Lettres modernes

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Jacques
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Lettres modernes

Message par Jacques »

Nous connaissons une personne licenciée de lettres modernes, qui avoue ses faiblesses en français et orthographe. Elle nous a précisé que les cours ne comprenaient aucune formation à la langue. Je trouve étrange que l'acquisition de solides connaissances en français n'aille pas de pair avec des études littéraires. Soit, le constat est là, mais l'objet essentiel de ce sujet est de savoir ce qu'on entend par « lettres modernes ».
Je l'imagine assez mal, et je voudrais comprendre jusqu'où va ce modernisme littéraire. J'aimerais savoir si, par exemple, les œuvres de science-fiction de Barjavel et de J.-H. Rosny aîné, ou même de H.G. Wells sont incluses. Quid d'Agatha Christie, de Conan Doyle, de Maurice Leblanc, Edgar Poe ? On a l'impression que s'y intéresser vous relègue dans les arts mineurs, et que ce qui est appelé études littéraires appartient aux hautes sphères du savoir, ce qui aboutit à donner des complexes aux non-initiés.
Études de lettres, d'une manière générale, signifie-t-il forcément qu'on ne doit aborder que des ouvrages très sérieux, considérés comme étant d'une haute tenue intellectuelle ? Le marquis de Sade a-t-il droit à l'attention des étudiants en
lettres ?
Mon expérience est limitée, et restreinte aux études de texte du lycée avec Balzac, Voltaire, Racine et autres.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

J'ai suivi des études de lettres modernes de 2004 à 2010. Ce cursus regroupe (ou regroupait) plusieurs matières : de la linguistique (c'est-à-dire de la grammaire, de l'analyse de phrase), de la stylistique (c'est-à-dire l'analyse de ce qui constitue un style), des cours de littérature spécialisés dans un siècle (du XVIe siècle au XXe siècle), un cours de latin, un cours d'ancien français (grammaire de l'ancien français et littérature médiévale), un cours de phonétique historique (analyse de l'évolution des mots du latin jusqu'au français moderne), un cours de dissertation générale (analyse de sujets de dissertation), un cours de littérature comparée (pour comparer des textes écrits dans des lieux différents ou à des époques différentes à travers certains thèmes, motifs d'écriture, etc.), un cours de littérature francophone (notre professeur s'intéressait tout particulièrement à la littérature francophone africaine), un cours de traductologie, et j'en oublie peut-être. On peut ajouter au choix des cours d'autres UFR : de la philosophie, de l'histoire, par exemple. La littérature contemporaine est étudiée surtout dans le cadre de la stylistique et de la littérature comparée. Les professeurs ont, à ce sujet, moins d'a priori qu'on pourrait le croire, mais, évidemment, tout dépend des individus. Je me souviens d'un professeur de littérature du XVIe siècle, qui nous parla un jour avec enthousiasme de la théogamie évoquée dans Da Vinci Code. Pour ce qui est des romans de genre, il est possible qu'on les aborde rapidement dans des cours de littérature anglaise, s'ils ont été écrits en anglais, mais les auteurs réputés, les classiques pour ainsi dire, sont tout de même largement privilégiés. Il faut dire qu'il y a déjà énormément de choses à apprendre, qui nous sont vraiment étrangères, et qu'en conséquence les œuvres d'un accès immédiat plus facile sont négligées, même s'il est possible de les évoquer dans des dissertations, si on le fait à propos. Cela n'exclut pas du tout le marquis de Sade ou les contes grivois du XVIe siècle, par exemple. Ce sont des objets d'étude très appréciés, au contraire.
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Jacques
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Message par Jacques »

Voilà qui éclaire le sujet : lettres modernes ne signifie pas qu'on ne s'intéresse qu'à des œuvres d'auteurs contemporains, le mot lettres recouvrant en fait différentes disciplines linguistiques. C'est étrange, j'ai l'impression que la personne que j'évoque ne possède pas une culture aussi vaste que celle que vous évoquez. Enfin, les gens ne sont pas toujours ce qu'ils ont l'air d'être.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

C'est comme toutes choses : on apprend certains concepts, des dates, des noms, des méthodes, on les retient un certain temps, et ceux qui ne nous servent pas tous les jours, ceux qui ne nous intéressaient pas particulièrement au moment où on les a appris disparaissent d'eux-mêmes, quittent notre mémoire. Pour ma part, j'ai quasiment tout perdu de mes cours d'ancien français, dont mon cerveau se refusait à assimiler la grammaire.
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Jacques
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Message par Jacques »

Klausinski a écrit :C'est comme toutes choses : on apprend certains concepts, des dates, des noms, des méthodes, on les retient un certain temps, et ceux qui ne nous servent pas tous les jours, ceux qui ne nous intéressaient pas particulièrement au moment où on les a appris disparaissent d'eux-mêmes, quittent notre mémoire. Pour ma part, j'ai quasiment tout perdu de mes cours d'ancien français, dont mon cerveau se refusait à assimiler la grammaire.
C'est ce que les spécialistes en psychologie appellent la loi de l'intérêt.
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Claude
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Message par Claude »

Jacques a écrit :[...] lettres modernes ne signifie pas qu'on ne s'intéresse qu'à des œuvres d'auteurs contemporains, le mot lettres recouvrant en fait différentes disciplines linguistiques. [...]
Lettres modernes, quel programme ! Klaus, vous devez en connaître un rayon même si vous en avez oublié une partie.
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Perkele
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Message par Perkele »

Quand sont nées les études de lettres modernes il était essentiellement question de ne plus les laisser reposer exclusivement sur le grec ancien et le latin pour permettre l'accès à la littérature à des étudiants qui n'avaient pas appris les langues anciennes au lycée.

Comme l'a si bien dit Klaus, il ne s'agit plus d'étudier des textes choisis, mais des ouvrages en entier et l'œuvre complète d'auteurs.

Cela dit, pour ma part, nous avons, en première année, repris la grammaire à la différence entre article défini et article indéfini et découvert des choses dont on ne veut sans doute pas encombrer l'esprit des petits enfants ou que ces derniers oublient vite.
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Jacques
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Message par Jacques »

Voilà qui permet d"établir la signification de l'adjectif « modernes ». Mais alors, si les programmes actuels négligent l'enseignement de la grammaire, c'est qu'il y a une régression due à une certaine déconsidération vis-à-vis de celle-ci.
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Perkele
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Message par Perkele »

Il me semble avoir compris que les études avaient été modifiées pour permettre une plus large "employabilité", mais je ne sais pas en quoi.

Il est vrai que "de mon temps" on entrait en étude d'un domaine pour l'étudier et on voyait au cours des études comment on l'exploiterait. Les lettres menaient au professorat à l'interprétariat, au journalisme, à la politique, à l'écriture et parfois à plein d'autres choses qui n'avaient aucun rapport visible.

Maintenant les "djeunes" ne veulent pas perdre de temps et exigent qu'on leur enseigne uniquement ce qui leur sera d'un intérêt pratique. Pas question de se former la cervelle et d'apprendre à apprendre.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je vois : c'est l'adaptation à une conception pragmatique. La grammaire, l'orthographe, le vocabulaire, l'étymologie sont des matières considérées comme n'ayant aucune utilité pratique, ne servant à rien pour ce qu'on a envie de faire. La « science des ânes ».
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Perkele
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Message par Perkele »

Jacques a écrit :Je vois : c'est l'adaptation à une conception pragmatique. La grammaire, l'orthographe, le vocabulaire, l'étymologie sont des matières considérées comme n'ayant aucune utilité pratique, ne servant à rien pour ce qu'on a envie de faire. La « science des ânes ».
Du moman kon ce kompran ! :wink:
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Jacques a écrit :Je vois : c'est l'adaptation à une conception pragmatique. La grammaire, l'orthographe, le vocabulaire, l'étymologie sont des matières considérées comme n'ayant aucune utilité pratique, ne servant à rien pour ce qu'on a envie de faire. La « science des ânes ».
Hélas, les lettres modernes, telles que je les ai connues il y a moins de cinq ans, c'était tout le contraire d'une adaptation à une conception pragmatique. C'était – et c'est toujours, je pense – une filière ne menant presque vers rien d'autre que le professorat, et encore ! à bac + 5 et après avoir obtenu le CAPES.
La grammaire et l'étymologie y tenaient une grande place, comme je l'ai dit, puisqu'il y avait des cours de linguistique et de phonétique historique. L'orthographe n'était évidemment pas négligée, même s'il n'y avait pas de cours consacré en propre à cette discipline. Cela dit, il n'était pas bien difficile d'avoir de bonnes notes, et beaucoup de mes camarades surnageaient presque sans lire de livres. Si l'on voulait s'orienter vers l'édition ou le journalisme, il fallait se spécialiser en communication. C'étaient les cours de communication qui avaient une visée pragmatique.
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