Euphémismes

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cyrano
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Message par cyrano »

Hippocampe a écrit :Je ressens, à tort ou à raison, que " X à mobilité réduite" est une expression plus adaptée à une machine qu'à un être humain. À mes yeux toujours, c'est une expression technocratique qui exprime du "je ne touche pas ce dont je parle".
Pourquoi ne pas parler de personne légèrement handicapée?
Il faudrait donc dire, à propos du service communal de transport adapté que j'évoquais, qu'il est destiné aux "personnes handicapées ou légèrement handicapées"? Mouais, pourquoi pas? Mais en fait, cette voisine de 92 ans n'est pas lègèrement handicapée: elle n'a plus la même mobilité qu'avant, il lui faut donc un véhicule avec plancher surbaissé, une personne qui l'aide à y monter ou à en descendre... C'est ça, le transport pour "personnes à mobilité réduite" (ou si vous préférez, à faible mobilité, peu mobiles, en perte de mobilité...)
Quand je prends un pot avec un arabe ou un unijambiste, je prends le pot et je parle tranquillement avec la personne sans me soucier de son type ethnique ou du nombre de ses jambes.
Mais moi aussi, croyez-le bien! J'espère et je pense que nous sommes tous dans le cas. Cette discussion n'oppose donc pas des personnes supposées larges d'esprit et sans tabous et d'autres (comme moi) qui auraient peur de nommer certaines réalités. Un handicap est un handicap, une couleur de peau est une couleur de peau, point barre. Ce que j'essaie simplement de vous dire, c'est qu'il y a des aussi réalités nuancées: des difficultés d'audition qui ne sont pas de la surdité proprement dite, des pertes de mobilité (dues notamment au grand âge) qui ne sont pas assimilables à un handicap avéré... C'est en cela que "malentendant" ou "à mobilité réduite" ne sont pas de vulgaires euphémismes, mais des concepts qui ont leur utilité à mon sens.

Jacques (qu'il m'excuse de reprendre une dernière fois son cas!) peut dire qu'il est "à moitié sourd", c'est son droit et je le respecte. Mais il serait tout aussi en droit de dire qu'il est malentendant. Ce n'est pas un euphémisme de "sourd": de fait, il entend mal. La relativisation du handicap peut tout aussi bien se faire dans un sens (à moitié sourd) que dans l'autre (malentendant).

On dit bien "métis" pour quelqu'un qui se situe à mi-chemin entre deux origines raciales: pourquoi n'y aurait-il pas des termes pour désigner un "demi-handicap", en quelque sorte?
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Jacques
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Message par Jacques »

Pour votre service communal, on peut dire qu'il est réservé aux handicapés, ce qui couvre un large spectre d'infirmités, graves ou moins graves.
Cette discussion est intéressante, elle met l'accent sur les hésitations qu'ont les personnes valides à l'égard de celles qui le sont moins. Je vous livre mon sentiment : ce qui importe ce ne sont pas les mots mais les comportements. Je me sens à l'aise avec les juifs, les Noirs, les Maghrébins... parce que je les traite avec un parfait naturel d'où leur origine est exclue. Pour les handicapés, il y a des choses qui agacent :
– les gens valides qui nous volent nos places réservées devant les magasins, parce que cela leur économise des pas ; et moi, je dois claudiquer sur 200 m aidé de ma canne, au prix de grandes souffrances ;
– les pleurnichards qui me cassent les oreilles avec leurs petits maux sur lesquels ils s'étendent pendant 10 à 15 minutes avec force détails. Un jour, un monsieur m'a dit : « Je ne peux plus guère sortir de chez moi ; vous vous rendez compte de ce que c'est que de ne plus pourvoir marcher à 70 ans ? » . Je lui ai répondu : Je m'en rends parfaitement compte parce que je suis dans le même état, et cela m'a pris à 42 ans.
Et tous ceux qui me disent : j'ai eu une bronchite, je n'ai pas pu sortir de chez moi pendant 5 jours, c'est pénible ! Et moi, c'est depuis 1985 que je ne sors plus.
Dernière modification par Jacques le lun. 24 déc. 2012, 12:30, modifié 4 fois.
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Hippocampe
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Message par Hippocampe »

Cyrano,

Vous n'êtes pas le repoussoir de ce fil et vous avez raison d'apporter des nuances.

J'abrège car je dois larguer les amarres. (J'ai la chance de pouvoir les larguer.)

H
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Jacques
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Message par Jacques »

En fait, Cyrano a fort probablement raison d'essayer d'établir des nuances : malentendant ce n'est pas sourd, malvoyant c'est aussi un terme intermédiaire. Je n'emploie pas ces mots, mais je comprends que des gens, valides ou pas, aient besoin de s'en servir.
Il y a le quasi-euphémisme utile pour exprimer une nuance, et l'euphémisme absurde qui fait appeler les nains « personnes de petite taille », les manœuvres « agents de production », le chef du personnel « directeur des ressources humaines » (ressources me fait penser à charbon, pétrole, etc.), la cantine « unité de production culinaire ». Là, nous touchons au sublime dans la bêtise.
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Hippocampe
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Message par Hippocampe »

Ce stupide « unité de production culinaire » existe-t-il vraiment????

Je trouve utile le mot mal-voyant. J'espère pouvoir supposer qu'il a été créé dans un premier temps. Mais quand on passe de ce mot à "non-voyant" (souvent utilisé de nos jours), alors que le mot "aveugle" existe depuis Mathusalem, je suis consterné.
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Jacques
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Message par Jacques »

Hippocampe a écrit :Ce stupide « unité de production culinaire » existe-t-il vraiment????

Je trouve utile le mot mal-voyant. J'espère pouvoir supposer qu'il a été créé dans un premier temps. Mais quand on passe de ce mot à "non-voyant" (souvent utilisé de nos jours), alors que le mot "aveugle" existe depuis Mathusalem, je suis consterné.
Je ne peux pas apporter de garanties mais je l'ai lu ou entendu rapporter comme vrai. Remarquez que dans le genre, j'ai déjà expliqué ici que l'infâme cantine de la Bourse était appelée dans la profession « le restaurant corporatif ». Moi, je disais le graillon, ou parfois « chez la Brinvilliers ».
Nous venons de regarder une émission, Retour de terre inconnue, à laquelle participait Gilbert Montagné. Il disait toujours « je suis aveugle » ou « moi qui suis aveugle », et quand les autres s'adressaient à lui, tous disaient « toi qui es non-voyant ». C'est là que se situe le hic : les personnes valides ont peur des mots qu'elles vont employer vis-à-vis des autres qui ne le sont pas. Mon directeur d'école appelait cela « le respect humain », je ne sais pas si ce terme a toujours cours. Je me rappelle qu'il prononçait respèkumin. Rien à voir avec le respect dû à autrui, c'est la crainte de dire ou faire quelque chose qui choque ou déplaît.
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Message par cyrano »

Hippocampe a écrit :Je trouve utile le mot mal-voyant. J'espère pouvoir supposer qu'il a été créé dans un premier temps. Mais quand on passe de ce mot à "non-voyant" (souvent utilisé de nos jours), alors que le mot "aveugle" existe depuis Mathusalem, je suis consterné.
Nous sommes bien d'accord (ainsi qu'avec Jacques).

Je largue les amarres à mon tour... :wink:
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Hippocampe
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Message par Hippocampe »

« chez la Brinvilliers » est très amusant.
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Jacques
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Message par Jacques »

Hippocampe a écrit :« chez la Brinvilliers » est très amusant.
C'est parce que j'avais écrit un poème satirique sur ladite cantine, et qui se terminait ainsi :
Ce temple du médiocre, objet de nos rancœurs,
Que nous n'évoquons point sans quelque haut-le-cœur,
Est-ce l'antre maudit de chez la Brinvilliers ?
Mais non, c'est la cantine où mangent les boursiers
!
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Hippocampe
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Message par Hippocampe »

Vous avez bien fait de le garder!
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Message par Manni-Gédéon »

Je trouve également absurde de parler d'une personne en situation de handicap quand elle présente un handicap permanent. À mes yeux, une personne qui a une jambe dans le plâtre (voire les deux) se trouve en situation de hadicap.
On emploie le mot situation pour désigner un ensemble de circonstances ; quand il se rapporte à un état permanent, il m'apparaît comme un contresens.
L'erreur ne devient pas vérité parce qu'elle se propage et se multiplie ; la vérité ne devient pas erreur parce que nul ne la voit.
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Jacques
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Message par Jacques »

manni-gedeon a écrit :Je trouve également absurde de parler d'une personne en situation de handicap quand elle présente un handicap permanent. À mes yeux, une personne qui a une jambe dans le plâtre (voire les deux) se trouve en situation de hadicap.
On emploie le mot situation pour désigner un ensemble de circonstances ; quand il se rapporte à un état permanent, il m'apparaît comme un contresens.
Le « politiquement correct » ne se soucie guère de la véracité ou de la justesse des mots qu'il véhicule. L'euphémisme hypocrite est toujours ridicule et mal venu.
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Message par AliceAlasmartise. »

manni-gedeon a écrit :Je trouve également absurde de parler d'une personne en situation de handicap quand elle présente un handicap permanent. À mes yeux, une personne qui a une jambe dans le plâtre (voire les deux) se trouve en situation de hadicap.
On emploie le mot situation pour désigner un ensemble de circonstances ; quand il se rapporte à un état permanent, il m'apparaît comme un contresens.
On pourrait aussi voir cela dans le sens où la personne peut n’être handicapée que dans certains contextes ? Une personne peut être handicapée socialement par des troubles de locution mais pas handicapée moteur car elle peut se déplacer « normalement ».
Comme pour donner une définition plus conjoncturelle du handicap ?
Enfin, dans toutes les acceptations possibles de cette expression, le contresens avec les handicaps permanents est là, c'est vrai.
Le problème c'est peut-être la définition même du handicap : à partir de quand l'est-on ?

Pour les noirs, c'est pareil, on passe de « nègre » à « de couleur » à « d'origine africaine » à « issu de la diversité » (que j'entends de plus en plus souvent)
Bientôt on dira des noirs qu'ils sont des terriens, pour ne pas les vexer. À partir du moment où on hésite à appeler un noir un noir, on lui donne l'impression que c'est une honte d’être noir et que l'appeler comme ça pourrait le vexer.
Tous les euphémismes qui se créent pour que les handicapés et tous les autres « exclus», tous ceux qui ne sont pas « normaux », ne soient plus stigmatisés ne font que le contraire.

Ce regard porté sur le handicap, qui engendre les euphémismes, m'a fait penser à cet extrait d'un écrit d’Hélène Genet :

« Le handicap fascine : c’est un étrange spectacle, c’est moi et ce n’est pas moi, le spectacle de l’étranger – comment, ainsi diminué ou déformé, peut-on vivre ?
Le handicapé rassure : ce n’est pas moi ! grâce à Dieu, moi je marche, je parle, je vois, je comprends, je suis indépendant. Plus pernicieux : puisque moi je ne suis pas affligé de cette façon, c’est donc que je suis « normal » (= conforme ? à quoi ? respectable ? aimable ? mais lui alors ?)
Le handicapé dérange : ses gestes incontrôlés, son corps tordu, son visage marqué ; on n’ose pas trop approcher, on évite la communication, c’est-à-dire une possible communauté, une possible égalité. C’est qu’on n’est pas bien sûr de ce qui fait notre intégrité, notre identité.
Le handicap angoisse : il est l’extériorisation, la métaphore trop palpable de nos limites, de nos manques, de nos défaillances. Et la plupart d’entre nous mettent toute leur énergie à les masquer, à les dépasser, à les nier.
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Jacques
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Message par Jacques »

L'euphémisme traduit une gêne et, en voulant atténuer les choses dans le nom qu'on leur donne, il ne fait que souligner un fait que l'on considère comme presque honteux. C'est pourquoi bon nombre de gens infirmes, et je me compte dedans, appellent leurs handicaps par leur vrai nom. Mais cela ne semble pas mettre à l'aise les « gens normaux ».
Il faut cesser de se casser la tête pour trouver des termes différents afin de définir un degré d'infirmité. C'est plus simple et primaire quand on est du mauvais côté. Comme le dit l'ami de Cyrano, les précautions de langage ne guériront pas les infirmités.
Un garagiste ne vous dira pas que le système de changement des palliers de rapidité a subi une fracture, il dira que votre boîte de vitesses est cassée. Quand il y a quelque chose qui déraille dans la machine humaine, on doit le dire sans détours.
Pour les questions raciales, c'est autre chose. Nègre est un mot péjoratif et insultant en français, parce qu'il est lié au mépris dans lequel les esclavagistes tenaient ces malheureux, et à tout ce qu'on mettait d'ignoble dans la négation de leur humanité. Mais Noir fait très bien l'affaire. C'est ainsi que nous qualifions notre fils adoptif. C'est un mot neutre, auquel aucun fait dégradant n'a été attaché. Issu de la diversité, c'est le summum de la bêtise.
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Hippocampe
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Message par Hippocampe »

Je suis d'accord avec chacun de vos mots.

Quand je dis "handicapé" ou "noir", je suis à l'aise, pas plus pas moins qu'avec tout le monde, avec les handicapée et les noirs.
Si j'utilise certaines expressions mentionnées ci-dessus, je suis mal à l'aise avec les handicapés et raciste envers les noirs.
Le mot mal-voyant est utile, le mot non-voyant est consternant.

Je crois qu'on a fait le tour de cette triste question.

A cette question s'en mêle une autre différente: l'attirance de gens pédants vers le langage d'apparence technique et nouveau grâce auquel on pense paraître plus intelligent qu'en utilisant un langage normal. Qui cherche à se montrer plus intelligent qu'il ne l'est? Un con complexé.
C'est là un deuxième sujet de réflexion.
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