Pléonasme ou pas ?

Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

Perkele a écrit :Mais ils ont les mains pleines de cartes... :roll:
...et les poches vides en partant.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Islwyn a écrit :J'aimerais ressusciter le « de ce jourd'hui »
Ce qui ressusciterait aussi « ce jour d'hui », comme synonyme d' « aujourd'hui », qui, je crois, s'est dit ou écrit également jadis.
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

André (G., R.) a écrit :Ce qui ressusciterait aussi « ce jour d'hui », comme synonyme d' « aujourd'hui », qui, je crois, s'est dit ou écrit également jadis.
Avec cette orthographe dans les deux premières éditions du dictionnaire de l'Académie :
AUJOURD'HUY. adverbe de Temps. Qui signifie, Le jour où l'on est. Il arrive aujourd'huy à midy. il a fait grand chaud tout aujourd'huy. ce n'est pas d'aujourd'huy que nous nous connoissons. il part dés aujourd'huy. la journée d'aujourd'huy est plus belle que celle d'hier. la feste d'aujourd'huy. le Saint d'aujourd'huy. il n'a la fiévre que d'aujourd'huy.
Il s'employe quelquefois substantivement. Aujourd'huy passé, ils ne seront plus receus à leurs offres.
Aujourd'huy, Se prend aussi quelquefois pour A present, Au temps où nous sommes. Cela se pratiquoit autrefois, mais aujourd'huy on en use autrement. les jeunes gens d'aujourd'huy. la mode d'aujourd'huy.

L'orthographe moderne apparaît dans la 3e (1740) :
AUJOURD'HUI. adv. de temps. Qui signifie, Le jour où l'on est.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

La partie qui suit l'apostrophe a même connu quatre orthographes, si j'en crois le Robert DHLF : hui, huy, hoi et ui. L'ouvrage ne conteste évidemment pas l'Académie et, contrairement à ce que je pensais, n'atteste pas non plus « ce jour d'hui » ou « ce jour d'huy », il parle toutefois d'un sens démonstratif, auquel je n'aurais jamais pensé, pour la préposition à :

AUJOURD'HUI adv. et n. m. (fin XIVe s.), soudure de la locution au jour d'ui (v. 1150), proprement « le jour où l'on est », contraction de à le jour d'hui, où à a le sens d'un démonstratif. L'ancien français hui, hoi (1080) « le jour où l'on est », est emprunté au latin hodie de même sens, lui-même de ho die, ablatif circonstanciel de temps formé avec dies. Le français use en la circonstance d'un renforcement pléonastique (entre jour et hui) qui lui est particulier et que ne connaissent ni l'italien oggi ni l'espagnol hoy.

Il est amusant de constater que l'allemand « heute », de même sens, est formé strictement de la même manière que « hodie » et que les résultats des deux processus sont proches. Dans heute, -te est apparenté à « Tag » (jour) et donc à l'anglais « day ». Je pense que ces deux mots ont un lien avec « dies ». On a à faire à des langues indo-européennes !
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Lorsque j'étais enfant, il n'était pas question de dire « aujourd'hui », que mon milieu social trouvait long et surtout pédant. En dehors de l'école je n'entendais et n'employais qu' « anuit », avec, à l'inverse, la nette conscience que c'était incorrect, arriéré, patoisant et d'un usage quasiment limité à mon village. Quelle erreur, une fois de plus ! Il s'agissait tout simplement de vieux français. Mais le mot avait d'abord eu son sens étymologique.
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

Ce mot se disait couramment en patois normand quand j'étais adolescent. Certains patois auraient donc des racines en ancien français.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit : Certains patois auraient donc des racines en ancien français.
C'est le moins que l'on puisse dire, en tout cas pour les régions d'oïl.
On sait que la septentrionale langue d'oïl l'a emporté sur la méridionale langue d'oc, du fait que le pouvoir était au Nord et que la cour royale se déplaçait de la région parisienne à la vallée de la Loire. Des Tourangeaux affirment d'ailleurs que c'est leur région qui parle le français le plus authentique.
Cette langue que la cour a imposée était celle des régions qu'elle fréquentait. Puis elle a évolué, parfois plus vite que dans les régions, éventuellement moins cultivées.
Voici quelques mots que j’entendais ou utilisais régulièrement dans la Sarthe (l'ancienne province royale du Maine) étant enfant et à propos desquels j’ai découvert que, constitutifs de l’ancien français, ils étaient ensuite tombés en désuétude dans la langue moderne : guéretter, rhabiller ses chausses, un fouquet, un landier (encore usité dans un sens un peu différent), un crouston, s’engouer (que j’ai déjà mentionné sur Français notre belle langue) (encore usité dans un sens différent). Certains seront facilement compris, d'autres moins.
Dernière modification par André (G., R.) le dim. 11 mai 2014, 11:32, modifié 1 fois.
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

Tout cela est assez imbriqué, mais je crois que nous devrions faire la distinction entre patois et dialectes, les patois étant en quelque sorte des dérivés de dialectes. Je prends un exemple : en Normandie, on ne disait pas un tombereau, mais un banneau, et ce mot dialectal banneau était lui-même déformé en patois par béniau. De même, il existait une mesure de volume encore en usage, le boisseau, mot qui en patois devenait bouessiau.
Je suppose encore que fermacerie, qui se disait pour pharmacie, tenait plus de la déformation patoisante que du dialecte.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Il me semble avoir lu que les linguistes ne distinguent pas entre patois et dialectes. J'emploie le mot patois parce que c'est en la circonstance celui de ses locuteurs. À titre personnel je tendrais aussi à considérer comme plutôt patoisante la déformation d'un mot connu sous une forme considérée comme plus correcte (fermacerie pour pharmacie). D'ailleurs dans la liste que j'ai fournie ci-dessus, je n'ai pas cherché à rendre compte des prononciations véritablement patoisantes, parce que c'est parfois impossible (guéretter, dans la Sarthe, est proche de « dguiéretter », fouquet de « foutquier »).
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 9736
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

J'ai vu des personnes se vexer quand je parlais de patois, me rétorquant que le provençal était une langue alors que les personnes âgées qui le parlaient encore quand j'étais enfant disaient "Sais-tu parler patois ?".
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

Reportons-nous aux définitions :
DIALECTE n. m. XVIe siècle. Emprunté du latin dialectus, du grec dialektos, « entretien, langage, dialecte ».
Variété régionale d'une langue. Le dialecte attique est devenu la langue grecque commune. Le dialecte picard, le dialecte normand. Les dialectes de langue d'oïl, de langue d'oc.
PATOIS n. m. XIIIe siècle. Déverbal de l'ancien français patoier, « gesticuler », lui-même dérivé de patte.
Variété d'un dialecte qui n'est parlée que dans une contrée de faible étendue, le plus souvent rurale.
Le provençal n'est donc pas un patois mais un dialecte. Mais il est vrai que les personnes âgées qui pratiquaient l'ancienne forme de langage le nommaient volontiers patois, quelle que soit la région. La langue d'oc a produit plusieurs dialectes dont le franco-provençal, lequel se divise en plusieurs sous-dialectes dont le provençal fait partie. Je crois, car j'ai perdu mon livre sur l'histoire du français qui expliquait ces choses.
Je ne voudrais pas forcer la main à mon homonyme, qui en sait probablement plus que moi car il s'est pris de passion pour l'histoire de la langue. Mon exemple normand du « banneau » dialectal devenu béniau en patois illustre bien cette différence entre les deux.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Avatar de l’utilisateur
Jacques-André-Albert
Messages : 4477
Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
Localisation : Niort

Message par Jacques-André-Albert »

Jacques a écrit :La langue d'oc a produit plusieurs dialectes dont le franco-provençal, lequel se divise en plusieurs sous-dialectes dont le provençal fait partie. Je crois, car j'ai perdu mon livre sur l'histoire du français qui expliquait ces choses.
Je ne voudrais pas forcer la main à mon homonyme, qui en sait probablement plus que moi car il s'est pris de passion pour l'histoire de la langue. Mon exemple normand du « banneau » dialectal devenu béniau en patois illustre bien cette différence entre les deux.
En réalité, le franco-provençal est un ensemble de parlers intermédiaires du centre-est de la France, débordant sur la Suisse et la vallée d'Aoste en Italie, et comportant des traits communs avec les parler d'oïl et les parlers d'oc.
Le provençal est un parler d'oc, au même titre que l'auvergnat, le limousin ou le languedocien. Le gascon en fait aussi partie, mais il possède des traits bien particuliers. Le catalan aussi a parfois été rattaché à l'occitan.
Pour ce qui est de la langue d'oïl, on ne peut pas dire que les patois viennent de l'ancien français, mais plutôt des « ancien français » : l'ancien français, tel qu'on l'étudie à l'université, est morcelé en dialectes ayant laissé des écrits plus ou moins nombreux, les plus productifs étant le picard, le champenois et l'anglo-normand.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

Je savais bien que nous pouvions faire confiance à votre érudition en la matière. Merci de ces précisions.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Merci, JAA, pour ces informations.

Quelques explications et remarques sur les mots que j’ai proposés :

« Guéretter » est utilisé dans le sens « transformer en guéret », c’est-à-dire casser les mottes de terre, rendre cette dernière légère en la labourant, la hersant, la binant, la ratissant. « Rhabiller ses chausses » signifie repriser ses chaussettes. Un « fouquet » est un écureuil. Un « landier » est un chenet quelconque, tandis qu’en français moderne c’est un haut chenet de cuisine. Un « crouston » désigne ce qu’on appelle aujourd’hui un croûton, mais uniquement dans le sens : chacune des extrémités d’un pain long. « S’engouer » rend compte de la quinte de toux dont on est pris quand on avale de travers, quand on a l’impression d’étouffer de ce fait.

L’emblème du surintendant FOUQUET (1615-1680) était un écureuil.
Le Robert DHLF explique, concernant « engouer » : Le dérivé ENGOUEMENT n. m., aujourd’hui archaïque au sens concret (1694), s’emploie au figuré dès les premières attestations.
Le guéret, une terre émottée non ensemencée, peut désigner en poésie également un champ couvert de moissons.
Je lis à nouveau dans le Robert DHLF : RHABILLER v. tr. (1390) a signifié «remettre en état, réparer», dans l’usage technique et «remettre un os démis», en chirurgie (v. 1575).
Avatar de l’utilisateur
Monsieur Pogo
Messages : 214
Inscription : ven. 08 août 2014, 14:32
Localisation : Trois-Rivières (Québec)

Re: Pléonasme ou pas ?

Message par Monsieur Pogo »

Jacques a écrit :Je suis surpris de lire ceci sur le site de l'Académie française :
Au jour d’aujourd’hui, particulièrement redondant puisque aujourd’hui comporte déjà deux fois l’idée du « jour où nous sommes » (c’est le sens de hui, qui vient du latin hodie), se trouve parfois dans la langue littéraire, chez de fort bons auteurs, et très bien employé, lorsqu’il y a volonté d’insistance, pour bien marquer soit une étroite limite temporelle, soit une immédiate actualité. Ainsi chez Maurice Genevoix : « Une riche plaine bien de chez nous, aussi belle qu’au jour d’aujourd’hui ». On l’emploie souvent avec une nuance de plaisanterie. L’essentiel est de n’en pas abuser, mais en elle-même, cette tournure n’est pas incorrecte.
Pas incorrecte, cette tournure ?
Girodet donne cet avis : À éviter dans la langue soignée et dans un contexte sérieux. Pour Hanse, on insiste sur l'opposition avec le temps passé. Il ne condamne pas. Robert non plus. Larousse pas davantage. Tous le voient comme un pléonasme familier.
Je suis réticent ; même dans la langue familière, voire populaire, il me cause un grand désagrément, et je le range dans la catégorie des pléonasmes vicieux.
J'aimerais savoir quelle impression vous en éprouvez.
Il me semble que l’on peut entendre aujourd’hui dans le sens d’époque ; au jour d’aujourd’hui : à notre époque.

Par ailleurs, chez Lamartine –que donne en exemple Le Robert-, il m’apparaît que l’énoncé précise qu’il s’agit de ce jour-là ; c’est une tournure qui insiste sur ce moment unique : nous n’avons que ce jour-là, celui d’aujourd’hui, et non point un autre

« (…) L'univers est à Lui,
Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui ! »

-LAMARTINE, Méditations
Répondre