Perles d'inculture 4

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Klausinski
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Message par Klausinski »

Je n'ai pas cité tout Girodet, j'aurais peut-être dû. Au passage, on le trouve pour 10 euros et l'achat vaut le coup, même si, la première fois que j'ai eu cet ouvrage entre les mains, j'ai été déçu par le travail d'édition : il y a des coquilles et aucune mise à jour n'a été faite depuis bien longtemps (par exemple, Internet n'existe pas pour Girodet !).

5 Il préfère lire à voir un film. Tour assez rare, d'une correction incertaine. À éviter.

6 Il préfère lire que voir un film ou Il préfère lire que de voir un film. Tour moderne, usuel, admis par de nombreux écrivains, mais critiqué par les grammairiens. Dans la langue très surveillée, on écrira : Il préfère lire plutôt que de voir un film, ou mieux encore, il aime mieux lire que voir (ou que de voir) un film […].

7 Préférer que, suivi du subjonctif. On ne peut avoir deux que à la suite, par exemple : Je préfère qu'il nous dise la vérité *que que la situation reste équivoque. Il faut donc tourner autrement: Je préfère qu'il nous dise la vérité plutôt que de voir la situation rester équivoque ou bien Je préfère qu'il nous dise la vérité plutôt que si la situation restait équivoque.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

On trouve une liste complète des coquilles du Girodet grâce au patient relevé de Bruno Dewaele :
http://www.parmotsetparvaux.fr/cside/comp188.html
Je ne saurais trop conseiller d'imprimer cette page et de la glisser dans votre exemplaire Bordas.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Merci beaucoup à vous deux.
Je constate que Girodet n'explique pas vraiment pourquoi il faut éviter « Il préfère lire à voir un film ». « Tour assez rare » rend bien compte d'une réalité, mais « d'une correction incertaine » me laisse sur ma faim et la formulation semble bien prudente.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

La raison semble être que c'est un tour récent. Colin observe que Littré ne la mentionne pas et il précise que Montherlant l'emploie souvent. Hanse dit que c'est rare et littéraire.
Objectivement, la construction n'est pas mauvaise en soi, mais les grammairiens traditionalistes voient d'un mauvais œil une tournure dont les écrivains classiques ont su se passer en employant d'autres tournures.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Klausinski a écrit :Je préfère qu'il nous dise la vérité plutôt que si la situation restait équivoque.
J'ai failli sauter au plafond en lisant cette phrase tout à l'heure. Une deuxième lecture toute récente provoque chez moi la même incrédulité.

Une subordonnée est liée à une principale, fournie ou sous-entendue. De quelle principale dépend donc « si la situation restait équivoque » ?

« À vélo j'ai trouvé ce parcours plus agréable que si je l'avais fait en voiture » se dit tout à fait, et l'on a bien une subordonnée de condition comme deuxième élément de la comparaison, mais la phrase est un raccourci de « À vélo j'ai trouvé ce parcours plus agréable que je l'aurais trouvé si je l'avais fait en voiture ». Rien de comparable, sauf erreur, dans la phrase de Girodet.

Je cherche quel inconvénient il y aurait à transformer cette dernière de la sorte : J'aime mieux qu'il nous dise la vérité que de voir la situation rester équivoque.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Votre dernière proposition me paraît beaucoup plus élégante que la phrase de Girodet.

Dans celle-ci, le "si" ne m'a toutefois pas fait sauter au plafond. C'est le même, semble-t-il, que dans "je n'aimerais pas si la situation restait équivoque", bien qu'il s'analyse plus difficilement en raison du caractère elliptique de la phrase. Le tour est lourd et je ne sais pas s'il est très classique. Ni Littré ni le TLF ne semblent le connaître. J'en relève cependant un exemple assez proche de 1837 : « Je crois être cent fois plus utile à la religion, en poursuivant un évêque sans foi et dilapidateur des biens de l'église, plutôt que si j'étais dans une paroisse occupé à baptiser et à faire le catéchisme à des enfans. »

Dans « À vélo j'ai trouvé ce parcours plus agréable que si je l'avais fait en voiture », je suis gêné par le placement en tête de "à vélo", qui pour moi semble annoncer qu'il s'appliquera à toute la phrase, ce que contredit la fin de la phrase. Je préfère « J'ai trouvé ce parcours plus agréable à vélo que si je l'avais fait en voiture ».
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :Dans « À vélo j'ai trouvé ce parcours plus agréable que si je l'avais fait en voiture », je suis gêné par le placement en tête de "à vélo", qui pour moi semble annoncer qu'il s'appliquera à toute la phrase, ce que contredit la fin de la phrase. Je préfère « J'ai trouvé ce parcours plus agréable à vélo que si je l'avais fait en voiture ».
Il m'a semblé que « à vélo » aurait concerné l'ensemble de la phrase si je l'avais formulée ainsi : J'ai trouvé ce parcours à vélo plus agréable que si je l'avais fait en voiture ; « l' » remplacerait alors « ce parcours à vélo » et entraînerait l'idée que l'on pourrait faire en voiture un parcours à vélo !

Dans « Je préfère qu'il nous dise la vérité plutôt que si la situation restait équivoque », ce n'est pas « si » qui a failli me faire sauter au plafond, mais « je préfère que... plutôt que si... »
« Je crois être cent fois plus utile à la religion, en poursuivant un évêque sans foi et dilapidateur des biens de l'église, plutôt que si j'étais dans une paroisse occupé à baptiser et à faire le catéchisme à des enfans » : là, à l'exception de « plutôt » peut-être, rien ne me gêne, la subordonnée de condition « si j'étais dans une paroisse... » dépend d'un groupe verbal sous-entendu (être utile) fourni auparavant, on peut la compléter ainsi :

Je crois être cent fois plus utile à la religion, en poursuivant un évêque sans foi et dilapidateur des biens de l'église, (plutôt) que je le serais si j'étais dans une paroisse...

En résumé : dans l'exemple de Girodet, le verbe préférer ne saurait jouer le rôle du groupe être utile ci-dessus (ou celui de trouver agréable dans « À vélo j'ai trouvé ce parcours plus agréable que [je l'aurais trouvé] si je l'avais fait en voiture »).
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Klausinski
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Message par Klausinski »

J'étais sûr que cette dernière phrase vous ferait réagir. Je la trouve inusuelle, moi aussi, et c'est plutôt à propos de celle-ci que je parlerais de « correction incertaine ». Pourtant Le bon usage relève lui aussi ce genre de construction, après avoir évoqué l'impossibilité de placer deux « que » à la suite :
Le que corrélatif est parfois remplacé par si (langue littéraire) : Il vaut mieux tuer le diable que si le diable nous tue (prov. cité dans Stendhal, Chartr., VI). — Je me veux voir pendre / Plutôt que si ma main de sa nuque approchait (Musset, Prem. poés., Marrons du feu, v). — Il vaut mieux que ton mari fasse des choses grandes et puissantes sous la protection de l’Indien, que si, par exemple, il s’en allait à la guerre ( Gobineau, Nouvelles asiatiques, p. 109). — J’aimerais mieux la tuer que si on devait lui donner des coups de pied (Toulet, Mon amie Nane, vi). — J’aime mieux mourir que si vous deviez y mourir ( L. Foulet, glossaire de la 1re contin. de Perceval, p. 12) (chapitre 1079).
La tournure est donc inusuelle, mais admise, et même considérée comme littéraire.
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Message par Klausinski »

Leclerc92 a écrit :On trouve une liste complète des coquilles du Girodet grâce au patient relevé de Bruno Dewaele :
http://www.parmotsetparvaux.fr/cside/comp188.html
Je ne saurais trop conseiller d'imprimer cette page et de la glisser dans votre exemplaire Bordas.
Ah oui, Bruno Dewaele a un œil remarquable. Il finit son énumération par « etc. » et, en effet, j'ai relevé des coquilles différentes. La première qui m'ait frappé, quelques minutes après avoir reçu l'ouvrage, se trouve à l'entrée sur le vin (p. 958) :
« Avec une minuscule : du bourgogne, du Champagne »…
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Ne peut-on comprendre « Je préfère qu'il nous dise la vérité plutôt que si la situation restait équivoque » comme « Je préfère (= j'aime mieux) qu'il nous dise la vérité plutôt que [je n'aimerais] si la situation restait équivoque » ?
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Comment analyseriez-vous : « Il vaut mieux tuer le diable que si le diable nous tue ». Comme ici ? Je n'y comprends goutte. Pour ma part, je laisse les interprétations à de plus savants que moi.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je ne me vois guère analyser cela, je chercherais en vain le verbe dont dépend la subordonnée de condition « si le diable nous tue ».
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :Ne peut-on comprendre « Je préfère qu'il nous dise la vérité plutôt que si la situation restait équivoque » comme « Je préfère (= j'aime mieux) qu'il nous dise la vérité plutôt que [je n'aimerais] si la situation restait équivoque » ?
Toute ma gêne est là : pour justifier la subordonnée de condition, on est obligé de remplacer préférer par aimer. Toutefois, même avec aimer je trouve la phrase seulement moins bancale.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Une toute petite précision : par souci de simplification, je n'ai guère parlé ci-dessus que d'une subordonnée dépendant d'une principale. Il existe évidemment des subordonnées complétant d'autres subordonnées (Mon voisin m'a dit qu'il s'achèterait une voiture s'il gagnait le gros lot).
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

André (G., R.) a écrit :Toute ma gêne est là : pour justifier la subordonnée de condition, on est obligé de remplacer préférer par aimer.
C'est une longue tradition de calque entre les constructions de préférer et aimer mieux. Ainsi, les grammairiens Knud Togeby, ‎Magnus Berg, ‎ et Ghani Merad écrivent dans leur Grammaire française, volume 3 :
Mais, sous l'influence de son synonyme aimer mieux, on construit aussi préférer avec un que comparatif: Je préfère les avoir avec moi que contre moi (Express 8-11-65, 36) ils préfèrent s'écouter qu'écouter (Merle, Hommes 7).
De même, Colin écrit : « Aujourd'hui, on construit de plus en plus préférer avec deux infinitifs par analogie avec la locution aimer mieux, qui se fait suivre normalement du simple que [...]. »
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