Chaque mot à sa place.
- Jacques-André-Albert
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Chaque mot à sa place.
Vu sur un réseau social : une magnifique photo d'un paysage montrant quelques maisons au bord d'un lac ; et une commentatrice française de s'extasier : « quelle belle place ! »
Je ne connais pas la personne, mais ce genre de confusion avec l'anglais (what a nice place : quel bel endroit) fait partie de la soumission volontaire de nombreux jeunes (et moins jeunes) à l'hégémonie anglophone.
Je ne connais pas la personne, mais ce genre de confusion avec l'anglais (what a nice place : quel bel endroit) fait partie de la soumission volontaire de nombreux jeunes (et moins jeunes) à l'hégémonie anglophone.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
(Montaigne - Essais, I, 24)
Vous avez raison. Mais le phénomène va dans les deux sens. Je viens de lire un article au sujet d'un rapport écrit par l'un des traducteurs anglophones les plus expérimentés de la Commission européenne, qui dénonce l'abâtardissement de l'anglais à cause de l'infiltration de sens impropres sous l'influence d'autres langues, à commencer par le français. Tout le monde parle anglais, mais presque personne ne parle vraiment du bon anglais, se plaint-il en substance, et le véritable anglais est en train de perdre son âme.
Deux exemples qu'il donne: l'emploi du mot "agent" au sens général de "celui ou ce qui agit" (un agent naturel, un agent de communication...) alors qu'en bon anglais le terme ne peut désigner qu'un agent secret; et la prolifération de "actor", sous l'influence du français "acteur", non pas pour désigner un comédien mais bien une personne concernée, un intervenant...
Cela dit, même si le mouvement est bidirectionnel, il est certain qu'il va beaucoup plus dans un sens que dans l'autre. Mais enfin, c'est amusant (et consolant?) de se dire que nous contaminons aussi l'anglais...![[clin d'oeil] :wink:](./images/smilies/icon_wink.gif)
Deux exemples qu'il donne: l'emploi du mot "agent" au sens général de "celui ou ce qui agit" (un agent naturel, un agent de communication...) alors qu'en bon anglais le terme ne peut désigner qu'un agent secret; et la prolifération de "actor", sous l'influence du français "acteur", non pas pour désigner un comédien mais bien une personne concernée, un intervenant...
Cela dit, même si le mouvement est bidirectionnel, il est certain qu'il va beaucoup plus dans un sens que dans l'autre. Mais enfin, c'est amusant (et consolant?) de se dire que nous contaminons aussi l'anglais...
![[clin d'oeil] :wink:](./images/smilies/icon_wink.gif)
Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet (Courteline)
- Jacques
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- Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum
Je crois qu'en fait, ce phénomène de contamination à double sens touche essentiellement les « faux amis » : les traducteurs au rabais transcrivent un mot anglais par celui qui lui ressemble le plus en français, ce qui nous vaut opportunité pour opportunity (occasion favorable) et anxieux pour anxious (impatient ou curieux de) et cent autres choses du même genre. Et, bien évidemment, les gens qui connaissent mal l'anglais prennent dans cette langue le mot ressemblant le plus au mot français qu'ils veulent exprimer.
Islwyn : vous voulez parler de l'avènement de Guillaume le conquérant. Certains puristes anglais sont agacés par tous ces mots d'origine latine introduits dans leur langue.
Islwyn : vous voulez parler de l'avènement de Guillaume le conquérant. Certains puristes anglais sont agacés par tous ces mots d'origine latine introduits dans leur langue.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
- Klausinski
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Je trouve déjà cette acception trop fréquente en français, elle remplace souvent des mots plus précis. À mon sens, des formulations telles que « les principaux acteurs de ce chantier » dématérialisent le langage et l'appauvrissent.cyrano a écrit :et la prolifération de "actor", sous l'influence du français "acteur", non pas pour désigner un comédien mais bien une personne concernée, un intervenant...
Dernière modification par Klausinski le jeu. 21 févr. 2013, 19:02, modifié 1 fois.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
(Kafka, cité par Mauriac)
Mon cousin canadien use du mot place pour lieu, endroit, déterminé ou non.
Il est vrai que notre architecture européenne post médiévale fait que toutes les localités comportent des places à divers usages tandis que lorsqu'on se promène au Québec, il faut chercher pour trouver ce que nous appelons ici une place.
Sur le continent américain, il faut atteindre le Mexique où les Aztèques ont construit autour d'une place, plus au sud, les Incas ont fait de même et ensuite la conquête espagnole qui a apporté nos usages et nos schémas d'urbanisme.
Il est vrai que notre architecture européenne post médiévale fait que toutes les localités comportent des places à divers usages tandis que lorsqu'on se promène au Québec, il faut chercher pour trouver ce que nous appelons ici une place.
Sur le continent américain, il faut atteindre le Mexique où les Aztèques ont construit autour d'une place, plus au sud, les Incas ont fait de même et ensuite la conquête espagnole qui a apporté nos usages et nos schémas d'urbanisme.
Ce n'est pas par corporatisme que je veux défendre ma profession, mais je crois que vous surestimez l'influence des traducteurs dans ce domaine, et je dirais même de l'écrit sur l'oral.Jacques a écrit :Je crois qu'en fait, ce phénomène de contamination à double sens touche essentiellement les « faux amis » : les traducteurs au rabais transcrivent un mot anglais par celui qui lui ressemble le plus en français.
Ma soeur, par exemple, qui n'est pas traductrice mais qui travaille dans un contexte international et en grande partie anglophone, a tendance à franciser des termes anglais (genre "employabilité", "downloader" ou même parfois "adresser un problème") - tout comme ses collègues anglophones doivent, j'imagine, aussi faire l'inverse. Je le constate également chez d'autres personnes dans des situations similaires.
Il y a toute une pratique orale "sauvage" qui se développe ainsi dans les grandes institutions et entreprises internationales, et qui se répand ensuite par cercles concentriques. Nous, les traducteurs, nous sommes en général beaucoup plus prudents, ne fût-ce que parce que l'écrit est un frein naturel: dire "downloader" dans une conversation informelle est une chose, l'écrire en toutes lettres dans un document en est une autre.
Mais il arrive un moment où on se fait traiter de ringard parce qu'on persiste à dire "chevalet" au lieu de "flip chart" ou "dépliant" au lieu de "flyer" ("Mais enfin, plus personne ne dit ça!"). Et donc, on est plus ou moins contraint de suivre le mouvement. Mais je crois que celui-ci trouve en grande partie son origine dans la pratique orale.
Dernière modification par cyrano le jeu. 21 févr. 2013, 20:42, modifié 2 fois.
Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet (Courteline)
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Je suis d'accord avec lui, mais ses exemples ne sont pas bons.Deux exemples qu'il donne: l'emploi du mot "agent" au sens général de "celui ou ce qui agit" (un agent naturel, un agent de communication...) alors qu'en bon anglais le terme ne peut désigner qu'un agent secret; et la prolifération de "actor", sous l'influence du français "acteur", non pas pour désigner un comédien mais bien une personne concernée, un intervenant...
actor
agent
Oui, c'est aussi mon avis, même si j'utilise régulièrement "acteurs de terrain", par exemple. Mais les acteurs d'un chantier, cela devient ridicule.Klausinski a écrit :Je trouve déjà cette acception trop fréquente en français, elle remplace souvent des mots plus précis. À mon sens, des formulations telles que « les principaux acteurs de ce chantier » dématérialisent le langage et l'appauvrissent.
Il n'est pas rare de lire que tel acteur joue un rôle important. On est alors en plein dans la métaphore théâtrale au carré, mais la plupart des gens ne s'en aperçoivent même plus. J'ai alors envie de demander: et vous êtes sûr qu'il ne fait rien en coulisse?
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Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet (Courteline)
Oui, j'étais aussi étonné par ces exemples, mais qui suis-je pour contredire un collègue aussi prestigieux?
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Je suppose que, même si actor est attesté dans certains dictionnaires au sens de "participant", c'est à ses yeux la marque d'une complaisance excessive de ces ouvrages de référence pour un sens nouveau et criticable de ce mot (comme nous pouvons aussi dénoncer que des dictionnaires français admettent des anglicismes contestables).
Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet (Courteline)
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- Inscription : sam. 06 mai 2006, 19:59
Cet usage d'actor existait déjà en latin. Rien de choquant, car le suffixe -or désigne celui qui s'occupe de quelque chose, dans ce cas sur la base du verbe agere, faire, promouvoir, entraîner, agir, réaliser, etc.
- Perkele
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- Localisation : Deuxième à droite après le feu
J'ajouterais que les conseillers en organisation contribuent largement à cette diffusion à travers leurs missions, leurs rapports, leurs séminaires et leurs écrits.cyrano a écrit :Il y a toute une pratique orale "sauvage" qui se développe ainsi dans les grandes institutions et entreprises internationales, et qui se répand ensuite par cercles concentriques.
En effet, pourquoi se casser la tête à trouver une traduction à des formules mnémotechniques comme PDCA (Plan-Do-Check-Act) ou QFD (Quality Function Deployment), ou à des sigles TQM (Total Quality Management) ?
Ce sont les mêmes qui croient que le questionnement de Quintilien : "Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando" a été inventé à la fin du XXe siècle par un Américain. Et ! ils l'enseignent.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
- Jacques
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- Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
- Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum
Je n'ai pas considéré la profession, mais ceux que j'ai appelés « traducteurs au rabais », et j'entends par là des gens dont ce n'est pas le métier mais qui traduisent quand même, avec des connaissances discutables.cyrano a écrit :Ce n'est pas par corporatisme que je veux défendre ma profession, mais je crois que vous surestimez l'influence des traducteurs dans ce domaine, et je dirais même de l'écrit sur l'oral.Jacques a écrit :Je crois qu'en fait, ce phénomène de contamination à double sens touche essentiellement les « faux amis » : les traducteurs au rabais transcrivent un mot anglais par celui qui lui ressemble le plus en français.
Quand on voit certaines notices calamiteuses, on ne peut pas imaginer qu'elles aient été traduites par des spécialistes diplômés. C'est du travail fourni par des « traducteurs maison », des employés que la direction charge de cette tâche pour faire l'économie d'un professionnel.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).