Les critères de qualités de la langue au XVIIè siècle

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Jacques-André-Albert
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Les critères de qualités de la langue au XVIIè siècle

Message par Jacques-André-Albert »

Je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager ma découverte de François de La Mothe Le Vayer (1588-1672), philosophe et académicien, en vous présentant des extraits de ses Considérations sur l'éloquence française de ce temps, publiées à Paris en 1638.
L'auteur y expose la nécessité d'être compris en utilisant des mots usuels
Il faut aussi que ceux qui prétendent à l'éloquence fassent leur première étude de la valeur des mots et de la pureté des dictions, pour savoir celles dont ils se peuvent servir, et celles qui doivent être rejetées comme n'étant plus en usage. Car c'est une des premières règles que donnent les maîtres de cette profession, d'éviter comme un écueil toutes les paroles inusitées, et de les considérer pour être de la nature des pièces de monnaie, dont il ne se faut jamais charger si elles n'ont cours, et que le peuple ne les reçoive.
le souvenir d'une époque où le peuple créait l'usage, quand il n'était pas encore soumis aux incongruités des journalistes et des publicitaires
Or il est besoin d'y prendre garde d'autant plus attentivement, que n'y ayant rien de variable à l'égal de ce peuple, à qui tous les sages ont donné la souveraine juridiction des langues,
On y voit que les variations, les modes et l'usure qui affectent le langage avaient déjà cours
les mots changent si souvent, que les feuilles des arbres ne tombent plus ordinairement, selon le dire du poète latin. Que si vous usez d'un terme trop ancien, on dit que vous affectez encore la nourriture du gland, après l'usage des blés et de tant de bonnes viandes. S'il est trop nouveau, on le compare à un fruit qui n'est pas encore mûr, et qui pour cela ne peut plaire à cause de son amertume. S'il est étranger, vous voilà tombé dans le plus grand de tous les vices qu'on peut reprocher à un orateur, qui est la barbarie.
L'auteur prône la simplicité et la clarté dans le choix des mots
J'ai quelquefois médité d'où pouvait procéder cette grande aversion contre celles qui ne sont pas dans le commerce ordinaire, l'école ayant fait un crime si capital de s'en servir... Mais je crois que la principale raison se doit prendre de ce qu'Aristote a fort bien remarqué en quelque lieu de ses Topiques, que toute diction inusitée ne peut éviter qu'elle ne porte avec soi de l'obscurité. Car puisque nous ne parlons et n'écrivons que pour être entendus, d'où vient que la première perfection de l'oraison consiste en ce point d'être claire et intelligible, il s'ensuit que son principal défaut procédera de l'ambiguïté s'il s'y en trouve, comme il ne se peut faire autrement, quand nous nous servirons de termes peu connus.
En conclusion,
C'est donc avec grande raison, qu'on les défend si expressément, puisqu'ils semblent s'opposer aux intentions de l'art et faire la guerre à la nature, celle-ci ne nous ayant donné la langue, et l'autre mis la plume en la main, que pour expliquer nettement et faire comprendre facilement nos intentions.
La clarté, la nécessité d'être compris sont les principes de base de la langue française telle qu'elle a été codifiée au XVIIè siècle, et la facilité avec laquelle on lit ces lignes vieilles de presque quatre cents ans est une illustration de la véracité de ces principes.
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Jacques
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Message par Jacques »

Merci de nous avoir trouvé ce bijou. La langue actuelle pèche contre toutes les vertus énoncées par ce sage : mauvaise prononciation (déj'ner, séizme, jouin, s'crétaire...) mauvaise diction (syllabes escamotées : p'wem pour problème, pwesseur pour professeur dirjal pour directeur général et bien d'autres), bafouillis en tous genres, utilisation de barbarismes et d'impropriétés, langue de bois, amphigouri, charabia... Il a dénoncé tout cela. Et son style est extrêmement plaisant.
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Perkele
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Message par Perkele »

Je crains tout de même - et malheureusement - qu'une bonne partie de nos contemporains ne trouvent pas ce langage lumineux.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Je pensais aussi, en lisant ce texte, à la nécessité de lever toute ambiguïté introduite par l'usage de mots imprécis, de temps et de modes verbaux inadéquats.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Perkele a écrit :Je crains tout de même - et malheureusement - qu'une bonne partie de nos contemporains ne trouvent pas ce langage lumineux.
Lumineux ? C'est à dire ?
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Perkele
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Message par Perkele »

... "Extrêmement clair" et ne lisent pas ces lignes avec la même facilité que vous.

Le nombre de personnes que j'ai croisées qui ne comprenaient rien au Trois mousquetaires ou aux Misérables !


:oops: pour les corrections...
Dernière modification par Perkele le dim. 20 mars 2011, 11:09, modifié 1 fois.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Perkele a écrit :... "Extrêmement clair" et ne lisent pas ces lignes avec la même facilité que vous.

Le nombre de personnes que j'ai croisée qui ne comprenais rien au Trois mousquetaires ou aux Misérables !
La culture s'est toujours opposée ou surajoutée à la nature. On n'entre pas dans la lecture d'un texte, quel qu'il soit, si on n'a pas dépassé le niveau du langage naturel, c'est à dire d'une expression fondée sur l'oral, ne possédant que les mots suffisants pour satisfaire au quotidien les besoins vitaux.
Toute lecture nouvelle nécessite un effort de compréhension qui enrichit aussi le lecteur.
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Jacques
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Message par Jacques »

Il est vrai que bon nombre de gens ne sont pas capables de comprendre, même quand on leur parle un langage simple, courant. Alors, pourquoi ? J'ai téléphoné avant-hier chez mon fournisseur d'accès, j'ai abordé l'interlocutrice en lui donnant ma référence de client puis j'ai ajouté une courte phrase et elle m'a dit d'un ton pas trop aimable : « Il me faut d'abord votre numéro de client ».
Alors, évidemment, la plupart des gens ne sont pas aptes à aborder un niveau de langue plus évolué. Je trouve les citations de JAA fort plaisantes, non seulement par les idées mais aussi par un style de langage qui me paraît limpide pour peu qu'on y prête un brin d'attention et qu'on entre dans le sujet. C'est si agréable à lire ! Lire du si bon français, du français élégant et fleuri, c'est comme prendre des vacances, tant on est fatigué de l'infâme charabia quotidien.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

J’ai il y a quelques années assisté à une conférence sur le scepticisme de La Mothe Le Vayer. Cela m’avait donné envie de mieux le connaître. C’est un esprit très élégant mais aussi extrêmement subtil, tout à la conversation. Je trouve les auteurs du XVIIe siècle fort doués pour aborder les choses les plus complexes avec un langage extrêmement clair. Ce que ce siècle-là a perdu en clarté, il le doit au temps et au peu d’habitude qu’on a de les lire, mais, d’une manière générale, les écrits du XVIIe sont moins abscons, moins flous, plus précis que ceux du XIXe siècle et des suivants. Mon propos est bien sûr à entendre de manière générale. Les exceptions sont nombreuses.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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TSOS
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Message par TSOS »

Comment faut-il prononcer séisme, alors?
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Jacques
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Message par Jacques »

Séissme. Le S placé entre une voyelle et une consonne se prononce S et pas Z.
C'est une mode arrivée depuis une quinzaine ou une vingtaine d'années de le prononcer fautivement comme Z. Les moutons de Panurge se sont jetés sur une prononciation fautive de quelqu'un. Alors des mots comme cyclisme, fantasme, asthme, transmission deviennent cyclizm', azm', fantazm' tranz'mission. J'ai même entendu dissuasion prononcé dizuazion, cosmos devenu cozmos.
Arrêtons le massacre ! Ce genre de fantaisie me scie les oreilles et les nerfs.
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TSOS
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Message par TSOS »

Eh bien, il ne sera pas dit que je participerai à la foule qui vous torture! Je prendrai garde à ne pas suivre ces moutons-ci, à partir de maintenant (car j'ignorais la règle)!
Et j'aurai une bonne occasion de le prouver:
Lundi, lorsque je prendrai la parole au cours d'une petite conférence (en français) sur les séismes; justement. :wink:
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