Féminisations, encore !

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Andrea
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Message par Andrea »

Un député a été sanctionné pour s'être adressé à la Présidente de Séance par "Madame le président."

Plus ici : http://www.directmatin.fr/politique/201 ... ent-692689
Personnellement, je trouve cela scandaleux. Je ne comprends pas pourquoi on peut arriver à des dérives telles que : "La doctoresse" ou "Une professeure"... C'est une honte.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

La manipulation de la langue (ou l'instrumentalisation, comme ils disent) au service de l'idéologie, sur fond d'opposition politique... Nous étions déjà habitués, avec le bannissement de certains mots, comme aveugle, nain, sourd. Le pouvoir sur les esprits passe par la transformation du vocabulaire.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Perkele
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Message par Perkele »

Vous oubliez le mot "race" JAA, dont l'éviction est censée évincer le racisme.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Vouloir à la fois être député et respectueux de la langue française, quelle idée !
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Quantum mutatus ab illo
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Il est clair que madame le président a eu tort de reprendre le député, et encore plus de vouloir le sanctionner, si l'on tient compte de ces lignes :

« Il convient par ailleurs de distinguer des noms de métiers les termes désignant des fonctions officielles et les titres correspondants. Dans ce cas, les particularités de la personne ne doivent pas empiéter sur le caractère abstrait de la fonction dont elle est investie, mais au contraire s’effacer derrière lui »
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Jacques
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Message par Jacques »

On peut penser qu'il y avait provocation des deux côtés. Madame le président avait tort, selon les recommandations de l'Académie, et ne faisait qu'exciter l'espèce d'insolence ironique du député en le corrigeant. Mais il paraît que c'est écrit dans le règlement de l'Assemblée nationale : les titres doivent être féminisés.
Hormis toute considération politicienne, on peut se demander si cette disposition du règlement de l'Assemblée est légale. C'est peu probable, car j'ai ouï dire qu'en droit français nul ne peut légiférer ni imposer quoi que ce soit en matière de pratiques linguistiques.
Quoi qu'il en soit, nous sommes devant des chipotages qui sont du niveau d'une cour de récréation d'école maternelle. Une femme, qui fut trois fois ministre, a déclaré que quand elle exerçait ces fonctions, elle refusait qu'on l'appelle madame la ministre et voulait qu'on usât uniquement du « madame le ministre ». C'est la subtile différence entre le genre de la personne sexuée et celui de la fonction qui est neutre, selon ce qu'elle explique avec bon sens.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Islwyn a écrit :Une mise au point de l'Académie :
http://www.academie-francaise.fr/actual ... -lacademie
À lire ce document sérieux sur beaucoup de points, je ne sens cependant pas l’Académie française parfaitement à l’aise dans toutes ses démonstrations.

Dans sa conclusion elle s’enorgueillit d’avoir « en quelque sorte libéré l’usage, en laissant rivaliser des formes différentes sans chercher à en proscrire autoritairement aucune, jusqu’à ce que la meilleure l’emporte. » Or, au chapitre 1, après avoir expliqué qu’elle n’entend « nullement rompre avec la tradition de féminisation des noms de métiers et fonctions, qui découle de l’usage même » (artisane et postière, aviatrice et pharmacienne, avocate, bûcheronne, factrice, compositrice, éditrice et exploratrice), elle met sur le même plan professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure et chercheure , sans préciser que professeur, auteur, ingénieur et procureur n’ont traditionnellement pas de féminin, tandis que rectrice et chercheuse sont attestés depuis longtemps, et en oubliant que professeure, auteure et procureure, et quelques autres substantifs comparables, sont de plus en plus validés, précisément, par l’usage et certains dictionnaires. Il est vrai que ledit usage ne change rien à la prononciation de ces mots féminisés, à la différence de ce qui se passe pour facteur donnant factrice, pour pharmacien fournissant pharmacienne… Bizarrement, par ailleurs, l’Académie n’avance pas pour auteur l’argument de son ancien féminin autrice : elle admet simplement que certains (j’en fais partie) préconisent auteure, sur le modèle de professeure.

En légère contradiction avec certaines féminisations déjà acceptées par elle, l’Académie insiste sur le fait que « l’héritage a opté pour le masculin » « pour désigner les qualités communes aux deux sexes ». C’est exact dans bon nombre de cas, mais je trouve que l’on tombe dans l’outrance à affirmer : « En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle ».

Concernant les « fonctions qui sont des mandats publics ou des rôles sociaux distincts de leurs titulaires », je me pose la question de savoir où est la limite entre les substantifs concernés par cela et les autres. Et il est dit « Pour nommer le sujet de droit, indifférent par nature au sexe de l’individu qu’il désigne, il faut se résoudre à utiliser le masculin, le français ne disposant pas de neutre ». Je ne me permettrai pas d’affirmer qu’il s’agit d’une erreur par comparaison avec toutes les langues comportant un neutre, mais il me semble bien que c’en est une pour l’allemand, où je ne connais aucun exemple de substantif neutre désignant une telle fonction. On dit der Präsident (le président), der Minister (le ministre), der Bundeskanzler (le chancelier fédéral), der Anwalt (l’avocat)… au masculin, mais die Präsidentin, die Ministerin, die Bundeskanzlerin, die Anwältin… quand il s’agit de femmes. En Allemagne on dit à Mme MERKEL et à M. GAUCK Frau Bundeskanzlerin d'une part, Herr Bundespräsident de l'autre.
Dernière modification par André (G., R.) le ven. 17 oct. 2014, 14:52, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je veux bien qu'on féminise, mais auteure déroge au principe qui veut que les noms de fonctions en -teur fassent leur féminin en -trice. On doit donc dire autrice, de même qu'amatrice (que j'ai déjà adopté et que j'applique).
Bordas et Larousse (Pièges et difficultés) refusent d'entériner des féminisations de ces deux mots, pourtant bien faciles, et estiment qu'on doit dire une femme auteur et une femme amateur, signalant toutefois des usages québécois bien implantés : une auteur et, plus étrange, une auteur, mais une amatrice.
Pouvez-vous expliquer pourquoi vous préférez le féminin irrégulier auteure à celui, régulier, d'autrice ?
Par ailleurs, je crois que le neutre des langues germaniques n'est pas de même conception que celui du latin (je n'ai pas fait de latin, donc je peux me tromper). En anglais par exemple, il ne sert en toute logique qu'à désigner tout ce qui n'est pas du genre humain*, c'est-à-dire les animaux, les objets, les faits...
Je me demande, finalement, si le choix de « neutre » pour qualifier les professions et fonctions en français ne serait pas inexact, et s'il ne vaudrait pas mieux dire non sexué.

*Islwyn nous dira « à une exception près, qui a récemment soulevé une polémique, à savoir les bateaux, qui sont de genre féminin » :D
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Quand on sait qu'autrice s'est dit et écrit, je comprends qu'auteure fasse difficulté. Mais si je me souviens bien, la période d'usage d'autrice a été brève et elle est très ancienne (seizième siècle). Depuis lors, le mot n'existe officiellement qu'au masculin, comme professeur, proviseur, ingénieur, procureur et quelques autres, à la différence de chercheur et instituteur, entre autres, qui deviennent chercheuse et institutrice au féminin depuis toujours.
La raison principale de mon choix est donc comparable à celle qui me fait accepter professeure. « La prof » a imposé « la professeur » et le problème s'est alors posé de savoir si, précédé de « la », professeur allait conserver sa graphie, typiquement masculine, ou prendre la marque du féminin.
« Madame X est l'auteur de trois romans à succès. » Dans cette phrase l'article défini l' fait oublier provisoirement la difficulté. Mais — et l'on retrouve l'analogie avec professeur — on entend et lit de plus en plus souvent « C'est une auteur à succès ». Essayant d'être logique avec moi-même, je propose que, les mêmes causes entraînant les mêmes effets, on accepte auteure.
Par ailleurs j'ai déjà eu l'occasion de signaler qu'auteure figure dans le Petit Larousse depuis 2008 au plus tard.
Vous avez écrit, Jacques, ci-dessus, des usages québécois bien implantés : une auteur et, plus étrange, une auteur, : une erreur semble s'être glissée dans votre phrase, mais sa nature m'échappe.
Concernant le neutre en anglais, je suis trop faible dans cette langue pour pouvoir en parler. J'ai l'impression toutefois que les différences avec le neutre allemand y sont importantes.
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Jacques
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Message par Jacques »

André (G., R.) a écrit :Vous avez écrit, Jacques, ci-dessus, des usages québécois bien implantés : une auteur et, plus étrange, une auteur, : une erreur semble s'être glissée dans votre phrase, mais sa nature m'échappe.
Je me suis légèrement trompé dans l'interprétation du texte, lu un peu vite. Je reproduis ce que dit le Larousse des difficultés : Toujours masculin, même pour désigner une femme : Marguerite Yourcenar est un grand auteur. Quand on souhaite préciser que l'auteur est une femme, on dit femme auteur, mais on rencontre de plus en plus une auteur ou une auteure. Au Québec, la féminisation une auteure est acquise.
Mais je reviens à votre option ; la féminisation des mots en -teur se fait en -trice : institutrice, cultivatrice, monitrice, directrice... Vouloir remplacer autrice par auteure va contre cette règle.
Pour l'anglais c'est simple : masculin pour les hommes, féminin pour les femmes, neutre pour tout ce qui n'est pas un être humain. En allemand, je ne vois pas de logique à dire der Tisch, der Stuhl, die Wand, das Buch, das Fenster. Table, chaise, mur, livre et fenêtre sont tous neutres en anglais.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

En anglais les genres sont peut-être trop simples ! Il me semble que I am a teacher peut aussi bien signifier Je suis enseignant que Je suis enseignante. En allemand la terminaison -er, comme -eur en français, est caractéristique du masculin. Lorsque, en allemand, on parle de personnages essentiellement féminins, on est à peu près certain de leur genre féminin, de même que le masculin est à peu près garanti pour les personnages masculins. Pour les noms d'objet, comme vous l'indiquez, on peut se demander où est la logique.
Mais notre échange sur le neutre a pour origine la phrase de l'Académie française Pour nommer le sujet de droit, indifférent par nature au sexe de l'individu qu'il désigne, il faut se résoudre à utiliser le masculin, le français ne disposant pas du neutre. Elle sous-entend que dans les langues disposant du neutre on utilise ce genre pour désigner les fonctions qui sont des mandats publics ou des rôles sociaux distincts de leurs titulaires et accessibles aux hommes et aux femmes à égalité, sans considération de leur spécificité. Cela vaut-il en anglais ? J'ai expliqué que je ne vois rien de tel en allemand.
Je ne vais bien entendu pas contester que promouvoir auteure va à l'encontre de la règle qui veut que la féminisation des mots en -teur se fasse en -trice.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

À propos du neutre en anglais : sans être angliciste (non, non, c'est vrai), je crois pouvoir affirmer que sa présence ne se fait sentir que dans l'emploi du pronom (neutre) « it » (possessif « its »), qui n'est d'ailleurs que singulier. Au pluriel, on dit « they » (possessif « their », pronom possessif « theirs »), tout comme pour le pluriel de « he / she ».
Je crois que l'on peut parler de pronoms neutres en français : ce, cela, ceci.
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Jacques
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Message par Jacques »

Islwyn a écrit :Je crois que l'on peut parler de pronoms neutres en français : ce, cela, ceci.
Oui, et il y a aussi le : Je vous le dirai - Il est fatigué, nous le voyons bien.
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Jacques
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Message par Jacques »

André (G., R.) a écrit :En anglais les genres sont peut-être trop simples ! Il me semble que I am a teacher peut aussi bien signifier Je suis enseignant que Je suis enseignante.
Il existe aussi cette ambigüité en français : Je suis interprète, libraire, pédicure, secrétaire, botaniste... Mais elle ne concerne que ceux qui ne changent pas de forme en changeant de genre (j'ai honte : je ne me rappelle pas le terme à utiliser).
Il est vrai, et c'est une facilité de la langue, que la féminisation en -in dans les noms de fonctions allemands, est bien commode et ne laisse pas place à l'ambigüité.
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