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Perkele
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Message par Perkele »

Jacques a écrit :Je ne suis pas compétent pour discuter de musique, mais j'aimerais qu'Anne nous donne son avis sur ceci :
« En fait, c'est simple, la musique s'affranchit des règles pour avancer, et pour cela elle doit parfois même passer pour ce qu'on pourrait appeler de la vulgarité. »
Oui, puisque nous avons une musicienne en chef, profitons en !
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est vrai, nous n'y avions pas pensé : après l'animatrice, le matheux, l'archiviste en chef il nous manquait le chef de musique.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Manni-Gédéon
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Message par Manni-Gédéon »

En attendant qu'Anne se prononce, je dirai que chaque style de musique a ses propres règles, y compris la musique dodécaphonique, qui abolit la tonalité.

La notion de la beauté a énormément changé en quelques siècles, tout comme celle de la dissonance.
Chaque époque a brisé un carcan et s'est affranchie de certaines règles d'harmonie et de forme pour en créer d'autres. Les romantiques ont brisé le carcan du classicisme (à l'époque de Beethoven, les gens pensaient qu'il composait de la musique de fou) et les compositeurs modernes (comme Poulenc, Hindemith ou Bartók) ont introduit des dissonances qui auraient été inimaginables quelques décennies plus tôt.

Qu'on joue du Mozart, du Schönberg, du jazz ou n'importe quel style de musique, on peut toujours faire des fausses notes. Et celles-ci sauteront aux oreilles de tout auditeur averti car il n'y a pas de musique anarchique.

Quant à la vulgarité, je ne vois pas où on peut en trouver dans la musique, si ce n'est dans le titre d'une œuvre ou dans les textes. Elle n'est donc indispensable à aucun style musical.

En ce qui concerne le mot jazz, son origine est controversée. Le sens obscène (to jazz : copuler) est loin d'être certain.

Si vous comparez des écrivains de différentes époques (même en excluant tous ceux qui font des fautes ou qui sont vulgaires), vous verrez comme l'écriture a évolué.
Invité

Message par Invité »

Vous vous méprenez sur le sens de vulgarité.

Vulgarité: Caractère de ce qui est courant, commun au plus grand nombre; caractère de ce qui est prosaïque, terre à terre.

On parlait du Jazz et du Blues comme des musiques populaires, presque comme de la sous-culture, alors même que les musiciens de ces genres révolutionnaient la musique. Ce ne sont pas des langages différents puisqu'ils reposent sur une harmonie (une grammaire musicale, si vous préférez) un peu différente, le langage est bien le même, on utilise les notes (do ré mi etc.), mais agencée d'une toute nouvelle manière. Le résultat donne une couleur au langage musical complètement différente, mais pas du tout incompréhensible. Par exemple, un musicien classique, s'il lit une partition de jazz, n'aura aucun mal à la comprendre, car c'est le même langage. C'est juste que le classique n'utilise pas cette manière de s'exprimer.
Donc, une musique peut être vulgaire, ou perçue comme telle, parce qu'elle est à contre courant de la musique dominante, quand bien même elle apporterait quelque chose de nouveau à la musique.

En brisant les règles donc, on n'invente pas un autre langage, on ne fait que lui donner une autre couleur, et cette couleur est généralement tributaire du climat social et des spécificités culturelles de la population qui emploie ce langage. Je ne parle pas de progrès mais d'avancée, c'est à dire le contraire de la stagnation. Le changement d'un langage est inéluctable si la société change. Or notre société est loin d'être stable, le langage en suit (ou subit) les vicissitudes. Il avance, en quelque sorte. Ne pas le reconnaitre serait une erreur.
La langue, à la différence du langage et de la parole, est un système institutionalisé relativement stable, mais qui s'éloigne de fait de la réalité du langage. C'est pour cela que le langage brise intrinsèquement les règles de la langue et avance, qu'on le veuille ou non. Le langage est collé aux conditions sociales dans lesquelles nous vivons. Lui laisser plus d'espace, plus de liberté, c'est donner la chance à ces êtres sociaux que nous sommes d'exprimer les conditions dans lesquelles nous vivons. Cela ne veut pas dire laisser la place à tous les débordements langagiers, mais ne pas non plus être trop rigide, notamment dans un contexte de diversité culturelle comme celui de la France.
La rue est donc très importante, car c'est la plus proche du contexte dans lequel nous vivons. En l'occurence, en France, il très violent symboliquement (racisme et discrimination). D'où la violence du langage des populations qui subissent ce contexte. Cela vous choque et c'est normal. Cependant, le hip-hop français qui vient justement de cette rue (et je ne parle pas de Boubba et de tout ce que l'on entend sur Skyrock), fait justement partie de ceux qui s'affranchissent parfois des règles pour la sublimer. On a de beaux exemples dans le slam, qui est surement plus accessible que le hip hop, mais qui est une forme indéniable d'avancée langagière qui tend à être reconnue.
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Perkele
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Message par Perkele »

Si vous me permettez une petite intervention sur les manières que nous avons adoptées pour discuter ici :
Celui a écrit :Vous vous méprenez Je n'ai sans doute pas été assez précis sur le sens que j'ai voulu donner à vulgarité dans mon message.
Ne trouvez-vous pas que c'est plus sympathique tourné de la sorte ?
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Celui, il me semble que vous possédez très bien le français standard dont vous voulez briser les règles. Vous vous exprimez dans une langue claire, riche et compréhensible à tous ceux qui maîtrisent le français. Les personnes que vous prenez en exemple dans la rue sont pour la plupart loin de pouvoir comprendre votre discours. Ce sont des communautés fermées qui se sentent rejetées parce qu'elles refusent de se laisser assimiler, pour des raisons diverses (difficultés d'identification, origine étrangère, références religieuses fortes, interprétation particulière de l'histoire et des relations internationales...) ; elles ne peuvent pas constituer un exemple d'avancée linguistique, de par leur caractère introverti, et leur rejet de la communauté nationale. Leur langue s'apparente plus à un argot, qui sert aux individus d'un groupe à se reconnaître et à communiquer entre eux. Le français commun présente plusieurs avantages : l'inter-compréhension dans le domaine francophone, la richesse des possibilités d'expression dans tous les domaines, l'abondance des œuvres écrites passées, présentes et certainement à venir.
Vous prenez comme exemple linguistique des gamins de la rue au vocabulaire pauvre, assis entre deux cultures, en marge de la société. Ce n'est pas sérieux. La prétendue diversité culturelle de la France est un mythe qu'une certaine minorité d'intellectuels voudrait faire passer pour une réalité. La réalité, ce sont des communautés en voie d'assimilation, difficile et longue sans doute, mais inéluctable pour conserver la cohésion de notre pays.
Sous cet angle, l'avenir du français ne sera pas la grande déstructuration que vous prônez, mais des évolutions telles que la langue a déjà connues à la fin du moyen-âge ou au passage de l'ancien régime à la période post-révolutionnaire.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je n'aurais pas été capable de le dire aussi bien que vous, JAA, mais je vous tire mon chapeau et approuve totalement cette démonstration et l'analyse que vous faites.
Pour donner un exemple personnel, je n'appartenais pas aux catégories que vous évoquez, mais j'étais un enfant pauvre élevé dans les bas quartiers de Paris et surtout dans la rue. Si j'avais continué à parler la langue que je pratiquais alors, je n'aurais jamais fini dans la peau d'un cadre de la Bourse.
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Message par Invité »

Je crois qu'on ne parle pas de la même chose quand on parle de la rue. En aucun cas je parle des obscénités ou des insultes que l'on peut entendre à longueur de journée. Je suis bien d'accord avec vous pour dire que celui-ci n'apporte pas grand chose au langage. Mais un usage plus réfléchi comme celui qui est fait dans le rap ou dans le slam manifeste bel et bien d'une avancée langagière. Il y a un vrai travail sur le langage, dont l'une des principales armes est justement ce parlé si particulier que l'on peut trouver en banlieu. Mais pas que! Si vous écoutez un groupe comme La Caution, la langue française parait enrichie par tout le parlé urbain, et cela donne quelque chose d'extraordinaire.
La diversité culturelle, je l'employais sans la connotation naïve dont vous parlez. Je suis bien conscient de l'enfermement des communautés, mais les généraliser comme vous le faites me parait approximatif. Un jeune de 25 ans, né en France, d'origine étrangère, est peut-être assis entre deux cultures, tout autant que je le suis, sans pour autant être marginalisé. Il est allé à l'école comme moi et n'a pas forcément grandi dans un ghetto. Il ne rejette pas non plus la communauté nationale catégoriquement mais trouve des difficultés dans son épanouissement, et tente de bricoler avec le système, notamment le système langagier. Sa manière de parler n'est pas anodine ni isolée! Il n'existe aucune assimilation complète, elle se fera toujours au prix de compromis.
Dans un monde parfait, on parlerait tous la même langue, le français standard, et on bénificierait de tous les avantages que vous citez. Mais ce n'est pas le cas, et prôner une destructuration est aussi absurde qu'une rigidité absolue. Parce que le français standard fait souvent oublier la complexité sociale, on cherche l'assimilation par la force et non la compréhension mutuelle, et cela passe par "notre belle langue". Mais dans les faits, cela ne fonctionne pas. On voit cela chaque jour à la télévision...
Si les gens opprimés en France parviennent à faire de leur parole un art reconnu (hip hop, slam, poésie, peut-être la littérature un jour), on ne pourra plus nier l'existence de ce parlé nouveau et différent, et ce sera peut-être l'occasion de voir le français, et donc la France, avec plus de recul, peut-être moins de préjugés. Un moyen de moins faire subir de violence symbolique aux communautés marginalisées.
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Perkele
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Message par Perkele »

Cette population dont vous parlez n'est pas la première à avoir immigré en France ou à descendre d'immigrés. La migration existe depuis qu'il y a des êtres sur Terre. Chaque génération a vécu sa vague qui se résorbe quand vient une nouvelle.

Alors je vous en prie, veuillez cesser de parler de populations opprimées en France, regardez plutôt vers d'autres pays qui connaissent de réelles oppressions et veuillez vous recentrer sur la langue et ne pas dévier sur la politique.

En outre, vous me feriez plaisir - mais cela est personnel - de ne considérer le rap ni comme de la poésie, ni comme de la musique.
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Jacques
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Message par Jacques »

Il faudrait mettre un frein aux débordements qui dépassent les limites du forum : j'ai déjà dit une fois que l'objectif ici est de débattre de questions relatives à la langue française. Nous ne faisons pas de sociologie ou d'étude de classes, et nous ne faisons pas le procès de la société.
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Invité

Message par Invité »

Perkele je vois mal de quel droit vous vous permettez de me dire ce que je dois considérer et comment je dois le faire. Vous ne montrez là que votre ignorance en ce qui concerne le rap français.
En ce qui concerne les oppressions et les discriminations, ce n'est pas une compétition pour voir qui en a le plus ou non! Et je vous ferais remarquer que de ces phénomènes, j'en ai assez vu à l'étranger, notamment pour avoir vécu en Amérique Latine pendant une longue période, ce qui n'empêche rien. Si l'on suit votre discours, il suffirait qu'il y ait de petits africains qui meurent de faim pour que l'on puisse laisser libre cours aux pratiques discriminatoires et injustes.
Par ailleurs, vous généralisez l'immigration, quelle imprudence! On ne peut mettre dans le même sac tous les phénomènes migratoires, certains ont plus d'importance que d'autres, et notamment dans le cadre du système langagier.

Je veux bien prendre en compte le fait qu'il faille nous concentrer sur la langue, je l'accepte, et ce sera mon dernier message dans ce sens sur ce sujet. Mais me faire servir un discours qui bave d'intolérance pour me faire taire, c'est honteux!
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Perkele
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Message par Perkele »

Cela est personnel et pour me faire plaisir, je vous l'ai dit, je ne classe le rap ni dans la musique ni dans la poésie. C'est tout. Disons que ça existe et que c'est autre chose. Un moyen d'expression par exemple.

Quant à vous demander de vous recentrer sur la langue, c'est faire seulement mon boulot de modérateur.
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Marco
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Message par Marco »

Celui a écrit :Je veux bien prendre en compte le fait qu'il faille nous concentrer sur la langue, je l'accepte, et ce sera mon dernier message dans ce sens sur ce sujet. Mais me faire servir un discours qui bave d'intolérance pour me faire taire, c'est honteux!
J’ai l’impression que vous avez un peu tendance à ne pas prendre en considération les nuances : Perkele n’a pas fait preuve d’intolérance, elle vous a gentiment exprimé un avis personnel. Il ne faut pas devenir agressif, et, comme l’a dit Jacques, nous avons largement débordé des rives du forum. Merci de votre compréhension.
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Anne
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Message par Anne »

J'arrive un peu après la bataille, et je n'ai aucune envie de répondre à Celui, qui me semble totalement imperméable à toutes vos excellentes argumentations, mais puisqu'on me demande mon avis de musicienne en chef, je m'exécute. Je ne réagirai qu'à ces propos :
Celui a écrit :En fait, c'est simple, la musique s'affranchit des règles pour avancer, et pour cela elle doit parfois même passer pour ce qu'on pourrait appeler de la vulgarité. C'est ainsi qu'elle avance. Le Jazz était de la sous-culture, à l'époque, le blues de même, et vous connaissez ces genres maintenant. La musique atonale a du briser toutes les règles d'harmonie, et pourtant qui viendrait contester la place de Schoenberg dans la musique?
Eh bien moi, par exemple. Schoenberg a, en effet, brisé les règles de l'harmonie et de la tonalité, le criminel !, pour inventer un nouveau système qui ne fait sens pour personne, même pas pour ceux qui prétendent par snobisme lui en trouver. Cette destruction de la grammaire et de la syntaxe du langage musical équivaudrait, dans la langue française, à utiliser les mots pour leur seule sonorité et non plus pour leur sens, et au mépris de leur fonction grammaticale. Des compositeurs ratés, en manque d'inspiration, se sont engouffrés dans cette brèche, et la musique savante ne s'en est pas encore remise. Quelle avancée ! On essaie maintenant de revenir en arrière, mais sans véritable succès. Briser les règles d'un langage, c'est le tuer.
En revanche, le jazz et le blues, nés de styles populaires (pas vulgaires), ne se sont pas du tout affranchis de ces règles fondamentales : on y retrouve toutes les fonctions du langage tonal. Leur apparition constitue une évolution par l'enrichissement de la musique populaire.

Au sujet de la vulgarité (celle du langage des rappeurs par exemple) serait donc nécessaire, d'après Celui, à l'avancée de la langue... D'après Gaudi, "la vulgarité ne pourra jamais concevoir de pensées élevées. L'art vil et abruti est destructeur".

Pour le reste, je suis en tous points d'accord avec tout ce que vous avez répondu à Celui. Et j'aimerais nommer Manni-Gédéon musicienne en chef suppléante. :wink:
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Dame Vérone
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Message par Dame Vérone »

Anne a écrit :
D'après Gaudi, "la vulgarité ne pourra jamais concevoir de pensées élevées. L'art vil et abruti est destructeur".

Pour le reste, je suis en tous points d'accord avec tout ce que vous avez répondu à Celui. Et j'aimerais nommer Manni-Gédéon musicienne en chef suppléante. :wink:
Alors, en ce 14 juillet, fanfare pour les musiciennes en chef !
et surtout bravo pour ce qu'elles ont exprimé ici sur la langue, le français, la musique. Je suis au diapason pour notre fête nationale, même si je dois avoir quelques cernes par manque de sommeil !
Verrouillé