Liste régulièrement actualisée des locutions et expressions

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Jacques
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Liste régulièrement actualisée des locutions et expressions

Message par Jacques »

Pour répondre aux demandes de deux personnes, j'ai extrait de mes articles publiés ces dix dernières années quelques commentaires sur des expressions pittoresques qui font partie du langage courant. J'espère que d'autres membres viendront apporter de l'eau à ce moulin dans le sujet Locutions et expressions proposées et commentaires éventuels.


Travail au noir.
Au Moyen Âge, les artisans vendent leur production sur la place publique et travaillent sous l’œil des passants. La règlementation des métiers leur interdit de poursuivre leur activité après la tombée de la nuit, d’où l’expression « travail au noir » pour qui enfreint la règle et continue après le coucher du soleil. Aujourd’hui le terme prend le sens de travail non déclaré, fait en dehors des règles, échappant aux cotisations et impôts en vigueur.
Faire amende honorable.
Honorable doit se comprendre ici comme « relatif à l’honneur » (perdu par quelque faute grave). Le latin mendum, « défaut physique », a donné le verbe amendare, « enlever les fautes », sur lequel est formé le français amender, « corriger un défaut ». L’idée conduit par association à celle de punition : l’amende est une sanction pécuniaire imposée pour un délit, un manquement à une règle. L’amende honorable était une peine infamante infligée à un condamné, qui devait avouer publiquement ses crimes. De nos jours, faire amende honorable, c’est simplement reconnaître qu’on s’est trompé, qu’on a commis une erreur.
Amuser la galerie a été emprunté au vocabulaire du jeu de paume (ainsi appelé parce qu’on renvoyait la balle avec la main). Ce sport est l’ancêtre du tennis (tennis est une altération, par la phonétique anglaise, du français tenez !, mot que lançait le serveur). Les spectateurs s’installaient dans une galerie couverte qui bordait le terrain de jeu. Par métonymie, lesdits spectateurs furent aussi appelés « la galerie ». Les joueurs qui voulaient les impressionner amusaient ou épataient la galerie en accomplissant toutes sortes de prouesses, de jongleries dans leurs effets avec la balle.
Prendre la poudre d’escampette : Le terme escampette ne s'emploie pas en dehors de cette formule. C'est le diminutif d'un ancien mot en usage au XVIe siècle, escampe, « fuite », dérivé du verbe escamper, « fuir », considéré comme familier ou populaire. Il dérive du provençal escampar, d'après le latin classique campus (camp, champ). Pour ce qui est de la poudre, on pense qu'il s'agit de la poussière que soulève celui qui s'enfuit en courant.
Amoureux des onze mille vierges : se dit d'un homme dont le cœur s'enflamme pour toutes les femmes. Le chiffre onze mille a une valeur symbolique : un très grand nombre. Référence légendaire au massacre, par les Huns, de sainte Ursule à Cologne en 834, et de ses onze mille suivantes. C'est peu vraisemblable et, quelles que soient la piété et la force de persuasion de la sainte, on imagine mal qu'elle ait pu rassembler autour d'elle un tel nombre de fidèles. En fait son existence ne serait même pas formellement attestée. Quoi qu'il en soit, la formule résulterait de l'interprétation erronée d'une inscription gravée sur une hypothétique stèle : S. Ursula & XI M. V., c'est-à-dire onze martyres vierges.
Tomber dans le lac : on dit qu’une affaire est tombée dans le lac lorsqu’elle a été abandonnée par oubli, négligence, manque de moyens. L’origine est lacs, « nœud coulant pour attraper des proies », devenu désuet, qui fut remplacé par son diminutif lacet (désignant maintenant un petit cordon qu’on noue). Tomber dans le lacs, c’était donc « donner dans le piège ». Lacs se prononçait à l’origine lass, mais une dérive phonétique vers lac a engendré un rapprochement avec tomber à l’eau, produisant deux déviations, l’une sur l’orthographe et l’autre sur le sens.
Se mettre en rang d’oignons. « Se ranger dans un alignement régulier ». En 1576, les États généraux se tinrent à Blois, et un certain baron d'Oignon fut chargé de diriger les participants vers la place qui leur convenait. Ce qu'il fit en respectant à la perfection les préséances dues au rang de chacun. D'où la référence à son nom pour désigner un alignement impeccable. L'explication doit être accueillie avec circonspection, car on ne possède aucune certitude. Il pourrait s'agir, plus simplement, d'une allusion à la manière dont les gens de la campagne suspendent les bottes d'oignons par ordre décroissant de taille.
La portion congrue. Être réduit à la portion congrue, c’est avoir des revenus insuffisants pour vivre décemment, et se trouver condamné à un régime de famine. Pourtant cet adjectif signifie « convenable, correct », à la fois au sens propre, matériel, et au sens figuré, moral. Sous l’Ancien Régime, la portion congrue était la pension annuelle que le « grand décimateur » (celui qui prélevait la dîme, c’est-à-dire un seigneur ou un dignitaire ecclésiastique de haut rang) versait à un curé, en proportion théoriquement suffisante pour assurer sa subsistance, mais calculée en fait chichement, en dessous du minimum décent, d’où le glissement naturel vers ce contresens imagé. Le contraire, incongru (déplacé, inconvenant, voire indécent), est encore en usage aujourd’hui.
Être gros Jean comme devant.
Devant a ici un sens très ancien, il ne marque pas une situation dans l'espace, mais dans le temps ; c'est un synonyme temporel de « avant ». Jean symbolise dans la tradition populaire le type du benêt, du niais, l'idiot ou encore le malchanceux chronique. Jeannot, Jeanjean, Grand Jean... sont un peu péjoratifs.
Être Gros Jean comme devant c'est se voir frustrer d'un avantage espéré, victime d'une désillusion. Expression trouvée chez La Fontaine (1678). C'est donc être dans la situation de Gros Jean, le nigaud, le malchanceux, qui s'y retrouve chaque fois comme la fois précédente.
Tomber dans les pommes, selon Dauzat, serait une déformation de tomber dans les pâmes, s'évanouir. Une autre explication voudrait qu'on la rapproche d'être dans les pommes cuites, c'est-à-dire dans un état de grande fatique, qui serait inspiré par l'expression familière « Je suis cuit », je suis fait, je suis fichu. Beaucoup d'incertitudes donc.


Mise à jour effectuée jusqu'à « Tomber dans les pommes ».
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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