Le verbe "puer" est-il transitif ?

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Invité

Le verbe "puer" est-il transitif ?

Message par Invité »

Bonjour !

Dans certains dictionnaires, on voit le verbe "puer" défini d'une part comme intransitif, et d'autre part comme transitif (sous entendu, "transitif direct").

A l'appui de cet usage transitif, on voit des exemples comme "puer le fromage", "puer la vinasse".

Le problème, c'est que cette qualification de "verbe transitif" entraîne l'existence de l'horrifique participe passé "puée", que l'on trouve dans certaines bases de formes fléchies telles que celle de l'Officiel du Scrabble.

Cet usage du verbe "puer" peut-il être réellement qualifié de "transitif", dans la mesure où il ne peut pas être mis dans une forme passive ? On ne dit ni n'écrit jamais "la vinasse est puée par moi". "Vinasse" est-il d'ailleurs un complément d'objet direct ? Ca me fait davantage penser à une sorte d'attribut qualifiant un état du sujet. Je ne suis pas grammairien, et si ce n'est pas un COD j'ignore comment ça s'appelle.

Merci pour vos éclaircissements. :)
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angeloï
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Message par angeloï »

Dans une langue à flexions on n'aurait sûrement pas un accusatif pour "puer le fromage".
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Jacques
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Message par Jacques »

Vous donnez vous-même les exemples puer le fromage ou la vinasse. On entend par là il se dégage une odeur de fromage ou de vinasse. C'est la même chose avec sentir.
Je ne suis pas grammairien non plus mais remarquez une chose : c'est un emploi impersonnel, et je crois que la clef est là, les verbes impersonnels ne peuvent pas donner un emploi au passif. Si vous dites il pleut de la neige fondue, on peut pas affirmer que la neige fondue est plue.
Quand on dit je sens la rose au sens de je m'approche d'une rose et hume pour capter son odeur, on peut dire que la rose est sentie par moi. Mais si je dis ça sent la rose = il flotte une odeur de rose, la rose n'est pas une chose tangible. Il se trouve que le verbe puer n'est pas actif, et un verbe non actif ne peut pas donner lieu à un emploi au passif.
Peut-être que quelqu'un qui connaît la grammaire mieux que moi pourra mieux expliquer, mais je pense que l'idée est là.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
embatérienne

Message par embatérienne »

Patatruc, vous avez choisi "puer" comme exemple. Vous auriez pu choisir, plus poétiquement, "sentir" ou même "embaumer" ! "Je sens l'ail, il sent le vin" posait déjà les mêmes problèmes que "puer", si ce n'est que "sentir" et "embaumer" ont aussi des emplois clairement transitifs où la tournure passive est justifiée : la rose qu'il a sentie, la momie qu'il a embaumée. Ce n'est effectivement pas le cas de "puer".

Dans l'expression qui nous intéresse, on a affaire à un complément de verbe qui ressemble à un COD mais n'en est pas un vrai car il ne remplit pas certains critères, notamment la transformation au passif. L'explication donnée par Jacques est, sur le fond, assez proche de certaines explications sur les verbes olfactifs que vous trouverez ici. Voyez aussi le paragraphe 4 de cette page.
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Jacques
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Message par Jacques »

Un faux COD : je sentais qu'il y avait quelque chose de douteux, voilà la réponse « technique ».
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embatérienne

Message par embatérienne »

Cette construction divise les grammairiens.
Certains (par exemple la Grammaire du français contemporain, Larousse) la considèrent comme un complément d'objet interne, tout en regrettant ce terme d'objet qui convient mal. Pour ma part, je préfère réserver ce nom aux constructions du genre vivre sa vie, dormir son dernier sommeil, pleurer des larmes de sang. Mais l'idée peut se comprendre, comme l'explique d'ailleurs Grevisse, 12e édition, §301 :
Une espèce particulièrement difficile à étiqueter, c'est le type que l'on a dans Cela ne sent pas la rose. Peut-être conviendrait-il de le ranger parmi les compléments de manière, à moins qu'on ne le rapproche des compléments d'objet interne cela sent une odeur de ... ou encore qu'on ne se contente d'y voir un complément essentiel adverbial, sans autre précision.
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Message par Invité »

Merci pour vos réponses. :)

Etes-vous d'accord pour dire que dans un tableau de conjuguaison de ce verbe, le participe passé "puée" ne devrait pas apparaître ?

Je suis désolé pour le choix de ce verbe. Comme "embaumer" ou "sentir" ont aussi un usage clairement transitif, choisir l'un de ces verbes comme objet de ma question l'aurait inutilement compliquée.

J'ai cherché un autre verbe analogue mais je n'en ai pas trouvé.

Du coup, je me demande s'il existe d'autres verbes généralement présentés comme transitifs mais dont la forme passive (et donc surtout la déclinaison du participe passé) serait aussi un non-sens, pour la même raison ou une autre.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je répondrai juste sur le point principal : le PP reste invariable. Si l'Officiel du scrabble accepte l'accord il me semble qu'il y a une faute, puisqu'il ne s'utilise pas à la voix passive.
Pour le choix du verbe ce n'est pas grave, il n'est ni obscène ni vulgaire, juste un peu familier peut-être mais peu importe, il ne choque pas la morale.
L'exemple vaut parce qu'il ne peut pas, justement, être utilisé à la forme passive, et c'est le point qui amène à s'interroger.
Permettez-moi une précision : on parle d'accord du PP et non de déclinaison. En français les pronoms seuls se déclinent : au nominatif, au datif et à l'accusatif, mais c'est une autre histoire.
Un autre verbe dans le même cas ? Pleuvoir peut-être, qui s'utilise parfois avec un complément, au sens figuré comme quand on dit il pleut des compliments (ou des réclamations ou n'importe quoi d'autre) ; c'est un emploi rare.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Message par Invité »

Permettez-moi une précision : on parle d'accord du PP et non de déclinaison.
Tout à fait, Jacques, j'ai rédigé un peu trop rapidement.
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Jacques
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Message par Jacques »

Vous êtes probablement influencé par les innombrables emplois fautifs du verbe décliner, à mettre avec les manies de langage qui sont dans l'air du temps.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
embatérienne

Message par embatérienne »

Le cas est assez embarrassant. La question n'est pas nouvelle. L'Express s'interrogeait déjà en 1979 ! Avec un peu de patience, l'Académie devrait dire son mot, puisque le dictionnaire en cours s'arrête à "promesse". Peut-être aura-t-elle la bonté de dire un mot du participe passé. La difficulté n'existe pas qu'au participe passé féminin, puée, comme vous le croyez, mais déjà au participe passé masculin pué. En effet, jusqu'à présent, l'Académie dit que le verbe puer ne se conjugue pas à tous les temps et n'a pas de participe passé. Ce qui règle la question ! Mais Littré n'est pas de cet avis. C'est que le verbe puer a une histoire intéressante et compliquée. On a longtemps hésité entre puer et puir pour l'infinitif, et la conjugaison du présent de l'indicatif a longtemps été je pus, tu pus, il put. Mais petit à petit, le verbe s'est régularisé dans sa conjugaison et l'Académie aura sûrement à en tenir compte. Pour l'instant, la régularisation de puer n'est pas achevée, et le fait qu'il est devenu un peu inconvenant ne contribue pas à le voir employer dans des tournures grammaticales recherchées et attestées par écrit.
Alors, accordera-t-on ou n'accordera-t-on pas ?
Si l'on considère un verbe proche, empester (il empeste le vin), le participe passé féminin empestée existe bel et bien. Ne pourrait-on pas écrire : "l'odeur de vin qu'il a empestée toute la journée"? Cela ne me choque pas vraiment.
Les grammairiens qui considèrent que les verbes olfactifs sont des verbes à complément d'objet interne ne nous incitent-ils pas aussi à accorder : "la vie qu'il a vécue, la langue qu'il a parlée" n'appellent-ils pas aussi "l'odeur de vinasse qu'il a puée toute la journée" ? J'avoue que cela me choque pourtant. Mais c'est surtout la construction passive qui choque (au contraire du verbe "empester"), pas seulement l'accord.
D'un autre côté, on peut préférer assimiler cette construction aux verbes de mesure ou de prix, tels que coûter, valoir, vivre, peser, marcher, courir... Ce qui rapproche notamment ces constructions, c'est qu'on peut y remplacer le complément par un adjectif : je sens le vin, je sens mauvais, je pèse 100 kilos, je pèse lourd, ça coûte 100 francs, ça coûte cher. Or ces verbes connaissent le participe passé, tantôt invariable, tantôt variable. Je rappelle la règle pour ceux-ci :
Ces verbes ont la particularité d'être intransitifs au sens propre (donc pas d'accord du participe passé). Il sont alors accompagnés de compléments circonstanciels, à ne pas confondre avec des cod :
- les trois mille francs que cet achat m'a coûté... (combien m'a-t-il coûté ?)
- la somme que cette robe a valu...
- les dix grammes que cette lettre a pesé...
- les vingt minutes que j'ai couru, marché...
- les quarante années que j'ai vécu...
Mais aussi transitifs au sens figuré (accord du participe passé, si cod placé avant) :
- les efforts que ce travail a coûtés...
- les compliments que cette robe m'a valus...
- les dangers que j'ai courus...
- les belles années que j'ai vécues...
Est-ce que "puer" pourrait s'aligner aussi sur ces règles ?
Voilà, je ne résous rien, je me contente de suggérer quelques pistes de réflexion.
Mon sentiment intime est que "puée" n'existe pas encore dans l'usage, mais qu'il pourrait apparaître dans une évolution du verbe.
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Manni-Gédéon
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Message par Manni-Gédéon »

J'ai eu la même surprise avec le verbe nager : tous les sites que j'ai consultés donnent le participe passé à toutes les formes, qui sont aussi acceptées par l'Officiel du Scrabble.
Si la distance que j'ai parcourue est naturel et correct (pusique parcourir est un verbe transitif), je ne dirais pas la distance que j'ai nagée.
Si le dictionnaire de l'Académie indique que le verbe puer s'emploie transitivement, il considère nager comme un verbe intransitif. Ce dernier cas est donc plus simple.
Il y sûrement d'autres verbes dans ce cas.

Embatérienne, nous nous sommes croisées.
Dernière modification par Manni-Gédéon le mar. 08 févr. 2011, 12:30, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Nous n'en sortirons pas avec les histoires de participe passé, parce qu'il se présente toujours des cas particuliers comme celui-ci, et d'autres du même genre ou d'une autre espèce, où l'on se trouve devant une incertitude et une question insoluble. Il reste à contourner les difficultés en formulant les choses autrement.
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Jacques
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Message par Jacques »

Pour revenir au sujet d'origine, je m'aperçois que nous avons un verbe de la famille de puer, qui peut se conjuguer à la forme passive, puisqu'il est actif : empuantir. Et si une chose pue, c'est qu'elle a été empuantie par quelque chose. Alors, pourquoi se poser la question d'un éventuel puée ?
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Invité

Message par Invité »

Je joue fréquemment à des jeux de lettres informatisés, qui reposent pour la plupart sur la liste des formes fléchies générée à partir des entrées de l'Officiel du Scrabble. Parmi elles se trouve ce mot puée, et quelques joueurs de ma connaissance se demandaient si ce n'était pas une erreur. D'où ma question. D'autres participes passés rencontrés au hasard du jeu m'ont aussi "choqué" par moments mais je n'ai pas noté lesquels.

Il me semble y avoir un certain flou autour de la transitivité de certains verbes, d'un dictionnaire à l'autre. Certains retiennent peut-être des usages transitifs rares et anciens, que d'autres considèrent comme trop désuets ?

Merci pour votre réponse fort bien documentée, embatérienne. :)
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