UN IN

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Claude
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Message par Claude »

Merci Klaus de m'attribuer cette citation que j'ai empruntée à Wikipédia :wink:
Invité

IN et UN poétiques

Message par Invité »

bonjour à tous, je suis nouvelle venue et surprise de trouver ce sujet qui m'intéresse si particulièrement. J'espère que ce commentaire s'y inscrit d'une manière plaisante ; en tout cas je ne vois pas où je pourrais lui trouver une meilleure place ! :wink:

UN et IN sont deux voyelles nasales permettant d'assez jolies modulations phonétiques, notamment dans la poésie d'expression française. Elles sont discrètement pour le nord de la France et très sensiblement pour le sud différentes l'une de l'autre. La langue classique d'ailleurs (sans attendre Malherbe ni Boileau) a proscrit la rime de ces deux nasales considérées comme vraiment distinctes. Par exemple il n'est droit de rimer ni chemin et commun, ni feint et défunt, ni vain et parfum etc.
Paul Verlaine en rimant :

"Pâle et rose comme un / Coquillage marin"

se serait assurément attiré les foudres de la vieille Académie !


Au passage : les critères d'une langue poétique classique les plus faciles à dégager sont bien sûr ceux de la rigueur formelle, de la recherche syntaxique, et surtout du plein emploi des ressources phoniques, phonétiques, de notre langue.
En matière de rigueur formelle, c'est un truisme d'ajouter que
- 1) la connaissance parfaite et la maîtrise des règles de la versification constituent le b.a.-ba de l'art poétique, mais que
- 2) l'essentiel ne s'enseigne pas.
(Par exemple Racine et Corneille font, chacun de son côté, de parfaits alexandrins sur le plan formel sans que la puissance de leurs styles respectifs en soit le moindrement altérée. Il est facile de les reconnaître et de les distinguer.)

Mais j'insiste aujourd'hui sur le seul plan sonore - tout en sachant que la force syntaxique participe au relief de l'expression.

Quels merveilleux bouquets font ces voyelles nasales :

"Il est teint de mon sang./ Plonge-le dans le mien,
"Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien." (Reconnaissez le Cid.)

On pourrait imaginer qu'en 2009, où les "règles" sont d'autant plus enfreintes qu'elles sont oubliées, la sensibilité phonétique de pointe a totalement disparu du domaine de la création poétique. Mais il n'en est rien.

Dans un échange épistolaire suivi avec Vladimir Volkoff (romancier, homme de théâtre) échange dont j'ai eu les copies sous les yeux, le poète Louis Latourre a évoqué cette sensibilité si particulière aux couleurs phoniques des voyelles nasales, et à la puissance expressive de leur composition.
(...) Je vois en effet, je perçois des couleurs dans les sons des voyelles ou plus exactement des vibrations colorées, et j'essaie de composer selon les rapports de ces couleurs mouvantes. Je n'ai rien inventé d'ailleurs : bien des poètes et bien des musiciens ont fondé plus ou moins consciemment leur travail sur la synopsie. Je ne pense pas à Baudelaire ni à Rimbaud qui en ont parlé extérieurement, de façon descriptive, sans que la matière de leur oeuvre même rimée soit véritablement affectée du propos qu'ils tenaient. Mais chez les modernes français je pense d'abord à Messiaen, qui durant toute sa vie a évoqué et prouvé ce phénomène comme sous-tendant ses compositions musicales - tout en déplorant que cette déviation sensorielle affecte si peu de gens.

Le son IN tout particulièrement m'a viscéralement porté à la poésie. Dans l'émerveillement des mes 17 ans dû au Placet futile de Mallarmé, la nasale n'a pas moins compté que le reste :

Princesse ! à jalouser le destin d'une Hébé
Qui point sur cette tasse au baiser de vos lèvres
(...)

Et je me rappelle encore la surprise d'Antoine Vitez (qui avait pris plaisir à la lecture d'Adonis au point de m'en offrit une, publique, par les acteurs du "Français") lorsque je lui fis observer le fondement de la pièce entière sur cette nasale qui m'est si chère, ou sur ce que j'entends comme ses variantes AIN, AIM, IM, (O)IN, EIN, (I)EN, (E)EN, (Y)EN, EN des composés du grec penta, de menthol, benzène (mots à ne pas chercher dans la pièce !) jusques et y compris (hérésie pure) YN, YM, UN et UM... Mais que ce soit dans le TAIN du miroir, le TEINT du visage ou le THYM de Provence, je perçois toujours ces vibrations comme d'un beau bleu-vert cendre, à dominante cendrée mais variable : le son UN en diffère pas l'attraction de l'U qu'il contient et sous-entend, vers un bleu-vert un peu plus accusé (l'YN un peu moins)... La nasale IN en revanche, ou plutôt le son moyen entre IN et A qui n'existe pas à ma connaissance dans notre langue (même dans certaines prononciations régionales où dénasalisé, il paraît frôler le son E - E accent grave), me semble approcher l'expiration légèrement timbrée, le souffle, - l'anemos, dont la fleur d'Adonis se souvient.

Tant de subjectivité doit heurter le phonéticien ! La spectrographie ne me donne pas vraiment tort pourtant, lorsqu'elle fait de ce bleu-vert cendre l'exact milieu du spectre d'émission solaire, comme je fais du son AIN le juste milieu des voyelles françaises et peut-être humaines (naïf que je suis...), et la traduction sonore de cette couleur aimée.

Moi qui ne m'occupe de poésie que destinée au théâtre - un théâtre qui reste à inventer -, il m'arrive pourtant, par délassement, de consacrer des sonnets à ce genre d'étude de couleurs. Celle-ci ou celui-ci concernent mon propos :


Rien donc à redouter... Aucun sujet de crainte...
Il n'en est point, de plainte, en moi qui n'attends rien.
J'ai certes faim et soif d'une plus douce étreinte,
Mais la douceur d'aimer change ce mal en bien.

De tous ses traits l'Amour peut aiguiser sa pointe
En prenant tout son temps ; pour moi j'ai tout le mien...
N'ayez en vous, mon Arbre, aucun sujet de crainte :
Il n'en est point de plainte, en moi qui n'attends rien.

Un simple aveu pourtant, s'il faut parler sans feinte :
C'est à vos bois dorés que ma lumière emprunte ;
C'est de leurs traits légers que la clarté me vient...

Il n'est moyen aucun d'en vivre hors d'atteinte.
Mais les chagrins sont doux ; mais douce est la contrainte.
Et pour longtemps, voyez, mon coeur vous appartient.




Les règles du sonnet interdisent les rimes répétées par redites de mots ( vers 1-2 et 7-8 ) : je réponds par une conservation des mêmes rimes de 1 à 14.
Feinte ne rime pas avec emprunte (vers 9-10) : je réponds que ce couple de fausses rimes reprend en l'inversant l'attaque du premier tercet : UN sIMple (...), tandis que moyEN aucUN du dernier tercet leur fait écho.
Si je n'aime guère la rime pauvre, qu'il faut être Racine pour pouvoir se permettre à l'occasion, je ne déteste pas cette fausse rime pourvu qu'elle soit rare (dans le poème) et toujours rachetée par certaine richesse (parFums - Feints, quelqueS-uns - raiSins), et toujours fortement préparée :

Les Nymphes... Pas un vent de quoi ces in sensées
(....) parfums (... ) feints...


Bien sûr ce genre d'étude ne repose pas sur un seul timbre mais sur la composition de nombreux autres, dont le son IN et ses variantes ne font ici que les plus évidents jeux de nuances et d'ombres. L'effet recherché et produit, variable, intéresse la psychologie de la perception.

Enfin ! j'avoue cette gamme de nasales être en résonance permanente avec mes cordes les plus sensibles. Je ne suis bien sûr pas de taille à faire le procès de la phonétique, qui réduit des voyelles si diverses à seulement deux prononciations distinctes. Mais l'oreille doit pourtant me tinter, lorsque l'étymologie me soutient l'I pouvoir naître de l'U, l'IM de l'UM et le timbre du tumpanon. A quel saint alors - IN ou UN - vouer mes pauvres tympans ?

Car tout ne tient, enfin, qu'au larynx de chacun...
Voilà ce que je suis heureuse de pouvoir partager avec vous. Cela tendrait aussi à montrer qu'il est possible de tirer de formes connues des choses nouvelles, en tout cas autre chose qu'une stérile répétition des formes du passé.

(Pour ceux qui seraient intéressés par la réflexion sur ce sujet un peu limité j'en conviens - poésie et phonétique- je reviendrai volontiers proposer quelques liens)
Dernière modification par Invité le mer. 21 janv. 2009, 21:30, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Voilà un point de vue fort intéressant et joliment présenté. Bravo !
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Invité

Message par Invité »

ah merci beaucoup (en fait je craignais un peu le hors sujet !)

Mais aujourd'hui les études sur la psychologie de la perception étayées par l'imagerie médicale (cérébrale) ouvrent des champs d'exploration fascinants je trouve.

Beaucoup de poètes, de peintres, de musiciens des temps passés ont instinctivement approché voire utilisé, ce que nos techniques modernes en viennent à concrétiser. L'effet physique d'un stimulus émotionnel est objectivement observable à l'intérieur de l'être vivant (comme les frissons les rougissements les larmes le sont à l'extérieur). Un subtil enchaînement de timbres vocaliques - les I,U (et S) de Racine :

... que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus (...)


entre mille exemples ! fait frissonner l'auditeur qui entend des sons nouveaux au sein même de ce qui lui est le plus inconscient, le plus familier pourtant : le bruit de sa langue natale, qui non seulement n'est plus effacé par le sens mais le sert, l'amplifie, l'enrichit de résonances qui comblent le désir d'expression.

Voici les liens que je propose (pour ceux d'entre nous curieux des rapports entre la poésie et la phonétique qui souhaitent creuser la réflexion) :
http://www.critique-livre.fr/theatre/ad ... -latourre/
http://theatreartproject.com

(J'ai vu que les petits extraits vidéo étaient lisibles en Mozilla Firefox ou en Netscape)
.
Dernière modification par Invité le jeu. 22 janv. 2009, 8:53, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je ne vois pas où serait le hors sujet : l'harmonie qui naît de l'habile usage des sons de la langue, la poésie (vous présentez tout avec un langage de poétesse), ce qui fait la beauté d'un langage manié avec finesse, tout cela concerne directement le sujet du forum en général : la langue française, dont vous nous dévoilez la beauté.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Claude
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Message par Claude »

Voici une leçon de prononciation de IN enseignée à des élèves de CE1. UN est inclus dans cette prononciation.
À mon grand désespoir :cry: l'Éducation nationale s'est mise au pas de l'usage.
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Perkele
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Re: UN IN

Message par Perkele »

Mais c'est un scandale ! :affolé:
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Claude
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Re: UN IN

Message par Claude »

Je ne vous le fais pas dire.
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Re: UN IN

Message par Perkele »

Et la page sur la prononciation de ON, inclut-elle AN et EN ?
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Claude
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Re: UN IN

Message par Claude »

J'espère que non, elle n'est pas encore dans le cahier.
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Re: UN IN

Message par Leclerc92 »

Force est de reconnaître que la distinction in/un est en voie de disparition, ce qui s'explique assez facilement par le fait qu'elle est rarement pertinente au sens linguistique : malgré le fameux duo brin/brun, il n'y a pratiquement aucun cas de confusion possible si l'on ne réalise pas correctement le phonème. Il en irait évidemment bien différent si l'on confondait les phonèmes ON et EN/AN.
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Claude
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Re: UN IN

Message par Claude »

« Il était une fois un nain » : je m'entends mal prononcer IN NIN. :d
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Re: UN IN

Message par Leclerc92 »

Venez vivre en région parisienne ! Vous vous y ferez très vite ! :d
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Perkele
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Re: UN IN

Message par Perkele »

Et "il était une fois un nain et un Hun, voire un nain Hun" hein ?

Et donc : "Auqin acupincteur brin ne prond du minster au brinch ? Ce n'est pas commin."
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Re: UN IN

Message par Claude »

Puisqu'il en est ainsi je vais me relire in Tintin.
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