Vocabulaire de la normalité

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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

IL est amusant de constater que verdeur peut qualifier la « Fraîcheur éclatante et insolente de la jeunesse, charme de la spontanéité et de la fougue juvéniles. » ou bien s'appliquer aux personnes âgées « Qualité de celui qui a (conservé) beaucoup d'allant, d'énergie physique. »
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile, et la main bonne ;
Mais ores j'ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.
Ronsard « Quand je suis vingt ou trente mois », Odes de 1550, IV ix. Mais il y a ici une certaine licence poétique, le poète n'ayant qu'environ 26 ans à ce moment-là.
Quantum mutatus ab illo
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je crois, Claude, que Mes jeunes années, qui date de 1950, a le don d'éveiller la nostalgie chez les plus... d'un certain âge, dont je suis. La chanson fait partie du patrimoine français de manière si évidente que je me demande parfois si je suis en droit, à son sujet, de me poser la question de la création artistique. Écouter du CHOPIN me rend pareillement songeur à l'idée que le compositeur a sorti du néant ce qui touche aussi profondément.
En nos vertes années, Islwyn, a été l'un de mes premiers enregistrements pour le compte des Bibliothèques sonores et m'a demandé un gros effort, du fait de sa longueur, d'un langage reprenant parfois celui de l'époque et des nombreux intervenants auxquels je devais prêter des voix différentes. Je crois bien avoir enregistré toute la série Fortune de France, pour laquelle chaque ouvrage demande une bonne vingtaine d'heures d'écoute, donc une quarantaine d'heures de travail d'enregistrement.
Peut-être la verdeur des personnes d'un certain âge, Leclerc92, est-elle relevée soit par ceux qui veulent les complimenter d'être restées jeunes de manière générale, soit par ceux en particulier qui pensent aux hommes demeurés entreprenants avec les femmes.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

André (G., R.) a écrit :En nos vertes années, Islwyn, a été l'un de mes premiers enregistrements pour le compte des Bibliothèques sonores et m'a demandé un gros effort, du fait de sa longueur, d'un langage reprenant parfois celui de l'époque et des nombreux intervenants auxquels je devais prêter des voix différentes. Je crois bien avoir enregistré toute la série Fortune de France, pour laquelle chaque ouvrage demande une bonne vingtaine d'heures d'écoute, donc une quarantaine d'heures de travail d'enregistrement.
Cela ne m'étonne pas ! Il y a treize volumes dans la série, chacun d'environ 500 pages. Je les ai lus tous avec beaucoup de plaisir, pour leur évocation d'une époque qui, pour être bien connue, ne l'est souvent pas au niveau de la vie quotidienne, et pour la saveur de la langue que Robert Merle savait manier de façon géniale. Hélas, la série reste à jamais inachevée.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Me voilà devenu... plus royaliste que le roi ! Je n'ai pas enregistré les treize volumes, mais seulement la première partie de la série, qui en compte six (Fortune de France, qui a donné son nom à l'ensemble, La Pique du jour, La violente amour, Le Prince que voilà, Paris ma bonne ville et En nos vertes années).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Islwyn, le splendide poème de RONSARD, en rien étranger aux derniers développements de ce fil, mérite, je crois, qu'on le cite dans son intégrité.

Quand je suis vingt ou trente mois

Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d'un remords et d'un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres et aux ondes.

Rochers, bien que soyez âgés
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ni d'état ni de forme ;
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit,
De jeune en vieillard me transforme.

Bois, bien que perdiez tous les ans
En l'hiver vos cheveux plaisants,
L'an d'après qui se renouvelle,
Renouvelle aussi votre chef ;
Mais le mien ne peut derechef
R'avoir sa perruque nouvelle.

Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile, et la main bonne ;
Mais ores j'ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.

Ondes, sans fin vous promenez
Et vous menez et ramenez
Vos flots d'un cours qui ne séjourne ;
Et moi sans faire long séjour
Je m'en vais, de nuit et de jour,
Au lieu d'où plus on ne retourne.

Si est-ce que je ne voudrois
Avoir été rocher ou bois
Pour avoir la peau plus épaisse,
Et vaincre le temps emplumé ;
Car ainsi dur je n'eusse aimé
Toi qui m'as fait vieillir, Maîtresse.

Pierre de RONSARD (1524-1585)

Dans une autre version, le dernier mot n'est pas Maîtresse, mais Cassandre. Cependant c'est bien le poème commençant par « Mignonne, allons voir si la rose » qui est connu sous le nom d'Ode à Cassandre.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Heureuse idée de citer in extenso ce poème, où Ronsard excelle.
Cette ode, publiée pour la première fois en 1550, précède le « cycle de Cassandre » qui fait tout le fond des Amours de 1552, et c'est à cet « amour » que Ronsard la rattache ultérieurement. Les variantes textuelles chez notre poète sont déjà le sujet de bien des études savantes. Ici, si l'ode s'adresse plus tard à Cassandre Salviati, c'est pour étoffer la « fable » qu'il a écrite autour d'elle.
Rappelons que les très beaux sonnets « sur la mort de Marie », publiés conjointement en 1578 avec les poèmes (Continuation des Amours, Nouvelle Continuation des Amours) que Ronsard avait déjà consacrés à la belle Angevine en 1555-1556, sont censés se rattacher à la célébration de la même personne, et c'est ce qu'on a cru jusqu'au début du XXe. Nous savons depuis lors que la Marie qui fait l'objet des poèmes « sur la mort de Marie » n'est pas la paysanne angevine mais une maîtresse bien-aimée, morte en 1573, de celui qui deviendra Henri III.
Si vous trouvez que « j'en fais trop », dites-le-moi. Ayant longtemps été spécialiste de la littérature française du XVI e siècle, je n'ai pu me retenir. :?
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Vous n'en faites sûrement pas trop, à mon goût en tout cas.
Pour la rime, c'est bien sûr « Maîtresse » qui convient comme dernier mot.
Je reviens sur ce passage :
Mais ores j'ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.

Je suppose qu'il faut comprendre approximativement « Mais maintenant mon corps et mes genoux sont plus raides que le mur... » ?
RONSARD nomme sans doute « antre » ce qu'on appellerait « grotte » aujourd'hui ?
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Histoire de grotte.
Il y a quelques années ma femme et moi circulions en voiture en Crète et savions qu'il y avait une grotte (σπηλιά, spiliá, en grec, auquel est apparenté notre « spéléologie ») à visiter sur notre itinéraire. Nous nous arrêtons dans un paysage un peu accidenté devant une taverne, mais elle est fermée. À sa proximité nous voyons un panonceau avec l'inscription « Cave » et reprenons notre route. Au retour, en fin de journée, nous repassons devant la taverne et le panonceau et reparlons de la grotte que nous avons ratée. L'idée me vient alors que le mot sur le panonceau doit être anglais, et non français, comme je l'ai pensé naïvement ! Et qu'il désigne... une grotte dans votre langue, Islwyn ! Malgré mes très faibles connaissances en grec, nous n'aurions peut-être pas connu ce petit désagrément si « σπηλιά » avait figuré sur le panonceau à côté de sa traduction anglaise.
Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

André (G., R.) a écrit :Pour la rime, c'est bien sûr « Maîtresse » qui convient comme dernier mot.
Mais dans les versions avec Cassandre, on change la rime, naturellement :
Si est-ce que je ne voudrois
Avoir été ni roc, ni bois,
Antre ni onde pour défendre
Mon corps contre l'âge emplumé,
Car ainsi dur je n'eusse aimé
Toi qui m'as fait vieillir, Cassandre!

https://archive.org/stream/ronsard00jus ... 4/mode/2up
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Oui, oui, « antre » = « grotte » = angl. « cave »*. Et votre interprétation des vers cités est la bonne. Je n'ai pas fait les recherches nécessaires, mais il va de soi qu'en changeant « Maîtresse », seconde rime d'un couplet de rimes embrassées, en « Cassandre », Ronsard dut changer en même temps la première de ces rimes, d'où « défendre ».
*La cave d'un ami français se trouve justement dans un sous-sol qui n'est autre qu'une grotte, qu'il appelle son « antre » !
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Merci, messieurs. Ce genre d'échange met du baume au cœur ! Mais c'est souvent le cas sur FNBL !
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

André, vous avez pensé à baume, ou est-ce un hasard ?
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Les définitions de « baume », auxquelles votre lien donne accès, me paraissent exhaustives. Mais je ne comprends pas votre question. Souhaitez-vous savoir pourquoi j'ai employé l'expression « mettre du baume au cœur » ? Je dois dire qu'elle m'est venue assez spontanément à l'esprit.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

C'est le rapprochement avec la grotte d'Islwyn qui a suscité mon interrogation.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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