De l'usage de la virgule

[Jacques-André-Albert]

Je suis très surpris de l'usage qui est fait de ce signe de ponctuation dans les productions alexandrines des uns et des autres : doit-il souligner la scansion, comme dans les vers suivants ?

Ici tout un chacun, vit en alexandrins

Vous dirais-je en retour, combien j'avais trouvé,
La plupart de vos vers élégamment tournés ?
Vous avez notamment un usage si parfait,
De notre difficile subjonctif imparfait !

Ne faut-il pas respecter la logique de la phrase, notamment en ne séparant pas le verbe de son complément ou le sujet de son verbe ?

[Jacques]

Je ne suis pas connaisseur en poésie, et j'ignore si elle a ses règles propres quant à l'emploi de la ponctuation, mais je suis également perplexe, car la virgule a parfois l'air de n'être pas à sa place. Je le dis avec prudence, mais dans l'exemple du titre je l'aurais placée après ici, ou je n'en aurais pas mis du tout. C'est plus une impression personnelle qu'un raisonnement fondé sur des principes définis.
La virgule a la réputation d'être le signe le plus difficile à poser, c'est pourquoi, d'un point de vue très général, on en trouve qui ne sont pas à leur place dans les écrits professionnels.

[Claude]

La virgule ne me choque pas ; elle marque une pause à l'hémistiche et je crois que c'était l'intention de notre marquise.

[Jacques-André-Albert]

La virgule ne me choque pas ; elle marque une pause à l'hémistiche et je crois que c'était l'intention de notre marquise.

Mais est-ce nécessaire de marquer la pause à l'hémistiche, au détriment du sens ? Ne doit-on pas pratiquer une déclamation plus souple qui respecte le sens des phrases, au lieu de marquer exagérément la prosodie de façon un peu mécanique ?

[Claude]

C'est là que vous touchez mon point faible ; j'essaie d'aborder l'aspect technique à défaut d'être sensible à la poésie ; mon seul plaisir dans ce domaine est un bon rythme, comme si je comptais les temps musicaux, et la rime.

[Jacques]

Je crois justement qu'une virgule mal placée casse le rythme, parce que la virgule marque une légère pause.

[Claude]

Votre réaction me fait comprendre que rythme n'est pas le mot qui convient pour ce que je voulais exprimer, mais comment le dire autrement ?

Ça y est, j'ai trouvé ; imaginez Jacques Prévert chanté par Yves Montand :
- En sortant de l'école (pause) nous avons rencontré

Je change les paroles :
- Ici tout un chacun, vit en alexandrins

Voilà, voilà ! ai-je bien chanté ?

[Jacques]

J'ai bien compris, mais je crois que la pause à l'hémistiche se fait spontanément et n'a pas besoin d'être marquée par un signe de ponctuation.

[Jacques-André-Albert]

Au lycée, les professeurs nous apprenaient à ne pas trop marquer l'hémistiche et la rime, surtout lorsqu'il y avait enjambement, comme dans ces exemples tirés de wikipédia :

Et dès lors, je me suis baigné dans le poème
De la mer, infusé d’astres et lactescent
(Rimbaud, le Bateau ivre)

L’empereur se tourna vers Dieu ; l’homme de gloire
Trembla, Napoléon comprit qu’il expiait
(Hugo, les Châtiments)

Et, l’Amour comblant tout, hormis
La faim, sorbets et confitures
Nous préservent des courbatures
(Verlaine, les Fêtes galantes)

Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations
(Molière, le Misanthrope).

[Jacques]

Ce grand cœur qui paraît au discours que tu tiens,
Par tes yeux chaque jour se découvrait aux miens.
Et, croyant voir en toi l'honneur de la Castille,
Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.

Le Cid

Il est vrai que là on ne perçoit pas une nécessité de pause et que les vers coulent en continu, hormis les coupures des virgules.

Et de même ici :
Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera.
Tel qui rit vendredi dimanche pleurera.
Un juge l'an passé me prit à son service.
Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse !

Les Plaideurs

Et encore dans Horace :

Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome à qui vient ton bras d'immmoler mon amant.
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore.
Rome enfin, que je hais parce qu'elle t'honore !

Seul le troisième marque par une virgule la coupure à l'hémistiche.

[Klausinski]

Il n’y a pas une règle particulière à la poésie, en matière de ponctuation. On respecte la ponctuation applicable dans la prose, à moins qu’à titre d’auteur, on s’autorise une ponctuation contrevenant à la grammaire, en faveur du rythme.

[valiente]

Jacques a raison lorsqu'il dit que les règles sont les mêmes pour tout le monde.

La poésie doit s’écrire et se lire comme n'importe quel autre texte ; il s'agit simplement de prose organisée.
Il faut donc se méfier de la mise en forme poétique, car elle est parfois trompeuse.

[Madame de Sévigné]

Ici tout un chacun, vit en alexandrins

Effectivement, après avoir lu vos commentaires, je trouve la virgule inutile, et même déplacée. Je l'ai mise un peu systématiquement pour marquer le balancement six syllabes avant, six syllabes après.
Ce qui donne à l'oreille une impression de récitation plus que de déclamation.
Difficile de ne pas tomber dans le piège !

[Jacques]

On peut toujours la supprimer, il n'est pas trop tard.

[Madame de Sévigné]

On peut toujours la supprimer, il n'est pas trop tard.

Vous avez le feu vert, Jacques. Merci !