Les pléonasmes

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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

C'est excellent. J'avais entendu ou lu l'histoire il y a longtemps. Je ne savais plus qu'elle concernait Isadora DUNCAN et George Bernard SHAW.

Nous nous éloignons des pléonasmes. Mais je trouve intéressant de comparer la langue du Petit Parisien, journal qui relate, le 15 septembre 1927, la mort de la danseuse, avec le langage journalistique actuel :

Mort tragique d’Isadora Duncan. Un bout de l’écharpe qui lui entourait le cou se prend dans une roue de son automobile. La Malheureuse femme périt étranglée

Une triste nouvelle nous arrive de Nice, qui va répandre la consternation dans le monde des arts et des artistes : Isadora Duncan est morte d’affreuse manière.
Cette femme qui, toute sa vie, avait répandu autour d’elle la grâce et la beauté a trouvé, en effet, le trépas le plus tragique que l’on puisse imaginer. Hier au soir, elle se promenait en auto et fut victime d’un léger accident.
Pour rentrer chez elle, elle monta dans une machine de course qui s’offrit à la ramener. Mais l’écharpe qu’elle portait autour du cou, et qui d’abord flottait derrière elle, se prit soudain à la roue arrière et s’y enroula. Sans qu’elle pût ni appeler ni faire un geste, Isadora fut serrée si violemment qu’elle succomba presque aussitôt, étranglée. Mais l’écharpe la tirant toujours, son corps bascula et finit par tomber sur la chaussée de la promenade des Anglais. On la releva abîmée.
Isadora Duncan était née à San Francisco. Elle descendait d’une famille écossaise et l’un de ses ancêtres, sir William Duncan Bart, avait combattu aux côtés de George Washington. Par quel hasard, par quelle prédestination mystérieuse cette descendante de gens si austères se livra-t-elle à la danse ? Qui saurait le dire ? Elle dansa comme rarement l’on avait dansé avant elle, avec une ferveur qui semblait la soulever, la transporter. Elle créa un genre, une école. Elle connut les succès les plus complets, interprétant tour à tour, sur les plus grandes scènes d’Europe, Beethoven, Gluck, César Frank, Tchaïkovsky... Son éclectisme ne permettait pas qu’on la classât : par sa plastique, par cette sorte de furie mystique qui l’animait sur la scène, elle dérouta toutes les théories.
Elle aurait pu, plus pratique, amasser une fortune immense ! Las, elle s’en va pauvre. Pauvre, et sans doute désabusée : quels deuils n’a-t-elle pas connus ? Ceux qui la virent étinceler, tantôt papillon, tantôt psyché, tantôt cygne, ne se doutaient guère de sa détresse intérieure. Elle avait créé, après de sensationnelles tournées en Amérique et en Russie, un studio à Neuilly : ce studio a été vendu après faillite !
Elle avait cru que la Russie soviétique la comprendrait mieux que l’Europe « trop vieille » : elle en revint meurtrie. Elle avait cherché, dans un second mariage, une félicité qu’elle proclama si haut que le monde entier s’y associa. Son second mari, un poète russe, Serge Essenine, auteur d’une retentissante Confessions de voyou, se suicida à Moscou, dans un hôtel.
Elle croyait à des amitiés qui ne duraient pas. Elle se berçait de rêves incompris, elle se leurrait d’illusions et elle vivait entourée de drame. Qui ne se souvient de la mort de ses enfants ? Ils avaient pris place dans une auto qui, soudain mise en marche, roula sur la berge de la Seine et glissa dans le fleuve. Les deux malheureux s’y noyèrent. Isadora Duncan, à leurs obsèques, « dansa » sa douleur, qui était profonde. Il fallait que ce fût elle pour que l’on comprît cette forme sublime de la Douleur.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

« C'est bien dimanche le concert ? demande un auditeur à un animateur de radio.
— Je vous confirme que oui », répond l'animateur.
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

À la radio, on se répète souvent, on éprouve le besoin d'insister. "Oui" serait jugé trop court (on dirait d'ailleurs "tout à fait" ou "absolument"), "je vous le confirme" trop formel ; "oui, je vous le confirme" serait bon, mais déjà un pléonasme et la forme "je vous confirme que oui", si j'en juge par ce que je vois sur Google Livres, est devenue assez courante en discours indirect libre.

On trouve aussi, mais moins couramment, "je vous confirme qu'oui".
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit : "oui, je vous le confirme" serait bon, mais déjà un pléonasme.
Je ne trouve pas. Toute insistance ou répétition n'est pas pléonastique.

Un candidat à la députation dit d'un autre : Nous partageons avec H. M. la même conception du mandat de député.
Il me semblait – je n'en trouve pas trace – avoir déjà dénoncé sur FNBL le pléonasme consistant à associer « partager » et « le... » ou « la même ». Il me gêne d'autant plus dans cette phrase qu'il s'y trouve peut-être un autre pléonasme, ou pour le moins une tournure fautive, celle consistant à employer « nous » au lieu de « je » lorsqu'un complément introduit par « avec » désigne le deuxième protagoniste.
Le candidat préfère la complication et les fautes à la phrase simple « H. M. et moi avons la même conception du mandat de député ». Il pourrait dire aussi, je crois : « H. M. et moi partageons notre conception du mandat de député ».
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Claude
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Message par Claude »

Je dérive un peu. Grammaticalement, dans la phrase « je vous confirme que oui », oui est bien à lui tout seul une proposition subordonnée conjonctive n'est-ce pas ?
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

André (G., R.) a écrit :
Leclerc92 a écrit : "oui, je vous le confirme" serait bon, mais déjà un pléonasme.
Je ne trouve pas. Toute insistance ou répétition n'est pas pléonastique.
J'en suis convaincu mais n'est-ce pas la même chose que "je vous confirme que oui", que vous citiez comme pléonasme, ou du moins c'est ainsi que j'ai interprété le fait que vous l'ayez placé dans ce fil ?
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Claude, vous avez un don ! Vous avez deviné que je m'apprêtais à parler de cette particularité embarrassante du français. En tout cas je ne connais aucun équivalent dans les quelques langues étrangères qui me sont plus ou moins familières.
La présence de « que » après « je confirme » contraint l'observateur à faire la même analyse que vous. Mais on nous enseigne qu'une proposition se reconnaît au fait qu'un verbe est à sa base. Peut-être faut-il admettre que « oui » vaut « le concert a bien lieu dimanche ». On a de même « Il semble que oui », « Elle croit que non », « Il me semble que si ».
En allemand « Je pense que oui » se dit « Ich denke ja » (Je pense oui) : je n'ai pas l'impression qu'un germanophone natif voie une subordonnée dans ce « ja ».

Leclerc92, je dois admettre qu'il y autant de ressenti que de rationnel dans ma position. Disons que la phrase serait envisageable sous la forme écrite « Oui. Je vous le confirme » : « Oui » en tête peut être totalement détaché de « Je vous le confirme », cette dernière partie constituant une gradation et une confirmation dans la réponse positive. À l'inverse, dans « Je vous confirme que oui », « que oui » est strictement indissociable de « Je vous confirme » et laisse l'impression d'une redite sans nouveauté.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :On trouve aussi, mais moins couramment, "je vous confirme qu'oui".
En début de mot, les semi-voyelles [j] (iambe, hiatus), [w] (ouate, ouistiti) et [ɥ] (René HUYGUES, huit) peuvent indifféremment provoquer ou non l'élision du E qui les précède, selon qu'on y voit des voyelles ou des consonnes. Il ne me semble pas, en particulier, que la présence du H joue un rôle pour les options « le hiatus » ou « l'hiatus », le mot étant d'origine latine. Je n'imagine tout de même guère « Ce iambe me plaît bien » ; mais « cet iambe » est-il beaucoup plus plaisant ?
La semi-voyelle [w] est présente aussi à l'initiale sous la forme d'un W (western), mais je ne connais aucun mot de la sorte provoquant l'élision du E qui le précède ou, comme ci-dessus, pour le masculin, l'ajout d'un T au démonstratif : qui dirait « cet western » ?
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Oui, la tendance moderne est à la disjonction plus qu'à l'élision. Or les mots commençant par la semi-voyelle [w] (peu nombreux) sont d'importation récente et ont donc naturellement été prononcés avec disjonction, même pour les plus anciens d'entre eux : le week-end, le ou les waters, ces deux mots ayant même été parfois prononcés avec un "v".
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Message par Jacques-André-Albert »

Leclerc92 a écrit :Oui, la tendance moderne est à la disjonction plus qu'à l'élision.
Sauf peut-être avec le mot ouate, bien que le TLFI affirme le contraire :
L'élision de l'art. ou de la prép. est facultative: de l'ouate ou de la ouate, mais l'élision semble l'emporter aujourd'hui.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Message par Claude »

Comme dans la chanson (que je n'aime pas) : « de toutes les matières c'est la ouate que j'préfère... »
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Message par Islwyn »

J'ai toujours entendu « c'est le watt que je préfère »...
Non, non, je plaisante, c'est dimanche matin !
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Claude
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Message par Claude »

Le dimanche matin tout est permis.
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Jacques-André-Albert a écrit :
Leclerc92 a écrit :Oui, la tendance moderne est à la disjonction plus qu'à l'élision.
Sauf peut-être avec le mot ouate, bien que le TLFI affirme le contraire :
L'élision de l'art. ou de la prép. est facultative: de l'ouate ou de la ouate, mais l'élision semble l'emporter aujourd'hui.
Nous parlions bien sûr d'une tendance, ce qui suppose des exceptions notamment pour les mots les plus anciennement installés dans la langue ; c'est le cas de "ouate" qui fait partie de notre vocabulaire depuis plusieurs siècles.
La chanson que nous rappelle Claude (je me suis toujours demandé pourquoi certaines chansons obtiennent un tel succès) avait à l'époque fait couler beaucoup d'encre dans les colonnes des revues de défense de la langue française.
Je crois que je fais naturellement l'élision dans certaines expressions comme "tampon d'ouate" : "tampon de ouate" me choquerait, mais on le trouve bien sûr, y compris dans les livres et pas seulement dans les livres récents. Il a d'ailleurs l'imprimatur de Larousse :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/fr ... uate/56852
La plupart des grammairiens mentionnent la possibilité de dire l'un ou l'autre, mais mon propre usage est celui que recommande Girodet :
« En général, élision de l'article la (de l'ouate) et de la préposition de (Un paquet d'ouate). Pas d'élision ni de liaison devant les dérivés : ouater (je ouate, nous ouatons), ouaterie (la ouaterie, industrie de l'ouate), ouatine (la ouatine), ouatiner (je ouatine). »
Cette dernière observation est judicieuse et illustre une fois de plus les bizarreries de la langue. Comme chacun sait, "coton-tige" est une marque déposée et on est prié de dire, avant qu'ils disparaissent des officines, des "bâtonnets ouatés". Je ne m'entendais pas dire "des bâtonnets zoités" !

Juste une dernière remarque que je tire de la notice du TLF sur la prononciation de "ouate" :
,,quelques-uns pourtant disent et écrivent ouette``, 1798: ,,on dit plus communément ouète``, 1835: ,,on prononce ouète``. Cette prononc. est jugée tout à fait surannée ds Littré.
C'est amusant qu'à l'époque du fameux "Le rwè, c'est mwè" de Louis XVIII, on ait aussi dit "ouète".
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Cela étant, comment suivre ?
« C'est le watt que je préfère,
- Dit l'électricien -
Mais ça m'étonne quand même toujours
Qu'on l'aime plus que le gaz !

Vers d'une fable perdue de La Fontaine.
Dernière modification par Islwyn le dim. 28 mai 2017, 11:29, modifié 1 fois.
Quantum mutatus ab illo
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