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Ces 'locaux' qui marchent
Publié : mar. 12 nov. 2013, 11:35
par angeloï
L'emploi de 'locaux' au sens d'êtres humains qui résident quelque part n'a pas de raison d'être en français puisqu'il s'agit d'une mauvaise traduction de l'anglais the locals (au même titre que 'dédié' dans certaines phrases venant de dedicated, 'fondamentaux' venant de fundamentals ou 'attractif' venant de attractive). Un signe qui ne trompe pas est que ceux qui emploient ce mot ne le font qu'au pluriel, car proférer 'j'ai logé chez un local' est risible, ce qui montre que 'locaux' a bel et bien conservé son sens originel. Que certains en viennent à voir des tas de briques là où il y a des êtres humains trahit sans doute un aveuglement pire que celui qui faisait voir à un miraculé de l'Evangile en voie de guérison des arbres en marche plutôt que des hommes...
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la solution est toute simple : il suffit de dire les 'habitants' (inutile d'ajouter 'locaux', le contexte suffit), ou d'utiliser le nom des habitants quand vous le connaissez (si vous êtes à Pékin, dites : j'ai logé chez des Pékinois ; à Shanghaï: des Shanghaïens; à Macao : des Macanais, etc.). Parfois, on peut aussi dire 'l'habitant', au singulier, comme dans 'j'ai logé chez l'habitant'. Si vous n'avez pas peur de perdre quelques fractions de seconde, vous pouvez aussi dire : 'les gens du lieu' ou 'de l'endroit'. 'La population locale' sera la bienvenue dans un texte aux prétentions scientifiques.
Quant au mot 'autochtone', il est parfaitement correct. Mais un certain usage fait qu'il est plutôt utilisé quand on est hors de France ou des pays francophones européens. Pour ma part, je trouve qu'on pourrait l'utiliser partout (avec 'allochtones' comme contraire). Son étymologie (soi-terre) est impeccable et contrairement à 'indigène(s)' il n'a pas de connotations colonialistes, réelles ou imaginaires. Pour les espèces animales, 'indigène' est tout à fait indiqué en tant qu'adjectif, à côté d'endémique, qui a un sens un peu plus restreint.
Qu'un mot aussi simple qu'habitant paraisse désormais du martien ou du français de grand-père, ressortit au même phénomène qui interdit désormais aux journalistes d'utiliser des mots comme 'vedette' ou 'conséquence' et les force à dire 'star' et 'impact'. Toutefois, dans le cas précis de l'emploi de 'locaux', je vois en outre une des conséquences lexicales de cette idéologie qui tend à présenter les patries ou les nations comme de simples 'hôtels', pour reprendre la formule d'un penseur contemporain. Des 'locaux' sont sûrement moins enracinés que des habitants. Les 'locaux' habitent, ou plutôt sont posés là dans l'u-topie mondialiste, dont on se demande parfois si elle est vraiment cette eu-topie que l'on nous vante. Quoi qu'on en dise, notamment sur cette é-topie qu'est la Toile, cet usage est donc rien moins qu'anodin.
La langue française est bien plus riche (et aussi plus simple) qu'on ne le pense.
Publié : mar. 12 nov. 2013, 11:49
par Jacques
Cet emploi de « locaux » me semble loufoque. Je ne vois pas à quelle nécessité il pourrait répondre. Pour moi il appartient au charabia abracadabrantesque moderne. Vous citez autochtones, j'emploie de préférence indigènes, mot à vrai dire fort mal compris, ressenti à tort comme péjoratif ou méprisant. Et je l'utilise sans hésitation pour parler des Bretons de souche qui sont restés dans leur province natale, aussi bien que pour les habitants de la Champagne où je réside, et où je suis allogène (donc né ailleurs).
Dernièrement, nous avons vu à la télévision une cérémonie dédiée aux valeureux soldats nord-africains qui ont libéré la Corse à la fin de la guerre, et que bizarrement les Corses appelaient « des indigènes », alors que les indigènes étaient pourtant les Corses eux-mêmes.
Publié : mar. 12 nov. 2013, 11:54
par angeloï
Une cérémonie dédiée à de valeureux soldats, voilà un emploi classique du mot que j'apprécie hautement. Dernièrement, j'ai entendu quelqu'un dire une 'pièce dédiée aux explosifs' (à propos de l'accident dans un théâtre de Paris). J'en étais malade...
Publié : mar. 12 nov. 2013, 12:49
par Jacques
angeloï a écrit :Une cérémonie dédiée à de valeureux soldats, voilà un emploi classique du mot que j'apprécie hautement. Dernièrement, j'ai entendu quelqu'un dire une 'pièce dédiée aux explosifs' (à propos de l'accident dans un théâtre de Paris). J'en étais malade...
Ce mauvais emploi du verbe copié sur l'anglais
dedicated me pousse aux limites de l'exaspération.
Publié : sam. 16 nov. 2013, 8:39
par André (G., R.)
Jacques a écrit :Et je l'utilise sans hésitation pour parler des Bretons de souche qui sont restés dans leur province natale, aussi bien que pour les habitants de la Champagne où je réside, et où je suis allogène (donc né ailleurs).
Cette attitude à l'égard de la langue me plaît bien, car je suis persuadé de notre possibilité, certes modeste, d'influer sur le cours des choses : l'adjectif "terrible", par exemple, avait pris dans les années soixante le sens de fantastique, formidable (Je sais, Jacques, vous n'aimez pas ce mot !), remarquable. Or je constate la lente disparition de cette acception, en particulier dans le langage des jeunes, d'où elle venait pourtant. Il me semble que ceux qui insistaient sur le sens "effroyable" de "terrible" ont joué leur rôle en l'affaire.
En feuilletant mon quotidien, où l'anglomanie n'est pourtant pas des plus exacerbée, je lis ce matin, entre autres :
Le drive fait-il gagner du temps ?
Deal du jour : ... (publicité pour un coiffeur pour chiens)
I am a climate defender
Cette dernière phrase (Je suis un défenseur du climat) figure sur un panonceau tenu par une actrice française se tenant symboliquement dans une cage, à Paris, pour défendre des militants de l'organisation Greenpeace.
Je l'ai déjà dit : ces anglicismes, ces renoncements me semblent plus graves que certaines évolutions, qu'il nous arrive de regretter à juste titre, internes à notre langue.
Et l'occasion m'est donnée de revenir sur un point dont je sais qu'il fait bondir certains : je ne verrais aucun inconvénient à ce que "a defender" soit traduit par "une défenseure".
Publié : sam. 16 nov. 2013, 9:14
par angeloï
J'ai trouvé dans Giono, la Chasse au bonheur, "le Badaud", une utilisation du mot "indigène" pour désigner les Parisiens (par rapport à l'auteur lui-même) :
"Je ne vois pas de Parisiens mais je vois des gens façonnés par leur quartier, parfois leur rue [...], comme sont façonnés par leur province les provinciaux dont je suis. Je cherche pour m'en assurer l'indigène le moins caractéristique : par exemple ce commerçant de l'avenue Bolivar."
Publié : sam. 16 nov. 2013, 9:49
par Jacques
Je n'arrive pas à retrouver ma référence, mais quelqu'un de connu a écrit : « La nature a été prévoyante de faire pousser les pommes en Normandie, sachant que les indigènes de cette province sont grands amateurs de cidre ».
Publié : sam. 16 nov. 2013, 9:50
par Perkele
angeloï a écrit :J'ai trouvé dans Giono, la Chasse au bonheur, "le Badaud", une utilisation du mot "indigène" pour désigner les Parisiens (par rapport à l'auteur lui-même) :
"Je ne vois pas de Parisiens mais je vois des gens façonnés par leur quartier, parfois leur rue [...], comme sont façonnés par leur province les provinciaux dont je suis. Je cherche pour m'en assurer l'indigène le moins caractéristique : par exemple ce commerçant de l'avenue Bolivar."
Et alors ?
Publié : sam. 16 nov. 2013, 10:00
par Jacques
Le mot indigène, « indigena, né à l'intérieur » désigne de façon absolue les personnes qui habitent dans le pays ou la province où elles sont nées. Il y a assez peu de Parisiens qui soient nés sur place, et encore bien moins qui soient parisiens depuis au moins trois générations. Paris est un cocktail d'immigrés de province. On ne doit donc pas confondre indigènes (autochtones) avec habitants. Le texte cité est ambigu sur ce point.
Publié : sam. 16 nov. 2013, 10:08
par Perkele
Il en est de même aujourd'hui, "en province". Du moins dans les provinces qui se trouvent sur les grands axes de communication.
Selon l'emploi restrictif que vous évoquez, il n'y a aucun indigène dans mon quartier, Jacques.
Publié : sam. 16 nov. 2013, 10:59
par Jacques
Perkele a écrit :Il en est de même aujourd'hui, "en province". Du moins dans les provinces qui se trouvent sur les grands axes de communication.
Selon l'emploi restrictif que vous évoquez, il n'y a aucun indigène dans mon quartier, Jacques.
L'emploi restrictif est surtout étymologique. Peut-on admettre que le mot
indigène soit synonyme d'habitant ? Je ne me sens pas indigène dans la ville où j'habite. Je ne l'étais pas non plus en Région parisienne.
Publié : sam. 16 nov. 2013, 11:21
par jarnicoton
"Les locaux" me fait l'impression d'une formule correcte en français, mais dans la mesure où on l'entend teintée d'une légère ironie un peu dédaigneuse.
C'est toujours mieux que "los locos". :D
Fallait-il ou non mettre une majuscule à "Les locaux" ?
Re: Ces 'locaux' qui marchent
Publié : sam. 16 nov. 2013, 15:18
par Koutan
angeloï a écrit : cet usage est donc rien moins qu'anodin.
Je comprends la différence entre
rien moins que et
rien de moins que mais la présence de
rien n'appelle-t-elle pas, dans les deux cas, l'emploi de la forme négative ?
Publié : sam. 16 nov. 2013, 15:21
par angeloï
Perkele a écrit :angeloï a écrit :J'ai trouvé dans Giono, la Chasse au bonheur, "le Badaud", une utilisation du mot "indigène" pour désigner les Parisiens (par rapport à l'auteur lui-même) :
"Je ne vois pas de Parisiens mais je vois des gens façonnés par leur quartier, parfois leur rue [...], comme sont façonnés par leur province les provinciaux dont je suis. Je cherche pour m'en assurer l'indigène le moins caractéristique : par exemple ce commerçant de l'avenue Bolivar."
Et alors ?
Et alors, je voulais montrer que Claude avait parfaitement raison d'utiliser "indigènes" pour des Français. Beaucoup s'imaginent qu'il ne peut s'employer que pour des peuples exotiques avec une nuance de mépris ou de condescendance.
Publié : sam. 16 nov. 2013, 15:27
par Perkele
Jacques a écrit :Perkele a écrit :Il en est de même aujourd'hui, "en province". Du moins dans les provinces qui se trouvent sur les grands axes de communication.
Selon l'emploi restrictif que vous évoquez, il n'y a aucun indigène dans mon quartier, Jacques.
L'emploi restrictif est surtout étymologique. Peut-on admettre que le mot
indigène soit synonyme d'habitant ? Je ne me sens pas indigène dans la ville où j'habite. Je ne l'étais pas non plus en Région parisienne.
Je crois que pour un explorateur, les indigènes sont ceux qui sont là.