Participe présent et causalité

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Thypot
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Message par Thypot »

Vos remarques sont intéressantes, mais qu'en déduire ?
Admettez-vous tous la phrase : « La porte étant trop grande pour lui, il avait dû passer par un autre chemin » ?

Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne les grands auteurs. D'ailleurs, l'on peut remarquer que Grevisse justifie souvent l'usage de termes et expressions incorrects par le fait qu'ils ont été employés par quelque grand écrivain.
C'est un argument d'autorité pur et simple, qui me semble peu admissible. Cependant, recevoir l'approbation tacite de Flaubert est assez gratifiant.

Klausinski, le sujet auquel vous faites référence cite un passage intéressant chez Flaubert, où la construction paraît maladroite. Cela pose la question difficile de la distinction entre l'impropriété et la figure de style.
Personnellement, je n'apprécie guère les ruptures de construction dans les œuvres littéraires lorsqu'elles sont trop grossières (ce qui n'est pas le cas chez Baudelaire).
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Jacques
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Message par Jacques »

Thypot a écrit :Vos remarques sont intéressantes, mais qu'en déduire ?
Admettez-vous tous la phrase : « La porte étant trop grande pour lui, il avait dû passer par un autre chemin » ?
Je ne fais pas autorité, mais cette phrase me paraît recevable et bien construite.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Pour moi, cette phrase est correcte.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Jacques a écrit :
Klausinski a écrit :La figure de style est toujours une rupture par rapport à l'usage ; quand elle entre dans l'usage, elle devient un lieu commun ou une expression figée.
Voilà encore une caractéristique du préjugé favorable : ce qui serait qualifié de faute de construction chez un quelconque quidam devient figure de style chez Lamartine. Ce bon Alphonse n'a pas commis une erreur, mais une hardiesse dont on admire la témérité et qui, somme toute, aboutit à un « effet ». Cela me fait penser à La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
J'ai bien saisi votre raisonnement, mais j'ai du mal à accepter le deux poids deux mesures.
L'auteur n'est pas puissant par ses relations ou son statut social. Il est puissant par son style, qui est bien ce que l'on juge quand on parle de fautes ou d'erreurs. C'est pourquoi le préjugé favorable me semble bien moins injuste dans ce domaine. Il y a bien sûr des fautes grossières qui ne sont rien d'autre que cela, même commises par de grands auteurs. Quand Marivaux écrit : « Quoique j’eus résolu de ne plus vous revoir / Et que je dus partir de ces lieux dès ce soir… », quand Proust parle d'aéropage au lieu d'aréopage, ce sont là des erreurs manifestes, mais certaines bizarreries, certaines irrégularités syntaxiques ont du panache et quelque chose de saisissant. Elles ne sont pas recommandables dans un texte académique, dans une dissertation, un rapport, un article de journal, mais elles peuvent avoir leur charme dans les écrits d'invention, si tant est qu'elles servent le sens, qu'elles aient une certaine musicalité plaisante, qu'elles respectent le principe d'économie, etc. En cherchant sur la toile des choses à propos de Flaubert, j'ai trouvé un article d'un grand intérêt : « Flaubert savait-il écrire ? » Il évoque, Thypot, cette question de la frontière entre l'impropriété et la figure de style. J'y note la phrase suivante de Gide :
« [Les fautes] dont je m’accuse et m’excuse, fautes d’ignorance, de négligence, d’étourderie. Mais il est certaines hardiesses, certains tours que je maintiens, en dépit des puristes ou des cuistres ; certaines "fautes" qui ne sont pas fautes à mes yeux, ou qui sont fautes conscientes et volontaires. »
Pour Proust, dit l'article, « il appartient au langage littéraire d’explorer la grammaire ».
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Thypot
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Message par Thypot »

L'article sur Flaubert est, de nouveau, passionnant.

J'y apprends que, normalement, on ne peut pas placer d'adverbe à la fin d'une place. Eh bien, encore une découverte !

Les prétendues erreurs de Flaubert sont un peu différentes de celles que l'on fait aujourd'hui à mon sens : comme il est dit dans l'article, cet écrivain savait, en général, ce qu'il faisait. Il connaissait les règles grammaticales et pouvait ainsi s'en affranchir.

L'exemple du « et » est significatif : pour moi, cette conjonction précédée d'un point-virgule est l'une des marques du style de Flaubert que j'aime.

J'ai lu aussi, dans les notes d'éditeur de l'un des ouvrages de Balzac, que celui-ci faisait un certain de nombreux de fautes grammaticales ou de style. À l'époque, paraît-il, il était connu pour cela.
Cependant, souvent, de telles fautes n'enlèvent rien à la pureté et à la beauté du style.
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Jacques
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Message par Jacques »

J'admets les subtilités de votre raisonnement, Klausinski, et je comprends la nuance.
Mais ce qui me choque, c'est que ces personnages fort connus, lus et relus par des quantités de gens, font exemple et par cela même école. C'est le même phénomène que celui auquel nous assistons de nos jours : les hommes politiques et les gens de médias, entendus et lus par des millions de personnes, sont des propagateurs de tics de langage, d'impropriétés et de tout ce qui corrompt la langue. Par leur audience publique, ils créent un mécanisme de suggestion.
Lamartine, Flaubert, Balzac et les autres, chaque fois qu'ils péchaient cotre la grammaire, l'orthographe (aéropage pour aréopage) lançaient un virus susceptible de déclencher une épidémie. C'est évidemment beaucoup plus vrai à notre époque, où journaux, télévision et radio contribuent à une très large diffusion, où l'information circule à grande échelle.
L'esprit critique ne joue pas chez le lecteur ou le spectateur courant, et ne lui permet pas de distinguer entre la faute réelle et celle que vous considérez comme voulue par effet de style. Je suis un peu cartésien : une faute est une faute (tautologie ou lapalissade, ou les deux).
Prenons un exemple dont j'ai déjà parlé, sur cette didactique à rebours : quand le président de la République et le ministre des Finances parlent publiquement de « l'impôt sur les sociétés » ils commettent une bourde monumentale, parce que l'impôt sur les sociétés n'a jamais existé, et qu'il s'agit en fait de l'impôt sur les bénéfices des sociétés. Mais parce que le mauvais exemple vient du plus haut de l'État, tous les Français sont convaincus qu'il existe.
C'est la même chose avec les fautes « voulues » des écrivains célèbres.
Dernière modification par Jacques le mar. 18 févr. 2014, 8:04, modifié 1 fois.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Thypot a écrit :L'article sur Flaubert est, de nouveau, passionnant.
Dommage que ce « salon littéraire » confonde « acception » et « acceptation » et oublie un article (chapitre intitulé Respect absolu):
« Emploie-t-il un terme avec une acceptation un peu particulière ou trouve-t-il une tournure quelque peu singulière, qui s’écarte de la norme habituelle, aussitôt lecteur est sur ses gardes. »
Je partage votre point de vue, Jacques, en ce qui concerne l'exemplarité que doivent s'imposer tous ceux qui ont voix au chapitre.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Jacques a écrit :C'est la même chose avec les fautes « voulues » des écrivains célèbres.
À cette différence près, Jacques, que les médias parlent tous la même langue ; on devrait dire : le même sabir ; à cette différence près que, lorsque les journalistes pèchent contre la langue, ils pèchent aussi contre la pensée ; à cette différence près que leurs erreurs sont souvent un conformisme, alors que les grands écrivains, dans leurs beaux passages, semblent réinventer la langue, saisir avec les mots les microscopiques richesses du sentiment et de la pensée, créer des tableaux surprenants, des liens inédits entre les idées. J'admets qu'on n'aime pas un style, et on peut ne pas l'aimer justement parce qu'on le trouve lourd et parsemé de fautes, mais le propre d'une œuvre de création est d'être un peu différente, de ne pas être seulement un modèle de ce qui s'est fait, du beau langage. Rabelais, Proust, Céline, sont, parmi beaucoup d'autres, des sortes d'aventuriers de la langue, et ce même si le mot d'aventurier s'attache mal à Proust. Ils n'ont pas la même influence néfaste que les médias sur la pensée, car chaque auteur s'exprime en tant qu'individu, parce que « le style, c'est l'homme » et que chacun de ces hommes réfléchit à chacun de ses mots. Je parle des grands artisans de la langue, des inventeurs, et non des traducteurs suivistes.
Quant à la faute qui est faute, elle ne l'est pas devant l’Éternel, si j'ose dire, puisqu'il arrive qu'elle devienne usage correct et même bel usage, que l'on puisse, comme vous le disiez vous-même, dire saupoudrer de sel, et, contrairement à l'avis de Vaugelas, le onzième ou à présent (« j'ai vû quelquefois de nos Courtisans, hommes & femmes, qui l'ayant rencontrée [cette façon de parler] dans un Livre, d'ailleurs très-élégant, en ont soudain quitté la lecture »).
Jacques, j'espère ne pas vous exaspérer en ne cessant de répondre à vos argument ; c'est que ce débat me plaît.
Dernière modification par Klausinski le ven. 07 août 2015, 12:35, modifié 1 fois.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
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Jacques
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Message par Jacques »

Klausinski a écrit :Jacques, j'espère ne pas vous exaspérer en ne cessant de répondre à vos argument ; c'est que ce débat me plaît.
Il n'y a rien qui soit susceptible de m'exaspérer, et réagir ainsi serait intolérance envers la diversité des avis, la liberté d'opinion et d'expression. Nous avons des formations différentes : la vôtre littéraire, la mienne commerciale, comptable et financière. La comptabilité étant une science théoriquement exacte, l'esprit ne dévie pas de la voie droite : un sou est un sou, une règle est une règle, la rigueur est la ligne de conduite.
Mais je comprends bien qu'on puisse avoir une analyse plus nuancée dès lors qu'on a été formé à davantage de souplesse. Il n'y a pas d'affrontement, mais une confrontation d'idées, respectables de part et d'autre même si elles empruntent des chemins différents. J'aime bien les discussions de ce genre.
N.B. : il y a quelques années j'avais évoqué le poème de Lamartine et le pléonasme, et Marco avait eu la même réaction indulgente que vous.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

« Jacques, j'espère ne pas vous exaspérer en ne cessant de répondre à vos arguments ; c'est que ce débat me plaît. »
« Il n'y a pas d'affrontement, mais une confrontation d'idées, respectables de part et d'autre même si elles empruntent des chemins différents. J'aime bien les discussions de ce genre. »

Permettez-moi d'admirer humblement cet échange.
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Thypot
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Message par Thypot »

Les arguments avancés par Jacques sont très convaincants, mais ceux de Klausinski le sont aussi, en particulier lorsqu'il fait la distinction entre le style des médias et celui des grands écrivains.
Sans vouloir verser dans la banalité, je pense qu'il faut une mesure à toute chose : un grand écrivain est celui qui, dans une certaine mesure, a réinventé la langue, comme un Flaubert qui, par ses erreurs de syntaxe, produit un sublime effet d'allitération qui résonne comme un poème ; les usages parfois aléatoires qu'il fait des conjonctions de coordination sont indispensables à cette sorte de versification sans les vers que nous offre sa prose.

À mon avis, l'on ne peut jouer légitimement qu'avec ce que l'on maîtrise.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Vous résumez bien la différence de nos perceptions, Jacques. L'indulgence de Marco ne m'étonne pas. Je me suis souvent retrouvé dans ses avis.
Thypot a écrit :À mon avis, l'on ne peut jouer légitimement qu'avec ce que l'on maîtrise.
Cette idée est importante. On ne révolutionne pas la poésie, la peinture ou la musique en s'affranchissant d'emblée de toutes les règles. Il faudrait, je crois, pouvoir être le plus puriste des écrivains pour se permettre d'être le plus audacieux.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
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Jacques
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Message par Jacques »

André (G., R.) a écrit :« Jacques, j'espère ne pas vous exaspérer en ne cessant de répondre à vos arguments ; c'est que ce débat me plaît. »
« Il n'y a pas d'affrontement, mais une confrontation d'idées, respectables de part et d'autre même si elles empruntent des chemins différents. J'aime bien les discussions de ce genre. »
Permettez-moi d'admirer humblement cet échange.
Merci de votre appréciation. Nous avons eu au cours de l'existence de ce forum des intrusions de personnages intransigeants, forts en gueule, certains de détenir la vérité et qui voulaient en remontrer. C'est pourquoi J'ai voulu placer le forum sous le concept de tolérance et de respect des opinions d'autrui.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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