mode indicatif

[Klausinski]

Pardonnez si je m’écarte un peu du sujet, mais cette évolution formidable des logiciels d’analyse et de correction du langage pose tout de même des questions troublantes qu’il serait trop facile de laisser de côté. J’ai commencé par vous rassurer en disant que rien ne remplaçait la vigilance humaine, mais cela n’est vrai « que pour le moment ». Notre orgueil, notre soif d’unicité, notre désir de nous considérer comme privilégiés d’un je-ne-sais-quoi qu’on appelle selon les croyances et convictions de chacun : âme, esprit, génie, absolu, présence divine, etc., cet orgueil nous voile une menace pressante. Savoir si à terme l’ordinateur sera capable d’écrire de la poésie, je ne dis pas mettre à bout à bout des vers sans véritable cohérence ni portée spirituelle, ce qu’il est déjà capable de faire, mais véritablement écrire une œuvre supérieure, est, me semble-t-il, l’une des questions les plus préoccupantes que les progrès de l’informatique aient pu mener à se poser, tout aussi passionnante qu’inquiétante. Je sais que l’on fait des essais, qu’on a programmé des agents conversationnels, c’est-à-dire des logiciels censés nous tromper dans ce qui nous distingue le plus, le dialogue, et mimer la compréhension, la réflexion, l’imagination, la création intellectuelle. Une machine artiste serait le plus grand coup que l’orgueil de l’homme aurait à subir après la mort de Dieu. Non seulement nous serions seuls, mais en plus nous n’aurions plus rien de magique, de supérieur, d’échappant à la compréhension, d’indompté. Ce serait véritablement la mort de l’esprit, ne croyez-vous pas ?

[Jacques]

C'est une perspective apocalyptique, qui s'apparente à des thèmes traités en science-fiction : la machine dépassant l'homme et l'asservissant. Des expériences d'intelligence artificielle ont paraît-il mené à des résultats troublants ; le terme est souvent galvaudé par des auteurs de logiciels, mais la véritable simulation d'intelligence a permis de faire un constat : la machine apprenant et se perfectionnant arrivait à reproduire les erreurs de l'humain, et certains de ses défauts.
Mais je demande quand même à voir : pourra-t-elle un jour comme vous le dites, faire de la vraie poésie, établir des choix et raisonnements en matière de grammaire, de vocabulaire, et appréhender les subtilités du langage et de la rhétorique ? On ne peut jurer de rien, mais gageons que ce n'est pas pour tout de suite, et espérons-le.

[valiente]

Klausinski, votre message est effrayant.

J'aurais envie de vous dire que je n'y crois pas. Je me demande seulement si cela est dû à un besoin de me rassurer sur cette éventualité de machines surhumaines.

J'envisage difficilement qu'une intelligence artificielle puisse appréhender toutes les subtilités de la langue et s'en servir aussi habilement que l'homme. Comment reproduire la spontanéité humaine, sa réactivité dans les conversations, ses capacités toujours nouvelles d'adaptation et de réflexion ? Comment apprendre à un cerveau factice des notions comme l'ambiguïté, le sous-entendu, l'ironie, le double sens, l'intuition ?

Je pense, et j'espère, que la complexité de l'esprit humain ne peut être recréée dans toute sa perfection (certains préfèreront imperfection), avec toutes ses errances...

[JR]

Nous avons tous un ordinateur (sans quoi nous n'accèderions pas à internet), et donc une expérience des fantaisies auxquelles ces machines peuvent se livrer sans raison apparente.
Leur puissance double tous les 2 ou 3 ans.
Si elles peuvent apprendre à apprendre et à imaginer - c'est difficile, mais probablement pas impossible - elles nous dépasseront un jour, et ce jour ne peut pas être trés lointain. Elles sont déjà capables de battre n'importe quel humain aux échecs (mais ce sont des humains qui leur ont enseigné comment faire).
Il nous faudra garder les interrupteurs à portés de main, mais leur mise en réseau peut leur permettre de contourner nos défenses.
Nous devrons alors prier pour que jamais aucune erreur logicielle ni impondérable ne libère les machines des lois de la robotique.
Or ces lois n'existent actuellement que dans des livres, pas dans des machines.
Je crois que nous pouvons garder le monopole de la philosophie, de la métaphysique, et quelque supériorité en créativité.
Mais je ne suis pas pessimiste : je dis simplement que nous allons disposer d'une puissance énorme, dont il faudra absolument garder le contrôle.

[Jacques]

Pour rester dans le cadre de nos activités, la seule question qui se pose ici à nous est : la machine peut-elle concurrencer l'esprit humain dans l'élaboration et l'utilisation du langage ? Pour le moment, la réponse rassurante est : NON. Souhaitons que cela dure.

[Klausinski]

Ce qui différencie le langage du jeu d’échecs, c’est que le jeu d’échecs est un calcul quasi infini de probabilités, ce sont des mathématiques extrêmement complexes mais ça reste des mathématiques (me trompé-je ?). Qu’une machine batte l’homme sur ce terrain, c’est humiliant, mais ça ne fait que confirmer les talents qu’elle avait dès son invention, et c’était bien à cela qu’on la destinait. En revanche, il a toujours apparu à l’homme que l’apprentissage, la conscience, la réflexion lui appartenaient en propre. Il m’est difficile d’imaginer une machine capable de conscience, une machine « se disant » : je fais ceci, je fais cela, je pense ainsi… À mon avis, une machine ne pourra jamais que mimer la conscience. En revanche, il est possible qu’elle imite parfaitement l’homme ; et cela voudrait dire que le langage aussi est un jeu de probabilités fait de quelques choix cruciaux tout aussi déterminés que les choix faits lors d’une partie d’échecs. Et si l’homme est détrôné dans la création artistique, vraiment, il peut aller se cacher dans les profondeurs de la terre.

Sourions. :D

[Jacques]

C'est bien dans ce sens que je raisonne : le langage échappe à tout calcul, il est profondément influencé par la sensibilité, la mentalité, les sentiments et, pour employer un mot qui revient assez souvent dans nos réflexions : il est subjectif. Il procède aussi d'une certaine recherche d'harmonie, le choix d'un terme est souvent pesé, réfléchi, la préférence de tel par rapport à tel autre qui est synonyme, la notion d'euphonie si importante dans la langue française, échappent à tout algorithme. Si l'ordinateur arrive à me battre au scrabble ou aux Chiffres et lettres, je ne crains pas sa concurrence dans l'expression orale ou écrite.

[JR]

Je suis bien d'accord avec Klausinski, mais inversement il m'arrive de lire des articles selon lesquels la conscience ne serait qu'une illusion résultant de phénomènes chimiques et physiques complexes.

[valiente]

[...] Et si l’homme est détrôné dans la création artistique, vraiment, il peut aller se cacher dans les profondeurs de la terre.

Sourions. :D

L'inspiration ! Elle nous interdira cette obscure retraite !