"Dédié"

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Frédounette

"Dédié"

Message par Frédounette »

Bonjour,

Est-ce que la chasse aux mots à la mode est ouverte ? :lol:

Depuis quelques mois je lis et j'entends plus que de raison le qualificatif "dédié", pas toujours employé à bon escient. Il est désormais utilisé par certains en lieu et place de "destiné".
Exemple : "Voici un nouvel outil informatique dédié aux débutants." Pour ma part, je dirais : "Voici un nouvel outil informatique destiné aux débutants."
Pis encore, le qualificatif seul : "Voici un outil informatique dédié." Alors là, comme dirait Muriel ROBIN, je comprends les mots, mais pas la phrase.
Quelqu'un a-t-il remarqué tout ceci ? Quels sont vos impressions à ce sujet ?

Merci.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je ne l'avais pas remarqué, mais maintenant que vous le dites, j'approuve votre réaction. Le verbe dédier a un sens très fort, qui exprime l'intention de rendre hommage et même parfois respect à quelqu'un ou quelque chose. Rapprochons-le du mot dédicace, de la même famille latine, et nous le comprenons aisément.
Le verbe dedicare a signifié à l'origine révéler, déclarer un temple ou un lieu en le consacrant. Puis au figuré faire hommage de qqch ou qqn. Il y a donc dans ce mauvais usage que vous dénoncez une outrance, un abus de vocabulaire et une impropriété.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Denis Normand

Message par Denis Normand »

DÉDIER

Dédié : un mot employé à toutes les sauces

Le mot dédié est partout depuis quelque temps, tellement partout qu’il est devenu difficile d’y voir clair. Comment expliquer l’apparition de tous ces emplois de dédié, d’où nous sont-ils venus? Quels sont ceux qui sont français et ceux qui sont empruntés à l’anglais?

Pour essayer de nous y retrouver, commençons par faire l’inventaire des emplois du verbe dédier qui ne posent pas de problèmes : on peut dédier un autel, une église, un monument ou un temple à Dieu, à la Vierge, à un saint, à une déesse, etc.; on peut également dédier un ouvrage, une œuvre artistique à quelqu’un pour lui rendre hommage, par exemple un réalisateur dédie son premier film à son maître, des artistes dédient un concert aux victimes d’une catastrophe, un écrivain dédie son roman à ses enfants; on peut encore dédier une pensée à quelqu’un, écrire un poème dédié à l’amour, dédier sa vie à l’écriture, à la science, etc.

Passons maintenant à des emplois plus récents dans la langue : une entreprise qui se vante d’avoir des employés dédiés et compétents, un personnel dédié à la fabrication et à l’assemblage de pièces, la création d’un fonds dédié à des causes humanitaires, des ressources humaines et financières dédiées à un projet, un salon dédié aux professionnels de la vente, un forum dédié à la politique, un institut dédié à la recherche médicale, un magazine dédié aux adolescents, un hôpital dédié à la pratique exclusive d’un type de chirurgie, une association dédiée à la protection des animaux, un service de transport dédié à une clientèle touristique, un festival dédié à la danse créative, etc. Si tous ces emplois de dédié ne peuvent être rendus par un seul équivalent français, ils partagent tous, en revanche, une seule origine : l’anglais dedicated.

Le français dédier et l’anglais to dedicate ont une origine latine commune, mais ils ont connu par la suite des évolutions distinctes et l’anglais a développé des sens qui lui sont propres ou, du moins, qui lui étaient propres jusqu’à ces dernières années. L’informatique, domaine reconnu pour son ouverture aux emprunts, a peut-être ouvert la porte du français aux autres emplois de dedicated en admettant l’adjectif dédié comme synonyme de spécialisé au sens de « conçu pour un usage spécifique ». On peut penser que, par extension, le mot s’est par la suite introduit dans la langue générale. Ces emprunts ne sont pas propres au Québec : dédié est aujourd’hui de plus en plus attesté ailleurs dans la francophonie. Si les dictionnaires usuels consignent déjà son emploi dans les domaines de l’informatique et de l’électronique, il est peut-être encore temps de renverser la tendance, pour ce qui est de la langue générale, en remplaçant l’anglicisme dédié par des équivalents dont le français ne manque pas : des employés dévoués, sérieux, consciencieux; un personnel spécialisé dans, affecté à; un fonds consacré, réservé, destiné à; des ressources affectées à, prévues, allouées, attribuées ou accordées pour; un salon pour, à l’intention de; un forum sur; un institut consacré à; un magazine pour, à l’intention de, destiné à; un hôpital spécialisé dans, réservé à; une association pour, ayant pour but de; un service réservé ou destiné à, conçu pour; un festival consacré à.
05-03-17
ici
Denis Normand

Message par Denis Normand »

Le site que j'ai inscrit sous ici dans le message précédent ne s'ouvre pas même si l'article y est toujours affiché.
Essayer ici
Puis cliquer sur "Consultez la liste des capsules", et choisir dédié sous D.
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Jacques
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Message par Jacques »

Très belle démonstration Denis, et qui fait bien le tour de la question. Je n'avais pas pensé à cette origine anglaise qui aboutit encore à une copie servile et fausse, et dont l'exemple typique est cette horrible opportunité qui a montré la voie, suivie par l'usage intensif et totalement impropre du mot site, accommodé à toutes les sauces, et qui à cause de tous ces barbarismes conduit au pléonasme site naturel quand il est employé dans sa vraie fonction.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Frédounette

Message par Frédounette »

Excellent cours, effectivement.

Merci beaucoup. Grâce à vous, j'ai des munitions pour mes batailles à venir.

Que c'est réconfortant de constater que l'on n'est pas seule devant cette pauvre langue française qu'on malmène.

Comment pourrait-on faire la liste des mots et expressions impropres ou mal usités qui apparaissent chaque année ? Pourquoi ne pas faire un concours ? Celui qui en déniche le plus aurait la palme de la perspicacité, et gagnerait, voyons ... l'immense estime de nous tous. :wink:
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Jacques
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Message par Jacques »

Vaste projet, et très bonne idée. Mais chaque mot mal employé et pointé par l'un de nous devrait être accompagné d'un commentaire explicatif et justifiant l'accusation.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Claude
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Message par Claude »

Denis, maintenant votre premier "ICI" fonctionne ; l'url comportait deux fois "http://".
Denis Normand

Message par Denis Normand »

Claude a écrit :Denis, maintenant votre premier "ICI" fonctionne ; l'url comportait deux fois "http://".
Merci, Claude. Je ne comprends toujours pas pouquoi mon "ICI" ne parvient qu'à ouvrir la page d'accueil de l'Office québécois de la langue française et non la page spécifique de l'article: dédié.

Je vais donc tenter le truc que Jacques m'enseignait sur un autre fil:

ici

Et ça fonctionne !
Denis Normand

Message par Denis Normand »

Frédounette a écrit :
Comment pourrait-on faire la liste des mots et expressions impropres ou mal usités qui apparaissent chaque année ?
Jacques
Vaste projet, et très bonne idée. Mais chaque mot mal employé et pointé par l'un de nous devrait être accompagné d'un commentaire explicatif et justifiant l'accusation.
Votre suggestion exige un travail de titan qui est fait constamment depuis toujours par une foule de personnes plus ou moins connues :
Encyclopédie du bon français de P. Dupré, 1972. L’Antifautes de Jean Girodet, 1981.
Problèmes de langage, Le français correct, Grevisse. Cinq volumes de René Georgin sur le bon français. Les chroniques « Le bon français » de Maurice Druon dans le Figaro. Le Multidictionnaire de Marie-Éva de Villers, les textes de Chantal Lavigne, Joseph Hanse, J.P. Colin et A.V. Thomas, etc.

Par contre, je vous dirai, Frédounette et Jacques, que la liste dont vous parlez est fabriquée quotidiennement dans les forums du « Français, notre belle langue » ; elle a l’avantage d’’être à jour, de traiter des problèmes actuels, plus que les œuvres que je viens de citer. Je ne sais pas comment Claude organise ses archives, mais dans mon cas, j’ai gardé tous les fils de tous les forums du Dicomoche dans des documents Word depuis le début, novembre 2003, jusqu’en février dernier.
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Manni-Gédéon
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Message par Manni-Gédéon »

Denis Normand a écrit : Passons maintenant à des emplois plus récents dans la langue : une entreprise qui se vante d’avoir des employés dédiés et compétents, un personnel dédié à la fabrication et à l’assemblage de pièces, la création d’un fonds dédié à des causes humanitaires, des ressources humaines et financières dédiées à un projet, un salon dédié aux professionnels de la vente, un forum dédié à la politique, un institut dédié à la recherche médicale, un magazine dédié aux adolescents, un hôpital dédié à la pratique exclusive d’un type de chirurgie, une association dédiée à la protection des animaux, un service de transport dédié à une clientèle touristique, un festival dédié à la danse créative, etc. Si tous ces emplois de dédié ne peuvent être rendus par un seul équivalent français, ils partagent tous, en revanche, une seule origine : l’anglais dedicated.
Dans une émission de télévision, j'ai même entendu parler d'un chanteur dédié à ses fans.
Fan(s) : encore un anglicisme qu'on entend et qu'on lit partout...
L'erreur ne devient pas vérité parce qu'elle se propage et se multiplie ; la vérité ne devient pas erreur parce que nul ne la voit.
Gandhi, La Jeune Inde
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Perkele
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Message par Perkele »

"Fan" me rappelle les années "yéyé" :D ça ne nous rajeunit pas !
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Pautard
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Message par Pautard »

Voilà un exemple de mot à la mode qui, au lieu d'enrichir le vocabulaire, l'appauvrit et dénature le sens des mots.

La plupart du temps, on peut le remplacer par l'un des mots suivants :
- consacré à ;
- destiné à ;
- affecté à ;
- attribué à ;
- alloué à ;
- dévolu à (lorsqu'on attribue en vertu d'un droit) ;
- habilité à ;
- spécialisé dans.

J'ai rencontré l'expression suivante : "terres dédiées à l'agriculture". Il faut comprendre, je pense, "terres affectées à l'agriculture".
Dernière modification par Pautard le lun. 09 avr. 2012, 18:50, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

J'ai l'impression que cet usage impropre sent encore l'anglomanie et la mauvaise interprétation d'un faux ami.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Pautard
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Message par Pautard »

Jacques a écrit :J'ai l'impression que cet usage impropre sent encore l'anglomanie et la mauvaise interprétation d'un faux ami.
Oui : il s'agit d'un anglicisme sémantique, car il a été emprunté à l'anglo-américain « dedicated to » employé au sujet de l'usage d'équipements électroniques et informatiques, domaine où la technique anglo-saxonne prédomine. Les dictionnaires courants ont entériné cet usage, et le mot est entré dans le vocabulaire courant pour toutes sortes d'autres usages. Je l'entends même sur Radio Classique, où l'on parle d'un « disque dédié à Mozart » par exemple. Quel drame ! Je n'ai pas trouvé ce problème dans le dictionnaire Bordas des pièges et difficultés de la langue française que je viens d'acquérir. Ces dictionnaires semblent souvent se concentrer sur des difficultés rarement rencontrées, mais omettent parfois les fautes les plus fréquentes, surtout lorsqu'elles concernent les usages dérivés des techniques de l'information et de la communication (notez que j'ai évité le mot « technologie » qui est aussi un anglicisme sémantique !).
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