éditeurs, et c’est dommage. La plupart des textes classiques sont modernisés, au point que dans les pièces de théâtre de Corneille, dans les fables et contes de La Fontaine, il arrive que certains vers ne riment plus. On a un autre exemple avec l’œuvre de Rabelais qui est tout de même lisible en moyen français, quoi qu’on en dise, mais que souvent les éditeurs traduisent en français moderne, ce qui ôte tout son sel à ce style décapant. François Bon a lutté pour qu’on publie un Rabelais plus vif et plus fidèle, jusqu’à la ponctuation : « Beuveurs tresillustres & vous Verolez tresprecieux (car à vous non à aultres sont dediez mes escriptz) Alcibiades en un dialoge de Platon, intitulé Le banquet, louant son precepteur Socrates sans controverse prince des philosophes: entre aultres paroles le dict estre semblable es Silènes. »

Certaines corrections peuvent à la rigueur s’expliquer par le fait que, ces ouvrages étant destinés à des élèves qui doivent apprendre un français correct, il convient de leur faire lire un texte écrit dans un français conforme à l’usage moderne, qui leur permette d’ en assimiler naturellement l’orthographe et les règles.

Il faut croire qu’en 1899, on procédait comme de nos jours.

Il y a peut-être encore d’autres raisons que les autres membres de ce forum ne manqueront pas de trouver. Pour le cas de Rabelais, il faut avouer qu’il doit mieux se vendre sous cette forme.
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