Observations sur l'Avare

Pour les sujets qui ne concernent pas les autres catégories, ou en impliquent plus d’une
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jarnicoton
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Observations sur l'Avare

Message par jarnicoton »

Intéressant cas d'ambiguïté de la langue :
Je viens d'entendre à la radio parler du choix excellent "de de Funès pour l'Avare", en référence au film tourné en 1980 avec le texte de la comédie. Et là, ayant peut-être écouté distraitement, j'ai eu du mal à comprendre si :
- c'est de Funès qui a bien fait de choisir ce rôle parmi d'autres qu'il aurait pu envisager ;
- c'est le metteur en scène qui a bien fait de choisir de Funès pour le rôle.
Bref, on ne sait pas qui a l'action de choisir.
La connaissance de l'affaire permet seule de savoir : la bonne réponse est la première (le film ne fut pas une réussite commerciale ; le jeu a souvent quelque chose de languissant et j'ai vu à l'époque beaucoup de spectateurs quitter la salle).

On peut trouver en ligne le film. Comme je ne comprends rien à ce qui est permis ou pas en matière de film en ligne, je me borne à signaler le fait sans donner de lien. On y fait une constatation "moderne" dont je ne sais plus si on pouvait la faire dès 1980 ou si c'est un changement adopté depuis : dans la scène I de l'acte II, Cléante apprend à quelles conditions on lui prête les 15 000 francs qu'il demande, et, devant le taux d'intérêt énorme, s'exclame "quel Juif, quel Arabe est-ce là !". Eh bien, cette réplique a sagement disparu !

Par contrecoup et souci de cohérence ont également disparu avec toutes les considération de la Flèche sur la façon du temps d'exprimer les taux d'intérêt ("l'étau d'intérêt" a dit le poète) : le "denier dix-huit", le "denier cinq"... c'est-à-dire un intérêt annuel d'un denier pour dix-huit ou pour cinq prêtés, ou encore 5,55 ou 20% respectivement. Or c'est grâce à la pièce qu'à treize ans j'ai découvert cette façon de parler. Comment le texte est-il imprimé pour les collégiens actuels ?




Dernière modification par jarnicoton le mer. 13 févr. 2013, 12:29, modifié 2 fois.
zevoulon

Message par zevoulon »

En quoi est-ce sage d'avoir enlevé cette réplique du texte original ?

Devons-nous également supprimer dans "Madame Bovary" de Gustave Flaubert le passage suivant :

- Combien coûtent-elles ?
- Une misère, répondit-il, une misère ; mais rien ne presse ; quand vous voudrez ; nous ne sommes pas des juifs !


Il me semble au contraire important de lire ce genre de propos avec la plus grande attention.
jarnicoton
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Message par jarnicoton »

Le point d'exclamation aurait dû, croyais-je, signaler l'ironie (consternée). Je me suis trompé.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

La censure bien-pensante, c'est toujours de la censure.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Invité

Message par Invité »

Excusez-moi d'avoir mal interprété le sens de votre propos. Peut-être suis-je trop habitué à un certain type de discours. Diantre, il est vraiment temps que je me reprenne !
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Je vais encore, sauf à m'exposer à des critiques virulentes, faire entendre une voix différente de celles de ce forum, même si je reconnais que mon opinion est peut-être majoritaire en dehors de ces lieux. Qu'on ôte certains vers, qu'on fasse quelques ajouts ou quelques modifications lors de la représentation d'une pièce est une pratique habituelle, je dirais même une pratique traditionnelle. Les plus grands metteurs en scène se le sont permis. Le plus souvent ces coupes sont exigées par le format ou par le temps prévu pour la représentation. Quand une pièce est jouée, on a presque toujours coutume de l'adapter au public à qui elle est destinée. Ce n'est pas une habitude moderne (voyez les traductions que fait Voltaire de Shakespeare). Du moment que ça n'en change pas l'esprit ; que l'inventivité de la langue est préservée, ça ne me hérisse pas le poil. Ce que je trouverais inadmissible, c'est qu'on fasse les mêmes changements dans le livre.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
jarnicoton
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Message par jarnicoton »

zevoulon a écrit :Excusez-moi d'avoir mal interprété le sens de votre propos. Peut-être suis-je trop habitué à un certain type de discours. Diantre, il est vraiment temps que je me reprenne !
J'ai le défaut de trop pincer sans rire, et (si c'est un défaut !) d'omettre les frimousses (québécisme) lorsqu'il en faudrait pour lever les ambiguïtés.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

jarnicoton a écrit : les frimousses (québécisme)
Ce québécisme me plaît bien !

Vous aviez soulevé auparavant deux problèmes intéressants : ambiguïté de certains compléments de noms abstraits, et le « politiquement correct » appliqué aux œuvres classiques.
Pour les compléments de noms, je pense à des expressions comme : le choix du collaborateur, la consultation du spécialiste, le mépris d’un supérieur hiérarchique, l’amour d’une mère… Les compléments des noms en gras, si l’on pense aux verbes correspondants, peuvent aussi bien concerner les sujets que les COD desdits verbes : que le collaborateur choisisse ou qu’on le choisisse, on parle du choix d’un collaborateur, etc. La grammaire ne me semble d’aucun secours en l’affaire, mais je me dis que tout rédacteur ou locuteur ne peut que gagner, pour la compréhension de sa production, à être conscient de l’ambiguïté et à la lever en apportant des précisions.

Je me garderai bien d’être manichéen en ce qui concerne le politiquement correct appliqué aux œuvres classiques. « Quel Juif, quel Arabe est-ce là ! », dans l’Avare, du fait qu’il associe deux catégories qu’on oppose parfois, me semble plutôt un peu moins délicat à manier que « Nous ne sommes pas des juifs » dans « Madame Bovary ». Mais les mots de Molière contraignent l’enseignant à expliquer longuement, par exemple, que « juif » désigne une personne professant une religion, tandis qu’un « Arabe » est un membre d’un groupe de populations, qu’il existe des juifs arabes, des chrétiens arabes, que la majorité des Arabes est cependant musulmane, tandis qu’un grand nombre de musulmans ne sont pas arabes… Difficile !
Votre position, Klausinski, est bien compréhensible. Mais je comprendrais tout autant celle consistant à trouver illogique de ne pas utiliser strictement le même texte pour sa lecture et son utilisation comme scénario de film.
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Jacques
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Message par Jacques »

La consultation du spécialiste, le mépris d’un supérieur hiérarchique, l’amour d’une mère ; je m'interroge : avons-nous bien là des compléments déterminatifs du nom ? Spécialiste ne complète pas le sens de consultation, supérieur ne complète pas le sens de mépris, mère ne complète pas le sens d'amour.
La grammaire de Grevisse le définit ainsi : nom, pronom, infinitif, adverbe, proposition se subordonnant au nom pour en limiter le sens : la capitale de la France, l'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
Et encore : un cor de chasse, la bataille de Waterloo, un homme de cœur, du jambon d'Ardenne, une partie de cette somme, les institutions du Moyen Âge, une table à ouvrage, la bonté envers tous, les défenseurs du pays.
Je suis un peu perdu.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

On se rend bien compte que « du spécialiste » dans « la consultation du spécialiste » n’a pas exactement le même lien avec le nom dont il dépend (« consultation ») que « de la France » dans « la capitale de la France » avec « capitale ». Mais quelle autre fonction attribuer à « spécialiste » (et « collaborateur », « supérieur hiérarchique », « mère »…) ?
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est la question que je pose. Mon propos n'est pas un constat ou une contradiction mais une interrogation. Vous avez compris ce qui me rend perplexe : le rapport n'est pas le même. Quand on dit la maison de mon père, il se crée un lien d'appartenance ; une bande d'hirondelles, un lien de composition. Avec le mépris du supérieur c'est une attitude qui n'établit pas de lien.
Il y a quelque chose qui m'échappe et que je ne peux pas exprimer.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

J’ai insisté sur l’ambiguïté, en tout cas hors contexte, de ce genre d’expression. Si « la consultation du spécialiste » signifie que le spécialiste consulte, on pourrait imaginer de considérer « du spécialiste » comme complément d’agent, la signification étant « par le spécialiste » (Mais je n’imagine aucun grammairien aller jusque là). Si « la consultation du spécialiste » veut dire que quelqu’un consulte le spécialiste, on ne peut en aucun cas voir un COD dans « du spécialiste », alors que « le spécialiste » est bien COD dans « X consulte le spécialiste ».
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Jacques
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Message par Jacques »

Oui, je vois bien l'ambivalence et cela ne fait qu'accentuer mon embarras.
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shokin
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Message par shokin »

Ah ! je ne savais pas que frimousse était un québécisme. Est-ce lié au verbe frimer ?
Nous sommes libres. Wir sind frei. We are free. Somos libres. Siamo liberi.
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Jacques
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Message par Jacques »

shokin a écrit :Ah ! je ne savais pas que frimousse était un québécisme. Est-ce lié au verbe frimer ?
L'origine de frime est incertaine, celle de frimousse aussi. Il est possible que frimousse vienne effectivement de frime qui, à l'origine, voulait dire grimace. Mais on n'a pas de certitudes.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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