Des prétendues évolutions nécessaires

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jarnicoton
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Des prétendues évolutions nécessaires

Message par jarnicoton »

J'interviens sur d'autres forums sans lien avec la langue. J'y proteste à l'occasion au sujet des abus de certains en matière d'anglicismes, de mépris abusif de la syntaxe, de négligences grossières, etc.

La réplique est alors souvent qu'une langue se doit d'évoluer, ou que celle qui n'évolue pas est une langue morte... (argument qui répond à côté).

J'ai de la réplique, mais on peut toujours faire mieux et embarrasser davantage devant les autres usagers le saccageur de langue. Aussi aimerais-je savoir quels arguments, si possible inattendus, vous viendraient personnellement à l'esprit.
cyrano
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Message par cyrano »

Ma position est qu'une langue doit bien sûr évoluer (et un purisme excessif peut parfois m'irriter aussi), mais à un rythme qui doit rester raisonnable, gérable, assimilable. Il y a un équilibre à trouver entre les résistances naturelles et les forces de mouvement. On pourrait d'ailleurs étendre ce principe à bien d'autres choses, comme l'évolution des moeurs ou l'enseignement, mais c'est un autre débat...

Longtemps, on a conservé cet équilibre: la langue évolue naturellement, en parlant les gens créent ou importent des mots, et d'un autre côté des "autorités reconnues" (non seulement l'Académie, mais aussi des ouvrages de grammaire, des manuels, des professeurs de français, des chroniqueurs linguistiques...) freinent ce mouvement. C'est très bien, chacun est dans son rôle, l'équilibre (toujours relatif) résulte de la conjonction de ces deux forces.

Mais aujourd'hui, l'un de ces deux éléments, celui qui pousse vers l'évolution, a très nettement pris le dessus. Ce n'est plus de l'évolution, c'est de l'emballement. La langue est comme un cheval fou.

On le voit bien avec les anglicismes. On nous dit: 'regardez "sandwich, week-end, wagon...", il y avait déjà des importations de mots il y a 100 ans. Et l'anglais importe aussi des mots français'. Oui, mais à l'époque ces mots apparaissaient au compte-goutte et avaient le temps d'être absorbés, assimilés, parfois adaptés à la graphie ou à la prononciation de la langue d'accueil. Aujourd'hui, ils arrivent par dizaines à la fois. Et ce bombardement est à sens unique: qui peut citer un terme français (ou allemand, espagnol...) récent qui est entré dans la langue anglaise?

Comme nous vivons dans ce contexte-là, nous devons donc nous joindre (sans excès!) aux forces de résistance afin de tenter de restaurer un certain équilibre. Si, par hypothèse, je vivais à une époque où la langue stagne, je serais, pour la même raison, du côté de ceux qui veulent la faire bouger.
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Jacques
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Message par Jacques »

Le mauvais argument de la langue qui évolue, on me l'a souvent opposé. Quant à l'abus d'anglicismes, avec une hallucinante mauvaise foi on rétorque que le français a toujours emprunté à d'autres langues, et qu'ainsi il s'enrichit.
Ce raisonnement par l'absurde ne résiste pas au bon sens : emprunter des mots attachés à des pratiques qui n'existent pas dans notre culture c'est effectivement s'enrichir. On ne va pas chercher des mots français pour remplacer samouraï, gnocchi, fjord, moujik, patio, sirtaki et d'autres : en important le concept on importe son nom d'origine. Mais là où la langue dégénère, c'est lorsqu'on remplace des mots français bien établis par leur équivalent anglais ou, surtout, américain. Et encore quand on invente dans un pays francophone quelque chose à quoi on donne directement un nom anglo-américain. Pourquoi dire skate board au lieu de planche à roulettes ? Mobil home pour résidence mobile ? Briefing pour réunion ? Pourquoi en stand by et pas en suspens ?
Vous n'aurez pas raison des imbéciles accrochés à leur manie, mais on peut leur prouver qu'ils ont tort avec des argucments sérieux. Ils n'auront pas la satisfaction de constater que leurs raisonnements truqués restent sans réponse.
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Anne
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Message par Anne »

L'argument que je donne, en général, à ceux qui approuvent le déferlement d'anglicismes dans notre langue, ou qui prônent une simplification de l'orthographe, bref, ceux que la décadence de la langue française n'effraie pas, est le suivant : il est incontestablement souhaitable que les générations futures de Français puissent encore lire du Balzac sans le concours d'une traduction.
jarnicoton
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Message par jarnicoton »

Anne a écrit : il est incontestablement souhaitable que les générations futures de Français puissent encore lire du Balzac sans le concours d'une traduction.
Eh bien on commence à traduire le français usuel en langage supposé plus accessible aux collégiens.
J'ai acheté un Balzac (colonel Chabert ?) en Livre de Poche, voici peut-être cinq ans ; ce fut pour trouver au bas de presque toutes les pages une belle hauteur de petites notes tout à fait élémentaires expliquant le sens de mots pourtant assez communs. J'en citerai si je le retrouve.

Il est certain que "l'évolution" prônée va systématiquement dans le sens de la pollution par des mots superflus/prétentieux, de l'appauvrissement, de l'uniformisation, de l'oubli de tous les particularismes qui font le charme de toute chose.

Mais l'anglais polluant serait lui-même en mauvaise posture. Un professeur d'anglais m'a dit récemment qu'on ne serait pas compris d'un jeune Britannique à qui l'on dirait "but" pour "except" et "for" pour "because".
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TSOS
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Message par TSOS »

De tous les jeunes Britanniques que je côtoie, tous usent de ces mots bien volontiers, en tout cas...
jarnicoton
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Message par jarnicoton »

Dans le sens que j'ai indiqué ?
But = sauf ?
For = parce que ?
Si c'est oui, je le signifierai au professeur.
cyrano
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Message par cyrano »

jarnicoton a écrit :Mais l'anglais polluant serait lui-même en mauvaise posture. Un professeur d'anglais m'a dit récemment qu'on ne serait pas compris d'un jeune Britannique à qui l'on dirait "but" pour "except" et "for" pour "because".
En fait d'anglicismes, il faudrait prendre l'habitude de parler d'américanismes (comme on l'a fait sur ce site, où une rubrique est judicieusement intitulée ainsi), car aujourd'hui c'est bien de cela qu'il s'agit.

C'étaient les anglicismes qui étaient importés jadis, en quantités raisonnables et dans un échange constant entre les principales langues européennes (et même l'arabe). Le bombardement actuel vient essentiellement d'outre-Atlanatique et il affecte même la "bonne" langue anglaise.

Parler d'américanismes, dans votre argumentation, n'est pas anodin, car pas mal de gens sont sensibles au risque d'une américanisation de nos sociétés. Vous aurez ainsi plus de chances de les convaincre.

Cela dit, la question de l'évolution incontrôlée de la langue ne se limite pas aux emprunts de langues étrangères. C'était juste un exemple.
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jarnicoton
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Message par jarnicoton »

Merci pour vos diverses remarques et suggestions.
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JR
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Message par JR »

Qu'ils relisent le chapitre sur la tour de Babel : la confusion des langues engendre l'impuissance.
Il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles pour en constater quotidiennement de multiples exemples. Encore faut-il, pour ce faire, qu'il reste quelques traces d'un petit quelque-chose dans le crâne.
L’ignorance est mère de tous les maux.
François Rabelais
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