Mots-valises

embatérienne

Message par embatérienne »

Jacques a écrit :
Bernard_M a écrit : Je ne partage pas l'avis de Jacques sur ce point précis de grammaire. Je ne pense pas qu'il s'agisse là d'apocopes ou d'aphérèses. Si je me fie à différentes sources, et en particulier à XMLittré, je penserais qu'il s'agit plutôt d'épenthèses. Mais je ne suis pas grammairien et je n'ai consulté qu'un nombre très limité de sources.[
Je n'ai pas dit qu'un mot-valise se forme toujours en réunissant une apocope et une aphérèse, mais que c'est souvent le cas : smog unit l'apocope de smoke et l'aphérèse de fog – tigron l'apocope de tigre et l'aphérèse de lion – franglais l'apocope de français et l'aphérèse d'anglais. Alain Finkielkraut a écrit Le Petit fictionnaire illustré. L'Anarchiviste et Le biblioteckel parus aux éditions des Mille et une nuits en 2006 en sont d'autres exemples. Le Pornithorynque est-il lustré ?, publié en 2010, en est encore un. Citons des inventions d'écrivains très connus : bourreaucratie, mécontemporain, prévoiricateur, patrouillotisme, la mollahrchie de Téhéran, émirage (cheikh sans provisions), merroquet (épouse du perroquet)...
C'est effectivement le principe de base, qui a été parfois élargi en employant l'un des deux mots en entier : l'abribus, l'ubureaucratie de la Sécu, la constipassion, acalomnie (brève pause dans la méchanceté), ennuiversel, scarabécédaire (vieux savant qui cherche la petite bête), cosmopolisson, etc.
Ce sont quelques exemples, cités principalement par Albert Hamon, agrégé de lettres, dans son livre Les mots du français (Hachette). Et il les classe tous comme mots-valises.
Ce livre est excellent et hautement recommandé à ceux qui veulent bénéficier d'un tour d'horizon à la fois savant et ludique du vocabulaire français. L'homme n'est pas tout jeune ; il enseignait déjà au sortir de la dernière guerre. Mes livres de grammaire pour les classes de 6° et 5° étaient déjà écrits par lui : j'en conserve un excellent souvenir, et peut-être cet amour immodéré des mots.
Pour revenir aux mots-valises, je n'aurais pas été choquée, Jacques, que vous écrivissiez qu'ils étaient toujours formés en réunissant un mot apocopé et un mot aphérésé, puisque, comme vous le rappelez, c'en est le principe de base (comme le tout premier mot-valise recensé dans notre langue, le fameux sorbonagre de Rabelais). Ceux qui ne répondent pas à ce principe ne sont point de vrais mots-valises. Les meilleurs mots-valises, à mon sens, sont ceux qui conservent en leur sein au moins une syllabe appartenant en commun aux deux mots formateurs. Sinon, c'est juste une concaténation de tronçons de mots. Dans la liste de mots donnée ci-dessus, abribus ne me paraît pas bien répondre à l'idée que je me fais d'un mot-valise. Je n'y vois pas grand chose de plus qu'un mot composé comme timbre-poste.
Cela n'empêche pas d'ailleurs certains mots-valises de pouvoir être décrits aussi comme le résultat d'une épenthèse : c'est le cas de votre amusant drolmadaire. C'est néanmoins plus l'exception que la règle.
Dernière modification par embatérienne le dim. 02 janv. 2011, 10:16, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je suppose que nous pourrions en trouver beaucoup d'autres. L'analphabétisme a peut-être joué un rôle dans la transmission déformée des mots, mais les accents et les différences dialectales ont peut-être aussi quelque chose à y voir. N'étant pas versé dans cette matière, je ne veux pas échafauder d'hypothèses hardies.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques
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Message par Jacques »

Ainsi, embatérienne, vous possédez cet excellent ouvrage et vous avez connaissance de son auteur. C'est une merveille que ce livre facile à lire et qui nous entraîne dans la découverte des mots. Je pensais, peut-être à tort à abribus, parce qu'il se termine sur l'aphérèse d'autobus, bien que cette aphérèse soit de nos jours traitée comme un mot à part entière, tout comme car, qui fait oublier autocar, et comme les apocopes métro et cinéma qui ont estompé le métropolitain et le cinématographe.
Dernière modification par Jacques le dim. 02 janv. 2011, 13:51, modifié 1 fois.
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embatérienne

Message par embatérienne »

Oui, ou le stylo qui a éliminé le stylographe.
Pour bus et car, ils sont à mon sens peut-être moins des aphérèses d'autobus et d'autocar que des éléments formateurs de ces deux mots. En revanche, bus est bien à l'origine une aphérèse de omnibus.
L'histoire des omnibus est assez connue. Mais je m'aperçois que je n'avais jamais prêté attention à la formation du mot "autocar". C'est un anglicisme introduit en français vers 1895 (en Belgique, d'après le Dictionnaire historique), dans un sens spécialisé différent du sens anglais. En effet, dans cette langue, "autocar" était plus ou moins un synonyme de "automobile" ou "motor-car", et non pas un moyen de transport collectif. Mais le mot "autocar" a maintenant disparu des dictionnaires d'anglais alors qu'il est toujours connu en France, quoique de moins en moins.
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Jacques
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Message par Jacques »

Les exemples d'aphérèse citent bien car pour autocar, bus pour omnibus transféré à autobus, et, plus étonnant : chandail pour marchand d'ail ! Un Ricain pour Américain. Il est vrai que pour l'autocar l'affaire se discute, et votre raisonnement « tient la route » (c'est la première fois que j'utilise cette expression). Nous sommes sur une frontière un peu floue. J'ai aussi trouvé les aphérèses à redoublement : zizique (musique) et zonzon (prison : j'ignorais cette origine).
Les diminutifs et hypocoristiques sont souvent des aphérèses, avec redoublement éventuel : Lise (Élise ou Louise), Totor (Victor), Nono (Jeannot), Vovonne (Yvonne), et ainsi de suite.
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Message par embatérienne »

En fait, Jacques, j'ai écrit un peu vite. À la réflexion (tardive, naturellement), si l'on s'en tient à la langue française, ce qui était bien l'objet premier de la discussion, vous aviez raison de considérer "car" comme une aphérèse de "autocar" : dans notre langue, et contrairement à l'anglais, "car" ne pouvait pas être considéré par les locuteurs comme un élément formateur.
Pour "autobus", l'affaire est effectivement plus floue puisque la finale est indubitablement l'aphérèse de "omnibus" et a servi à former "autobus". Mais j'ignore si l'abréviation "bus" a vécu de façon autonome avant la création des autobus (plus tardive que celle des autocars, d'ailleurs). J'essaierai de vérifier ce point.
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Jacques
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Message par Jacques »

Quoi qu'il en soit, que nous errions ou pas, l'objectif n'étant pas de prouver qu'on a tort ou raison, la discussion vaut par elle-même et elle est source d'enrichissement. Nous avons avancé en essayant d'analyser ces phénomènes linguistiques.
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JR
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Message par JR »

Depuis quelques années, nous avons à Paris des batobus : des bateaux utilisés à la manière d'une ligne d'autobus. :)
L’ignorance est mère de tous les maux.
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Message par Madame de Sévigné »

Je me régale de ce sujet, tout en n'étant que lectrice.

Me vient à l'esprit ce trait de Cyrano :

" Ragueneau me plaît. C'est pourquoi, dame Lise,
Je défends que quelqu'un le ridicoculise."

Je vois trois mots en un. Est-ce un mot-valise ?
embatérienne

Message par embatérienne »

Madame de Sévigné a écrit :Je me régale de ce sujet, tout en n'étant que lectrice.

Me vient à l'esprit ce trait de Cyrano :

" Ragueneau me plaît. C'est pourquoi, dame Lise,
Je défends que quelqu'un le ridicoculise."

Je vois trois mots en un. Est-ce un mot-valise ?
Excellent souvenir. Pas un mot-valise dans sa définition première, mais l'esprit en est très proche, et une définition extensive du mot-valise telle que celle du TLFi (création verbale formée par le téléscopage*** de deux (ou trois) mots existant dans la langue) permet finalement de compter cette création, ce télescopage, comme un mot-valise. En l'occurrence, ce mot est formé par épenthèse de la syllabe"co" dans le mot "ridiculise".

*** Il s'agit d'une coquille du TLFi pour "télescopage".
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Jacques
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Message par Jacques »

Ce verbe, ridicoculiser, présenté aussi comme mot-valise (nous pouvons admettre d'envisager le concept dans un sens assez large), est en effet une invention d'Edmond Rostand. Vous voyez que les plus grands n'ont pas dédaigné cet effet, au demeurant plutôt plaisant : Rimbaud nous offre patrouillotisme, et Montherlant nostalgérie.
Question : considéreriez-vous que Gilbert Bécaud, avec ses mots inventés dans Croquemitoufle, appliquait aussi le principe des mots-valises ?
http://fan-de-bb.forumpro.fr/t325-croqu ... ert-becaud
Dernière modification par Jacques le dim. 02 janv. 2011, 14:09, modifié 2 fois.
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embatérienne a écrit :Pour "autobus", la finale est indubitablement l'aphérèse de "omnibus" et a servi à former "autobus". Mais j'ignore si l'abréviation "bus" a vécu de façon autonome avant la création des autobus (plus tardive que celle des autocars, d'ailleurs). J'essaierai de vérifier ce point.
J’ai donc recherché des détails sur l’histoire du mot « autobus » en français, qui, nous dit le TLFi, a été introduit dans le Petit Larousse illustré de 1906.
Le linguiste Albert Dauzat raconte ceci, dans La Langue française d’aujourd’hui – Évolutions – Problèmes actuels, paru en 1908 :
Voici un exemple encore plus typique de barbarisme spontané. Au début de 1907, on créait à Paris un nouveau type de voiture publique, auquel on donnait le nom officiel d' « omnibus automobile » : mot trop long, qui n'était pas viable. Le lendemain, le mot autobus, que nul n'aurait pronostiqué, avait jailli spontanément sur toutes les lèvres, dans tous les journaux. Pourquoi cette quasi-unanimité dans le barbarisme — et barbarisme particulièrement barbare, qui à juste titre a scandalisé les puristes, mais qui, en dépit des anathèmes, a fait son chemin, et est en voie de prendre racine dans la langue si l'institution dure. Le linguiste ne saurait s'effrayer des monstres, et doit au contraire s'efforcer de leur arracher leur énigme. Ici le phénomène est simple, quoiqu'en partie inconscient. On se trouvait en présence d'un auto, qui était en même temps un omnibus : la finale bus a été prise pour un suffixe... et le mot était fait. Attendons-nous maintenant à voir provigner cette « nouvelle désinence ». D'ailleurs un tel phénomène n'est pas isolé : beaucoup de nos suffixes n'étaient à l’origine que des finales de noms, voire des noms entiers, comme aud qui vient du germanique wald (forêt), et ard du germanique hard (dur).
On notera au passage le genre encore non fixé de « un auto ».
La création fut peut-être moins spontanée que Dauzat ne l'a cru. En effet, elle a dû être aidée par le fait que le mot « autobus » existait déjà en Angleterre (depuis 1899), ce que les journalistes n’ignoraient probablement pas.
Les Anglais ont même très tôt connu l’abréviation « ‘bus » ou « buss » pour « omnibus » (lequel mot date des années 1820 dans son application aux transports). Dickens l’emploie ainsi dans Bleak House, en 1853 : « My prisoner here proposed to Mrs. Bucket, after the departure of the funeral, that they should go, per buss, a little ways into the country, and take tea at a very decent house of entertainment. »
L’abréviation « bus » est sûrement plus récente en français. Il semble qu’il y en ait une attestation dans une chanson dédiée au général Boulanger, mais je n’en trouve pas la trace exacte. En revanche, je la trouve souvent associée à une description du système de transports londoniens, par exemple dans plusieurs livres français parus autour des années 1900. On voit donc que le terrain français devenait propice à l’accueil des mots « autobus » et même « bus », et c’est probablement pourquoi la greffe prit si vite et si bien.
N’oublions pas que beaucoup d’autres mots de la même époque sont passés à la trappe, comme « motor-bus » et « aéro-bus ».
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Jacques
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Message par Jacques »

Tout cela est fort instructif. J'ai trouvé aussi une source où l'on attribue aux Anglais l'invention du principe du mot-valise. Ne pensez-vous pas que Dauzat était bien sévère en parlant de barbarisme ?
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Message par embatérienne »

Jacques a écrit :Tout cela est fort instructif. J'ai trouvé aussi une source où l'on attribue aux Anglais l'invention du principe du mot-valise. Ne pensez-vous pas que Dauzat était bien sévère en parlant de barbarisme ?
Oui, aux Anglais, on doit reconnaître l'invention, non du concept, mais du mot lui-même mot-valise, ou plutôt portmanteau word comme l'écrivit Lewis Carroll. Il faut savoir que par portmanteau, l'anglais désigne une acception un peu oubliée de notre porte-manteau ou portemanteau, à savoir une large valise en étoffe ou en cuir. Dans le livre "De l'autre côté du miroir", Carrol fait ainsi parler Humpty Dumpty pour expliquer un mot-valise : "Well, 'slithy' means 'lithe and slimy'. 'Lithe' is the same word as 'active'. You see, it's like a portmanteau - there are two meanings packed into one word." (Tu vois, c'est comme une valise : il y a deux significations empaquetées dans un seul mot).
Mais pour le concept, les mots-valises sont bien plus anciens. On en connaît du temps des Grecs, ai-je lu quelque part. Et pour nous, en français, j'ai cité plus haut le sorbonagre de Rabelais.

Dauzat, qui était extrêmement attentif et ouvert sur tous les phénomènes de langue, y compris le français populaire et l'argot auquel il a consacré de nombreux livres, n'était probablement pas sévère. Il emploie le mot barbarisme au sens propre : "faute de langage qui enfreint les règles de la morphologie". Sur ce plan, il n'a pas tort, autobus, formé en allant récupérer la dernière syllabe d'un mot latin omnibus et en l'accolant au préfixe auto, est un monstre qui pèche contre la morphologie. Mais il dit lui-même que le linguiste n'a pas peur des monstres. Cette formation tératologique est du même ordre que monokini formé sur bikini ou trimaran formé sur catamaran.
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Jacques
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Message par Jacques »

Monokini en tout cas est bel et bien un barbarisme car il se met à tort en opposition avec bikini, qui ne contient pas le préfixe bi « deux » mais désigne un atoll où eurent lieu les premiers essais de bombes atomiques. Là le cas est flagrant.
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