Scies et tics de langage

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Jacques
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Scies et tics de langage

Message par Jacques »

Avoir une forte consommation d'alcool se paie en terme de déclin cognitif accéléré (lu sur Internet).
Et voilà ! Le langage moderne s’appuie, s’articule sur un nombre très restreint de mots et expressions à tout faire, accommodés à toutes les sauces, qui reviennent chaque jour, du matin au soir, dans les médias et la bouche de nos concitoyens.
La très grande majorité de nos contemporains francophones ne portent plus la moindre attention au sens des mots qu’ils emploient et se laissent aller à une coupable facilité.
AU NIVEAU : on ne dit plus en ce qui concerne, pour ce qui est de, quant à, au sujet de… mais au niveau de la température, au niveau du goût, au niveau du prix, au niveau de mes vacances… Jacques Capelo citait quelqu’un qui avait dit un jour : « Au niveau de mes vaches » ! Les milieux médicaux parlent de douleurs au niveau du genou, lésions au niveau du visage, opérations au niveau du cœur… La médecine est submergée de niveaux ;
STRUCTURE : il y a des structures partout ; un centre d’hébergement est une structure d’accueil, un magasin une structure de vente, votre maison une structure de vie, et ainsi de suite ; on peut donc penser que notre forum est une structure virtuelle ;
EN TERMES DE : nous en avons déjà traité ici, nous l’entendons dix fois par jour : en termes de température il y aura un rafraîchissement, en termes de consommation on note une progression, en termes de circulation il y a des bouchons, en termes de concurrence la bataille est rude…
AU FINAL : s’insinue dans des quantités de phrases, à l’origine remplaçait en résumé, en conclusion, en fin de compte, mais avec l’augmentation intense de la fréquence d’emploi a perdu toute signification et se rencontre à tout bout de commentaire sans qu’on puisse y trouver une justification ;
DÉCRYPTER : très en vogue dans le vocabulaire journalistique ; on n’analyse plus, on décrypte la situation politique ou économique par exemple, ou le comportement de tel ou tel groupe, ou l’évolution des prix des denrées alimentaires, le fonctionnement d’une filière de distribution…
PROBLÈME : j’en ai aussi parlé ; le mot est partout, et surtout là où il ne devrait pas être : problèmes de peau, de digestion, de dents, de cœur (au propre et au figuré), problèmes d’argent, de circulation (corporelle et routière), de plomberie (et donc de fuites), de mémoire et de mille autres choses. Envolés les ennuis, difficultés, troubles, embarras, pannes, tracas…
Vous rappelez-vous cette chanson qu'interprétait une certaine Sylvie vers 1960 ? : J'ai un un problème, je crois que je t'aime.
SOLUTION : on propose des solutions d’économies, des solutions d’isolation, de lavage, de transport, de jardinage, de relaxation et détente, d’habillement, les établissements de crédit offrent des solutions de financement (voir à la télévision et dans les annonces publicitaires), une personne qui s’est fait une réputation dans la cuisine d’amateurs a publié des livres intitulés Solution macarons, Solution organisation, Solution desserts.
Si vous en avez d'autres, ne vous gênez pas pour les ajouter à mon inventaire.
Dernière modification par Jacques le jeu. 16 janv. 2014, 14:47, modifié 2 fois.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Anne
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Message par Anne »

ESPACE : il s'accompagne de l'omission de la préposition, et remplace le mot salle, le plus souvent ; l'espace réunion, l'espace conférence. À la piscine de ma commune, on peut aller à l'espace fitness, puis à l'espace détente.
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Jacques
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Message par Jacques »

Oh oui, merci Anne ! Celui-là est un de ceux qui m'agacent le plus : espace lavage, espace gonflage, espace coiffure, espace immobilier, espace clés et tutti quanti. Un pur fléau !
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

SOUCI : lors d'une précédente discussion sur l'emploi abusif de "problème", nous avions associé les deux mots.
EXPLOSER : avez-vous remarqué qu'il est de plus en plus utilisé, même pour une augmentation modérée ?
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Jacques
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Message par Jacques »

André (G., R.) a écrit :SOUCI : lors d'une précédente discussion sur l'emploi abusif de "problème", nous avions associé les deux mots.
EXPLOSER : avez-vous remarqué qu'il est de plus en plus utilisé, même pour une augmentation modérée ?
Et le pire, c'est qu'il est devenu courant de l'employer à la forme transitive directe, alors que c'est un verbe intransitif : Je vais lui exploser la tête, il a explosé les records...
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Un sacré problème (!) que celui des verbes intransitifs employés transitivement, c'est une évolution importante de notre époque. Je vais même jusqu'à me demander si la bataille vaut la peine d'être menée contre ce phénomène : des verbes comme "courir" ont aujourd'hui des emplois transitifs (courir un risque) en opposition avec leur régime ancien uniquement intransitif. C'est ce qu'indique le Robert DHLF, pour lequel "courir" était uniquement intransitif jusqu'au XIIIe siècle.
Je pensais ci-dessus à des tournures du genre "Les ventes de scooters ont explosé en 2013" (mon invention), que l'on rencontre maintenant pour indiquer que si la vente de tel produit avait stagné en 2012, par comparaison avec 2011, elle a augmenté en 2013 de 10 %, peut-être. La comparaison avec l'explosion me plaisait bien initialement, lorsqu'il s'agissait, mettons, d'un doublement, mais on en est souvent loin aujourd'hui.
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Jacques
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Message par Jacques »

Il me semble que, comme pour courir, certains verbes deviennent transitifs au sens figuré : courir des risques comme vous le dites, mais aussi courir sa chance, courir les magasins ; rêver de gloire, de progrès, de fraternité... Nous pourrions en trouver d'autres.
À l'inverse, nous avons le verbe démarrer, de nos jours intransitif, mais à l'origine transitif : démarrer un bateau c'était détacher ses amarres. De même travailler : torturer, infliger des supplices ; on travaillait quelqu'un (d'où travailler au corps=donner des coups, faire souffrir) qui devient intransitif au sens propre, mais transitif au sens figuré (travailler le bois, la pâte...).
Et encore débuter : débuter une boule, au jeu, c'était l'écarter du but. N'existe plus qu'à la forme intransitive : débuter la soirée est un barbarisme (un solécisme ?), c'est la soirée qui débute.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit :démarrer un bateau c'était détacher ses amarres. Et encore débuter : débuter une boule, au jeu, c'était l'écarter du but.
Vous m'apprenez ces deux sens originels très intéressants et je vous en remercie.
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Jacques
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Message par Jacques »

Sur ce forum, nous apprenons tous les uns des autres : de la discussion jaillit la lumière.
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Claude
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Message par Claude »

INTÉGRER : ceux qui l'emploient sous la forme « j'ai intégré une grande école » ignorent probablement qu'il s'agit d'argot estudiantin.
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Jacques
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Message par Jacques »

Claude a écrit :INTÉGRER : ceux qui l'emploient sous la forme « j'ai intégré une grande école » ignorent probablement qu'il s'agit d'argot estudiantin.
C'est juste et bien trouvé. Voilà aussi quelque chose qui agace, cette manie de dire que quelqu'un a intégré quelque chose. Je ne sais plus si nous en avions déjà discuté, c'est l'école, ou le régiment, ou l'entreprise qui intègre l'élève, le militaire, l'employé et non le contraire. Cette faute est à tort copiée sur réintégrer, dont le sens est mal compris : réintégrer c'est littéralement rendre son intégrité à quelque chose. Celui qui réintègre l'entreprise après ses vacances rend celle-ci complète, la reconstitue dans son entier.
Mais intégrer c'est absorber, assimiler.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

CULTE : Tout succès dans le monde du spectacle provoque l'ajout de ce nom à "film", "chanson", "concert"..., même dans la bouche ou sous la plume de gens par ailleurs respectueux du français. Manie difficile à supporter quand on pense au sens normal de "culte".
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Jacques
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Message par Jacques »

Sévit notamment sous la forme « série culte ». Les emprunts au vocabulaire religieux ne sont pas exceptionnels, et on n'hésite pas dans les médias à qualifier une rencontre sportive de grand-messe ou à sortir des stupidités du genre : Chose a marqué un dernier but, la messe est dite.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Il semble que certains vouent un véritable culte à certains sportifs ; ne parle-t-on pas, d'ailleurs, des "dieux du stade" ?
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Claude
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Message par Claude »

N'est-ce pas ce qu'on appelle le culte de la personnalité ?
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