Prolepse et anacoluthe

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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Je ne suis pas sûr de cela. Pour l'autre préposition télique "à", diriez-vous que "poêle à frire" a nécessairement dû être précédé d'une version à la syntaxe développée ? Il faudrait faire des recherches en grammaire historique.
Mais nous nous égarons un peu et je me permets de revenir plus dans le sujet du fil avec cette citation de Littré, à la rubrique "pour" :
1. La règle des grammairiens est que tout infinitif précédé d'une préposition doit se rapporter d'une manière claire et précise soit au sujet de la proposition, soit au régime indirect, soit au régime direct, par exemple : L'homme vit pour travailler. Mais cette règle est trop absolue : quand l'équivoque est impossible, quand le vrai sens est évident, la règle n'a plus d'objet ; les exemples abondent.
"Le théâtre, fertile en censeurs pointilleux, Chez nous pour se produire est un champ périlleux", [Boileau, Art p. III]
"Peut-être assez d'honneurs environnaient ma vie Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie", [Racine, Iphig. IV, 4]
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Sans en être certain, j'imagine que pour « à frire » s'est passée la même chose que pour « pour maigrir ».
Mais la comparaison me gêne un peu en ce sens que les compléments de nom introduits par « à » ont toujours été assez nombreux, tandis que je n'ai pas réussi à trouver sur la Toile de site grammatical en mentionnant un seul qui serait constitué d'un infinitif amené par « pour » : les grammairiens semblent éviter (oublier ?) de considérer « pour maigrir » comme un authentique complément de nom dans « un médicament pour maigrir ». Or « pour aveugle » et « pour écran » remplissent forcément cette fonction dans « une canne pour aveugle » et « des lunettes pour écran ».
Nous savons bien aussi que la propriété a été et est encore parfois exprimée par « à » dans des tournures du genre « la bécane à Jules » ! Un autre sens de cette préposition, celui qu'on a dans « baraque à frites », « gant à huitres », « herbe à chat » « aiguille à tricot »..., a pu donner originellement une apparence de naturel à « la poêle à frire » « le gant à démaquiller », « l'aiguille à tricoter »...

Les deux citations que propose LITTRÉ comportent de magnifiques anacoluthes, une figure de style bien représentée dans la littérature, mais que le commun des mortels doit manier avec beaucoup de précautions, voire fuir, s'il veut être certain de respecter la grammaire... et de ne pas tomber dans le ridicule. Je pense à la phrase que je vous avais soumise ici il y a un an, chers cotélépapoteurs : « Assis sur ses toilettes, un rat surgit de la cuvette du WC et lui mord les fesses ».
André (G., R.)
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Un devoir de réserve qui s'adresse aux étudiants !

Message par André (G., R.) »

« En m'adressant à vous en tant que Président de l'Université, le devoir de réserve s'efface devant les menaces qui pèsent sur les fondements institutionnels sur lesquels reposent notre Université. »

Certes, si le devoir de réserve s'adressait aux étudiants, on aurait « En s'adressant à vous... ». Mais je n'arrive pas à m'y faire.
La faute d'accord (mots mis en gras par moi) est tout aussi étonnante, eu égard en particulier à la fonction de l'auteur de cette phrase.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

La faute d'accord (beau lamartinisme en l'occurrence) est patente.
L'anacoluthe est admissible, le contexte est particulièrement clair. Quelques lignes avant cette citation, on a :
Si en tant que citoyen je ne peux me résoudre à vivre dans une société où l’extrême droite est au pouvoir, en tant que président d’université il est de mon devoir de dénoncer l’idéologie délétère qu’elle véhicule (repli sur soi, intolérance, peur de l’autre, refus des différences) [...]
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Islwyn
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Re: Un devoir de réserve qui s'adresse aux étudiants !

Message par Islwyn »

André (G., R.) a écrit :« En m'adressant à vous en tant que Président de l'Université, le devoir de réserve s'efface devant les menaces qui pèsent sur les fondements institutionnels sur lesquels reposent notre Université. »
Si le président avait dit : « En m'adressant à vous..., mon devoir de réserve... », se serait-on un peu moins étonné ?
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Comme je l'ai relevé sur un autre fil à propos d'un passage comparable, la subordonnée gérondive, dans la phrase ci-dessus, ne peut « s'accrocher » à aucune principale... et la grammaire souffre, que l'on ait « le devoir » ou « mon devoir ». Bien entendu « mon devoir » rend la phrase, s'il est possible, encore plus compréhensible. Mais l'intelligibilité n'est pas en cause...
Dans la partie qui précède le passage que j'ai cité, il suffisait à l'auteur d'écrire : « ... en tant que président d’université j'ai pour devoir... ». C'est plus court ; et irréprochable, me semble-t-il.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je crois bien m'être partiellement fourvoyé ci-dessus !
La phrase d'origine pourrait devenir : En m'adressant à vous en tant que Président de l'Université, je m'exonère de mon devoir de réserve devant les menaces qui pèsent sur les fondements institutionnels sur lesquels repose notre Université.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Leclerc92 a écrit :Ce genre de phrases fait partie de notre langue, comme le genre proche :
L'appétit vient en mangeant ou La fortune vient en dormant.
http://www.achyra.org/francais/viewtopi ... 504#p54504
En assistant l'autre jour à une admirable représentation de Pelléas et Mélisande, je n'ai pu m'empêcher de repenser à ce fil en entendant :
Golaud
Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau?

Melisande
Où donc? Ah!
C'est la couronne qu'il m'a donnée.
Elle est tombée en pleurant.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Votre lien, Leclerc92, donne accès à un fil que j'ai l'impression de découvrir.
JAA, vous compariez alors « L'appétit vient en mangeant » à son équivalent allemand Der Appetit kommt beim Essen. Mais cette dernière phrase ne saurait comporter d'anacoluthe, parce que « beim Essen » ne signifie pas stricto sensu « en mangeant », mais « lors du manger ». Vous aviez d'ailleurs très correctement écrit « Essen » avec une majuscule, cette dernière signifiant qu'il s'agit d'un nom.
Avez-vous remarqué par ailleurs que le mot « anacoluthe » est absent de l'échange ?

Je tends à croire que plus nous parlerons de cette rupture de construction, plus notre attention sera attirée, assez désagréablement en ce qui me concerne, par des tournures comme « Elle (la couronne) est tombée en pleurant ».
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :En assistant l'autre jour à une admirable représentation de Pelléas et Mélisande, je n'ai pu m'empêcher de repenser à ce fil...
Pour illustrer votre propos, vous auriez pu écrire « En assistant l'autre jour à une admirable représentation de Pelléas et Mélisande, ce fil m'est revenu... » ! :lol:
Le fait est que la subordonnée gérondive est particulièrement favorable aux anacoluthes.
Avez-vous assisté à l'opéra de DEBUSSY ou à la pièce de théâtre qui en est le livret et dont j'avais oublié qu'elle avait MAETERLINCK pour auteur ?
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Il s'agit du « drame lyrique » composé par Debussy et donné en ce moment au Théâtre des Champs-Élysées, dans une splendide mise en scène et avec une distribution de rêve.
L'anacoluthe n'est pas dans la pièce originale de Maeterlinck qui se contente de :
GOLAUD : Qu’est-ce qui brille ainsi au fond de l’eau ?
MÉLISANDE : Où donc ? Ah ! c’est la couronne qu’il m’a
donnée. Elle est tombée tandis que je pleurais.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Aimant beaucoup la musique instrumentale de DEBUSSY, je ne commenterai point !
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Me permettra-t-on de proposer très exceptionnellement, sous forme de devinette, à l'adresse des télépapoteurs qui ont appris... l'allemand, une anacoluthe dans cette langue ? Sur un panneau, elle « agrémente » un texte concernant un certain Everhardt Heinrich Schulte-Bispinck, dans un musée de Detmold (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) :

Everhardt Heinrich Schulte-Bispinck wurde 1720 geboren. Mit acht Jahren starb* sein Vater an Trinksucht*. Seine Mutter heiratete* erneut*...

*Sterben, die Trinksucht, heiraten et erneut signifient respectivement mourir, l'alcoolisme, se marier et de nouveau.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

On a l'impression que le père était alcoolique à huit ans et qu'il en est mort à ce jeune âge !
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Exactement ! La traduction peut comporter la même anacoluthe :
Everhardt Heinrich Schulte-Bispinck est né en 1720. À huit ans, son père est mort alcoolique. Sa mère s'est remariée...
Mais le traducteur peut aussi proposer une formulation meilleure que l'originale : Alors qu'il avait huit ans, son père est mort alcoolique.
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