Et si les lexicographes se trompaient ?

Pour les sujets qui ne concernent pas les autres catégories, ou en impliquent plus d’une
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Mais, Jacques, il faut sans doute distinguer les linguistes des grammairiens (disons : des grammairiens traditionnels). Le linguiste se veut homme de science, il peut porter un jugement sur le sérieux de telle ou telle justification grammaticale, mais il n'en porte pas sur les tournures de phrase. Son ambition est de comprendre comment la langue fonctionne.
Le grammairien, lui, a une ambition didactique. Son but est d'enseigner la langue. C'est la différence qui existe entre – que sais-je ? – le droit pénal et la criminologie. D'un côté, on juge le crime ; de l'autre, on l'étudie.
Il reste une case pour le puriste, dont les prétentions normatives n'ont pas pour but l'enseignement d'une langue correcte, mais la constitution d'une élite langagière dont il peut intérieurement se vanter de faire partie.
Très schématiquement, le linguiste dira que les justifications que l'on donne pour proscrire le subjonctif après « après que » sont illusoires. Le grammairien dira qu'il est incorrect de dire « après qu'il soit ». Enfin, le puriste dira qu'il n'est donné qu'à un rustre ou à un roturier d'employer le subjonctif dans ce cas.
Dernière modification par Klausinski le ven. 16 nov. 2012, 22:46, modifié 1 fois.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Jacques
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Message par Jacques »

Je ne sais pas trop à quoi vous me répondez. Ce que je déplore, c'est que les grammairiens ne nous donnent pas les réponses que nous cherchons, et que nous sommes perdus devant leurs avis contradictoires. En tout cela, ils sont comme les médecins ou les plombiers, chacun y va de son boniment et ne dit pas comme les autres.
Si vous vous référez à mon commentaire sur le lien que vous donnez, ce que j'ai compris du peu qui m'est physiquement accessible, c'est que l'auteur conteste le refus du subjonctif. Je dis donc qu'il y en a d'autres qui ont l'avis inverse, et que nous sommes encore devant des querelles de spécialistes qui nous laissent plus incertains que jamais.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Mon propos était de dire que nous donnons parfois des arguments faussement rationnels pour justifier après coup ce qui sonne mal à notre oreille, ce que l'on nous a enseigné être faux, etc.
Vous dites ne pas trouver suffisamment de grammairiens normatifs, ou les trouver trop souvent en désaccord les uns avec les autres. Dans ce cas, ne nous fions qu'à un petit nombre d'autorités. Après tout, une norme n'a besoin que d'une seule voix. Longtemps, les écrivains soucieux de bien écrire se sont reposés presque uniquement sur le Littré. Sans doute d'autres lexicographes, d'autres auteurs le contestaient, mais ils n'étaient pas écoutés. Reposons-nous sur le dictionnaire de l'Académie et le Robert (et prenons Grevisse pour la grammaire). S'il y a sur une question un désaccord entre ces ouvrages, choisissons la formulation qui nous semble la mieux justifiée. Si nous avons pour nous l'aval d'une source qui fait autorité en matière de bon usage, comment pouvons-nous rester incertains ?
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Message par Jacques »

Je comprends mieux. Ce que j'essaye de faire, devant les incertitudes, c'est de choisir ceux qui me semblent être les meilleurs (j'aime bien Bordas). Mais meilleurs selon mon sentiment, c'est tout de même subjectif. Quant à l'Académie, qui fut longtemps mon modèle, nous avons ces derniers temps découvert qu'elle s'aligne sur l'attitude des dictionnaires d'usage, qui se veulent observateurs et rapporteurs d'un usage sur lequel ils n'émettent pas de jugement critique. Elle aussi se pose en observatrice et non en correctrice. Cela me gêne.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Jacques a écrit :[L'Académie] s'aligne sur l'attitude des dictionnaires d'usage, qui se veulent observateurs et rapporteurs d'un usage sur lequel ils n'émettent pas de jugement critique. Elle aussi se pose en observatrice et non en correctrice. Cela me gêne.
Par simple curiosité, pourriez-vous fournir quelques exemples de cette neutralité académique ?
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Jacques
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Message par Jacques »

Contravention. Elle admet, en se réfugiant derrière la métonymie, qu'on confonde le fait (violation d'un règlement) avec le constat qui en est fait et qui doit être appelé procès-verbal. Pourtant les ouvrages didactiques sur les difficultés du français recommandent de faire la distinction.
Au fil du temps nous avons fait d'autres constats de laxisme ou d'impropriétés acceptées, mais je n'en ai plus le souvenir. Dans le cas de la contravention, je conteste même la métonymie, qui ne me paraît pas avérée.
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Marco
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Message par Marco »

Klausinski a écrit :Le linguiste se veut homme de science, il peut porter un jugement sur le sérieux de telle ou telle justification grammaticale, mais il n'en porte pas sur les tournures de phrase. Son ambition est de comprendre comment la langue fonctionne.
Le grammairien, lui, a une ambition pédagogique. Son but est d'enseigner la langue. C'est la différence qui existe entre – que sais-je ? – le droit pénal et la criminologie. D'un côté, on juge le crime ; de l'autre, on l'étudie.
C’est justement sur ce point qu’en ouvrant ce sujet je voulais insister : certains linguistes, jusqu’à il y a une cinquantaine d’années, ne se bornaient pas à la seule analyse du fonctionnement et de l’explication des phénomènes linguistiques ; une fois l’analyse terminée, ils en tiraient des conclusions et formulaient des conseils pratiques pour les locuteurs soucieux de correction. Aujourd’hui, on considère presque comme honteux d’oser conseiller l’utilisateur. Il y a là à mon avis la distorsion d’une conscience civique. Porter un regard critique sur les choses est le propre de l’homme et il faudrait – toujours à mon avis – que les gens qui par métier étudient la langue accordent autant d’importance au passé et à l’avenir qu’ils en accordent au présent. Dire que tout ce qui est dans l’usage est acceptable non seulement ne sert à rien, mais ouvre la voie à toutes sortes de débordements et d’extravagances qui, sans digues, risquent de briser le lien qui nous unit à l’histoire. Et au nom d’une mode, c’est un trop grand sacrifice.
cyrano
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Message par cyrano »

Jacques a écrit :Si vous vous référez à mon commentaire sur le lien que vous donnez, ce que j'ai compris du peu qui m'est physiquement accessible, c'est que l'auteur conteste le refus du subjonctif.
Pas exactement: mon éminent et brillant compatriote Marc Wilmet conteste la justification du subjonctif qui est habituellement donnée, à savoir que ce serait le mode de l'action incertaine tandis que l'indicatif serait celui du fait certain et établi, ce qui en ferait un choix "logique" et "naturel" avec "après que".

Entre autres arguments, il fait par exemple observer que "J'espère qu'il réussira" est un indicatif qui a trait à un fait douteux tandis que "Je regrette qu'il ait échoué" est un subjonctif qui se rapporte à un fait avéré.

En bon linguiste, il ne prend pas position sur le choix du mode. En somme, il dit aux usagers que nous sommes: décidez d'utiliser l'indicatif ou le subjonctif avec "après que", moi ça m'est égal, mais ne venez pas justifier après coup votre choix par une prétendue logique de la langue.
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Marco
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Message par Marco »

cyrano a écrit :Entre autres arguments, il fait par exemple observer que "J'espère qu'il réussira" est un indicatif qui a trait à un fait douteux tandis que "Je regrette qu'il ait échoué" est un subjonctif qui se rapporte à un fait avéré.
Et ce qui aussi échappe à toute logique, c’est que par le passé, le subjonctif avec espérer était la norme...
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Marco a écrit :Dire que tout ce qui est dans l’usage est acceptable non seulement ne sert à rien, mais ouvre la voie à toutes sortes de débordements et d’extravagances qui, sans digues, risquent de briser le lien qui nous unit à l’histoire. Et au nom d’une mode, c’est un trop grand sacrifice.
Je suis d'accord avec vous, Marco. À tout le moins, j'estime que, si les linguistes n'ont pas à se prononcer moralement sur les faits de langue dans leurs travaux de recherche, la même chose n'est pas valable pour ce qui est des dictionnaires, qui ont une portée didactique. Je préférerais moi aussi que les emplois critiqués soient toujours mentionnés.
Cyrano, je vous tire mon chapeau. Vous résumez à merveille l'article de Marc Wilmet.
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Marco
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Message par Marco »

cyrano a écrit :En bon linguiste, il ne prend pas position sur le choix du mode. En somme, il dit aux usagers que nous sommes: décidez d'utiliser l'indicatif ou le subjonctif avec "après que", moi ça m'est égal, mais ne venez pas justifier après coup votre choix par une prétendue logique de la langue.
Je trouve qu’il est bon linguiste précisément parce qu’il n’a pas l’approche plate et aseptisée qui caractérise la masse des autres. Et on sent qu’il y a derrière un être humain sensible aux moindres vibrations du langage. Rien que ses considérations sur Saint-John Perse (dont il met une citation en exergue de l’article) en disent long sur sa profondeur et son acuité.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Marco a écrit :
cyrano a écrit :Entre autres arguments, il fait par exemple observer que "J'espère qu'il réussira" est un indicatif qui a trait à un fait douteux tandis que "Je regrette qu'il ait échoué" est un subjonctif qui se rapporte à un fait avéré.
Et ce qui aussi échappe à toute logique, c’est que par le passé, le subjonctif avec espérer était la norme...
La quatrième édition du dictionnaire de l'Académie donne pourtant la construction avec le futur. Les exemples les plus anciens (XVIIè siècle) trouvés dans Google sont tous formés avec l'indicatif :
« J'espère que si je n'ai tout ce que je désire j'aurai tout ce que j'espère. » (Malherbe)
« j'espere que Dieu m'en gardera à jamais » (Le miroir des ménagères, 1595)
« J'espère qu'il se trompera » (Lettre du cardinal d'Ossat au roy Henry le grand, 1627)
« Dont Dieu vous veuille bien garder, comme j'espère qu'il fera. » (Histoire de France par Lancelot-Voisin de la Popelinière, 1581)
« J'espère qu'il y sera extrêmement utile » (Lettres choisies de Jean Calvin, 1602)
etc.

Il n'y a pas d'incertitude dans l'espérance :
TLFI : « Espérer que.Avoir une opinion, proche de la conviction, sans idée d'attente. »
Ac fr. 4ème édition : « Attendre un bien qu'on désire, & que l'on croit qui arrivera. »
C'est en cela que le verbe espérer se distingue du verbe souhaiter.
L'emploi respectif de l'indicatif et du subjonctif est ici logique : J'espère qu'il viendra ; je souhaite qu'il vienne.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Brazilian dude
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Message par Brazilian dude »

Alors toutes les autres langues romanes sont illogiques: http://www.achyra.org/francais/viewtopi ... f&ie=utf-8
cyrano
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Message par cyrano »

Jacques-André-Albert a écrit :Il n'y a pas d'incertitude dans l'espérance
Ouh là, voilà une position qui risque de nous emmener loin... :wink:

Je me souviens ainsi avoir lu un livre de "philosophie pratique", disons, dont un chapitre était intitulé "Ni espoir ni regret" et qui nous invitait à bannir ces deux sentiments, apparemment antinomiques mais en réalité similaires dans la mesure où ils nous distraient du moment présent, seule réalité concrète, tangible et certaine.

Espérer, pous les adeptes d'une philosophie de la présence à soi et de la plénitude de l'instant (proche du bouddhisme etc), c'est regretter à l'envers. La seule certitude pour moi, en ce moment, et dont je dois prendre conscience pour vivre pleinement, c'est que je suis en train de vous écrire ceci vers 10 h 45, le 17 novembre 2012. Tout le reste n'est qu'une illusion vaine dont nous devons nous défaire (pour schématiser très grossièrement ce courant de pensée...).

Plus prosaïquement, si vous demandez à 10 personnes si la phrase "J'epère qu'il réussira" implique la certitude de cette réussite, je ne pense que vous en aurez beaucoup qui répondront par l'affirmative.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Rien de philosophique dans ma phrase : si vous aviez bien lu mon message, vous auriez vu que je ne fais que reprendre les définitions de deux dictionnaires.
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