je m'écris et tu t'écries

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Hippocampe
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Message par Hippocampe »

Comment en est-on arrivé à dire "se suicider" ?
C'est peut-être expliqué ailleurs dans le forum ?
Car le feu s'est éteint, les oiseaux se sont tus et Ceinwen est partie.
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Jacques
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Message par Jacques »

Vous voulez probablement dire que suicider signifier se tuer, et que se suicider est un pléonasme puisqu'il redouble le pronom réfléchi, sui étant l'ancienne forme de soi. C'est peut-être parce que le sens de sui est tombé dans l'oubli. C'est la même chose avec aujourd'hui, pléonasme qui équivaut à « au jour de ce jour », ou le lendemain qui redouble l'article défini (l'en demain). Ces phénomènes illogiques doivent être nombreux en français, toujours à cause de termes dont on a oublié le sens : tomber dans les pâmes devient bizarrement tomber dans les pommes ; fier comme un poul (le mâle de la poule) devient fier comme un pou. On parle de saupouder de sucre ou de farine, alors que saupoudrer signifier poudrer de sel. On pourrait probablement trouver bien d'autres cas de confusion venue de la méconnaissance de termes tombés en désuétude. Des fautes étymologiques devenues licites.
Il y a aussi d'autres phénomènes : à force de dire par plaisanterie fier comme un petit banc, nous pouvons supposer que dans quelques siècles l'expression aura fait son trou et supplanté Artaban. Nous constatons déjà que « détester cordialement », qui fait offense à la logique, s'est pourtant bien imposé.
Dernière modification par Jacques le dim. 05 mai 2013, 16:14, modifié 1 fois.
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Brazilian dude
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Message par Brazilian dude »

Il y a la même chose en portugais (suicidar-se), en espagnol (suicidarse), en catalan (suïcidar-se), en italien (suicidarsi), en roumain (a se sinucide), etc.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Il serait extrêmement intéressant de savoir si des études ont été faites sur cet oubli du sens de « sui », commun aux langues latines.
J’ai bien ri quand j’ai entendu pour la première fois « à l’insu de son plein gré » ! Par contre, pour abonder en votre sens, Jacques, « au jour d’aujourd’hui », qui ajoute un pléonasme à celui d’origine, ne m’a jamais paru amusant.
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Jacques
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Message par Jacques »

Au jour d'aujourdui c'est un double pléonasme, qui en outre sent le style populaire. Mais on l'entend maintenant dans la bouche de gens qui sont censés être instruits.
La précision apportée par Brazilian dude est intéressante : le pléonasme sur suicider touche donc la plupart des langues romanes, c'est troublant.
Dernière modification par Jacques le dim. 05 mai 2013, 14:29, modifié 1 fois.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Il semble que hui, mot du vieux français (latin, hodie <- hoc die ce jour), ne soit pas passé dans la langue moderne parce qu'il était un hiatus monosyllabe à consonance sourde (contrairement à hier). Dommage que meshui, qui n'est pas, lui, monosyllabique, soit perdu.
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Jacques
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Message par Jacques »

Islwyn a écrit :Il semble que hui, mot du vieux français (latin, hodie <- hoc die ce jour), ne soit pas passé dans la langue moderne parce qu'il était un hiatus monosyllabe à consonance sourde (contrairement à hier). Dommage que meshui, qui n'est pas, lui, monosyllabique, soit perdu.
Un hiatus ? Je suis étonné. Le son ui est une diphtongue montante, qu'on trouve pourtant dans lui, suis, suit, nuit, pluie, buis, suie, depuis, etc.
Le hiatus (ou l'hiatus si vous voulez) se produit quand deux voyelles se heurtent, généralement une à la fin d'un mot et une autre au début du suivant : il a appris sa leçon, j'ai été surpris ; plus rarement à l'intérieur d'un mot : ration.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

C'est plutôt le problème de hui, où le h est à l'origine « aspiré ». Imaginons les problèmes de compréhension posés par l'hui, comme par le hui.
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Jacques
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Message par Jacques »

Islwyn a écrit :C'est plutôt le problème de hui, où le h est à l'origine « aspiré ». Imaginons les problèmes de compréhension posés par l'hui, comme par le hui.
J'ai du mal à vous suivre. Si c'est une affaire d'euphonie, quid de OUI ? C'est aussi une diphtongue montante, sa phonétique est très proche de celle de hui ou ui, il s'emploie seul, et pourtant c'est peut-être le mot le plus fréquent en français.
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Hippocampe
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Message par Hippocampe »

Je ne sais pas trop mais je me demande s'il n'y a pas un problème plus général avec les verbes pronominaux. Je dis vague en espérant que d'autres préciseront.

"Se suicider" est étymologiquement idiot car c'est un pléonasme.

Notez bien que je ne suis pas contre tous les pléonasmes. Vous avez déjà tous dit "monter en haut" et "descendre en bas". Si le pléonasme était puni de mort, il n'y aurait plus de francophone depuis longtemps et sûrement plus beaucoup de monde en tout. Le pléonasme est parfois une lourdeur, parfois une idiotie mais peut-être une belle façon d'insister sur le fait que le sujet est l'objet du verbe (ce peut donc être une figure de style permettant la mise en valeur d'une idée comme il y en a d'autres (des figures de styles permettant la mise en valeur d'une idée)) et est parfois une façon presque obligée de parler à cause des bizarreries de l'histoire de notre langue. Toutes les langues ont des bizarreries. Aucune langue n'a été construite ex nihilo par un parfait logicien.
Par exemple je trouve que l'expression "au jour d'aujourd'hui" a un certain charme même si je ne l'utilise pas.
Je suis contre l'utilisation systématique, dès qu'un pléonasme se pointe à l'horizon, de l'alarme "vade retro pleonas".

Or donc, "se suicider" est étymologiquement idiot mais s'explique par le fait que le sens de "sui" a disparu dans je ne sais quelle zone obscure de notre cerveau collectif. Une zone du passé.
Mais, dans le présent, on entend ou on lit de temps à autre des choses comme "je me suis autoformé au logiciel Excel" ou "la chambre s'autodissout".
(Remarque : "auto" ou "auto-" est un autre sujet. Ne compliquons pas.)
Pourtant les gens qui ignorent le sens du suffixe "auto" ne disent pas "autoformé" ou "autodissout".
On peut dire, et on dit, "je me suis formé" ou "la chambre (le parlement, la direction...) se dissout". Mais on entend aussi les formes pléonastiques.
Ces formes-là sont utilisées dans trois cas, me semble-t-il.
Premièrement par des gens qui veulent insister, comme je l'ai dit, sur la "pronominalité" de l'idée exprimée.
Deuxièmement par des idiots qui répètent comme des perroquets des expressions nouvelles qui les ont épatés. Façon News TF1 ou BFM.
Troisièmement par d'autres gens qui ne veulent rien dire de particulier, qui ne sont pas des idiots mais auxquels cette façon de parler paraît naturelle. C'est là que je sens un mystère et que j'ai besoin d'aide.

J'ajoute qu'on observe un phénomène différent. Au lieu de surexprimer une "pronominalité", on ne l'exprime pas. Exemples : "j'hallucine" pour "je suis halluciné" ou "j'angoisse" pour "je suis angoissé".

Certains de ces usages curieux peuvent devenir des habitudes. Je ne sais pas pourquoi des gens disent "j'angoisse", j'espère que vous avez des idées là-dessus, mais cette façon de parler pourrait devenir habituelle sans que personne ne comprenne bien pourquoi.

C'est peut-être ce qui s'est produit avec "se suicider" en d'autres temps.

(Peut-être y a-t-il un besoin de changer de temps en temps une façon de parler ? Pour faire du neuf. Un besoin de choc. Choc de simplification. Choc de complexification.
Dire des choses anciennes d'une nouvelle manière pour donner l'impression d'avoir de nouvelles idées ? Enfin, là, je m'écarte du "sui".)

Mais je me demande s'il n'y a pas un problème récurrent avec l'expression de la notion de "pronominalité".

Je dis peut-être n'importe quoi. Si c'est le cas, veuillez m'en excuser.
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Message par Jacques »

Hippocampe a écrit :Si le pléonasme était puni de mort, il n'y aurait plus de francophone depuis longtemps et sûrement plus beaucoup de monde en tout.
Il resterait les francophones qui fréquentent ce forum. :D
Attention : se suicider, le lendemain, saupoudrer de sel, vinaigre de vin, aujourd'hui sont des pléonasmes admis et non fautifs. Ils sont entrés dans la langue par la grande porte.
Le pléonasme est un défaut de notre époque : cadeau gratuit, télécommande à distance, quinze heures de l'après-midi, jeunes bébés, etc. sont légion et nous écorchent les oreilles à longueur de journée. Cette insistance va de pair avec une manie d'utiliser des termes très forts et abusifs : je suis déshydraté pour j'ai soif par exemple. Elle se manifeste aussi par la battologie, et particulièrement une répétition de l'adverbe très : c'était très très très très inquiétant (la répétition va maintenant jusqu'à sept fois).
Quand vous parlez de redoublement du pronom réfléchi, ce n'est pas un pléonasme mais sa cousine proche la tautologie (je me suis formé moi-même). Cette dernière est admise par la plupart des spécialistes comme une figure de style.
Je me permets de reproduire ci-dessous un article que j'ai publié sur le sujet (la question avait peut-être été posée sur le forum).
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Claude
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Message par Claude »

Et tri sélectif ? Je suis prêt à parier qu'il va lui aussi entrer par la grande porte, si ce n'est déjà fait.
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Jacques
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Message par Jacques »

Question – Merci de me dire comment se nomme cette faute : m'organiser moi-même.
Réponse – C'est une tautologie. Elle fut jadis en effet considérée comme faute, à cause de l'effet répétitif qui en fait une proche cousine du pléonasme. Littré la jugeait sévèrement : « Vice d'élocution par lequel on redit toujours la même chose. »
De nos jours, la plupart des spécialistes l’acceptent comme une figure de style destinée à renforcer par l'insistance l'expression de la pensée. GREVISSE y voit un pléonasme non vicieux. Elle se présente sous diverses formes :
– Juxtaposition de deux termes de même sens : En bonne et due forme ; seul et unique ; sûr et certain ; clair et net ; selon les us et coutumes ; en voir des vertes et des pas mûres...
– Insistance sur le pronom personnel : C'est sa maison à elle ; leur dire cela, à eux ! Je m'en occuperai moi-même
– Elle peut aussi énoncer une évidence du genre lapalissade : Une promesse est une promesse ; ce qui est dit est dit ; je l'ai entendu de mes propres oreilles ; je l'ai vu, de mes yeux vu !
– Par manière de plaisanterie, elle revêt parfois la forme d'un truisme : C'est mon avis et je le partage ; je suis d'accord avec moi-même…
Edmond Rostand ne l'a pas dédaignée dans Cyrano de Bergerac :
Je me les sers moi-même avec assez de verve
Et je ne permets pas qu'un autre me les serve.

On ne doit pas regarder comme fautive la phrase que vous citez. En revanche, si vous connaissez des personnes qui abusent du procédé à longueur de journée, la figure de style se transforme alors en tic de langage et devient condamnable.
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Jacques
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Message par Jacques »

Claude a écrit :Et tri sélectif ? Je suis prêt à parier qu'il va lui aussi entrer par la grande porte, si ce n'est déjà fait.
Par la grande porte je ne crois pas, mais s'il est toujours considéré comme fautif par les gens de bon sens, il inonde la France par tous les moyens de communication. Mais vous avez peut-être raison : un jour, qui sait ?...
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Claude
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Message par Claude »

Jacques a écrit :[...] Je m'en occuperai moi-même…[...]
J'ai également entendu Je m'en occuperai moi-même personnellement.
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