Une règle artificielle

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Marco
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Une règle artificielle

Message par Marco »

Je lis dans mon Bescherelle (édition 1997, La syntaxe du verbe) :
Des règles peu respectées

Même dans les cas où l’accord en genre apparaît à l’oral, on observe fréquemment, dans la langue contemporaine, que les règles n’en sont pas observées, notamment pour l’accord du participe passé avec un complément d’objet direct antéposé. On entend très souvent : *les règles que nous avons enfreint ou *les fautes que nous avons commis, au lieu des formes régulières enfreintes et commises.

Une règle artificielle

La règle de l’accord du participe passé avec le complément d’objet direct antéposé est l’une des plus artificielles de la langue française. On peut en dater avec précision l’introduction ; c’est le poète Clément Marot qui l’a formulée en 1538. Marot prenait pour exemple la langue italienne, qui a, depuis, partiellement renoncé à cette règle.

Un problème politique ?

Il s’en est fallu de peu que la règle instituée par Marot ne fût abolie par le pouvoir politique. En 1900, un ministre de l’Instruction publique courageux, Georges Leygues, publia un arrêté qui « tolérait » l’absence d’accord. Mais la pression de l’Académie fut telle que le ministre fut obligé de remplacer son arrêté par un autre texte qui, publié en 1901, supprime la tolérance de l’absence d’accord, sauf dans le cas où le participe est suivi d’un infinitif ou d’un participe présent ou passé : les cochons sauvages que l’on a trouvé ou trouvés errant dans les bois.
J’ignorais que la règle générale avec ‘avoir’ avait été carrément inventée… Pour ce qui est de l’italien, ce n’est pas tout à fait exact : s’il est vrai que par le passé l’accord était fréquent lorsque le COD précède, il est aussi vrai que cela n’a jamais vraiment constitué une règle rigide : il s’accordait aussi lorsque le COD était placé après (il a toujours régné une grande liberté en la matière). Quant à aujourd’hui, l’accord avec le COD antéposé est extrêmement littéraire, pour ne pas dire suranné.

Ces gens qui inventèrent certaines règles eussent mieux fait de se taire et de laisser l’usage se régler tout seul, en énonçant une norme qui fût le fruit réel de la tendance évolutive de la langue.
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Jacques
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Message par Jacques »

Voilà une découverte très étonnante. À une époque, on a voulu, sous prétexte de précision, affiner à l'extrême ; je crois que c'était au XVIIIe mais c'est sans garantie. D'où l'abondance de règles et de leurs inévitables exceptions. Remarquez bien que c'est typiquement français : la France est, paraît-il, le pays du monde où il y a le plus de lois. On a fait pareil avec la langue, et voilà où nous en sommes : un fouillis de casse-tête. Et sur certains points les spécialistes ne sont pas d'accord et donnent des versions différentes.
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Brazilian dude
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Message par Brazilian dude »

La même hésitation de l'accord du participe passe se trouve parfois en catalan: Les cartes que he escrites ou Les cartes que he escrit (Les lettres que j'ai écrites). Il est possible que l'espagnol (Las cartas que he escrito) avec son invariabilité du participle passé dans telles constructions influence l'usage chaque fois plus fréquent au masculin.
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Jacques
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Message par Jacques »

Brazilian dude a écrit :La même hésitation de l'accord du participe passe se trouve parfois en catalan: Les cartes que he escrites ou Les cartes que he escrit (Les lettres que j'ai écrites). Il est possible que l'espagnol (Las cartas que he escrito) avec son invariabilité du participle passé dans telles constructions influence l'usage chaque fois plus fréquent au masculin.
L'invariabilité du participe passé en anglais ne gêne pas la compréhension de la langue. Autant que je me rappelle, en allemand c'est invariable aussi. Donc tous ces accords ne sont pas indispensables.
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abgech
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Message par abgech »

Ah, que j'en veux à Clément Marot !
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Jacques
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Message par Jacques »

abgech a écrit :Ah, que j'en veux à Clément Marot !
Vous pouvez !
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Perkele
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Message par Perkele »

Pour ma part, j'ai l'impression d'entendre une différence entre :

- elle a ouvert les portes

- les portes qu'elles à ouvertes

J'y trouve un sens, pas seulement l'application d'une règle de grammaire.

Veuillez m'en excuser.
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Marco
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Message par Marco »

Pourriez-vous délabyrinther votre pensée ? :D Quel est ce sens caché que vous trouvez là ? :)
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Perkele
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Message par Perkele »

Je ne sais pas... c'est... au flair :oops: Je l'entends.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je crois qu'il y a un malentendu : le débat porte sur la nécessité d'accorder ou non le participe passé avec un COD antéposé. Ce qui signifie que, pour le cas des portes, dans l'état actuel des choses nous avons les portes qu'on a ouvertes ; dans d'autres langues on a : les portes qu'on a ouvert. L'accord, tel qu'on le pratique en français, n'apparaît pas comme une nécessité pour la compréhension de la phrase, mais comme une élégance grammaticale superflue.
Dernière modification par Jacques le sam. 11 oct. 2008, 10:27, modifié 1 fois.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Perkele
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Message par Perkele »

J'y trouve une nécessité parce que cela me paraît évident au point de vue sens et non par élégance, mais je ne saurais l'expliquer logiquement. :oops:
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Marco
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Message par Marco »

Perkele a écrit :J'y trouve une nécessité parce que cela me paraît évident au point de vue sens et non par élégance, mais je ne saurais l'expliquer logiquement. :oops:
J’ai tout compris : vous êtes tombée amoureuse de Clément. ;) Et… le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. :D
codrila

Message par codrila »

L'invariabilité du participe passé en anglais ne gêne pas la compréhension de la langue. Autant que je me rappelle, en allemand c'est invariable aussi. Donc tous ces accords ne sont pas indispensables.
En suivant ce raisonnement , nous risquerions de renoncer à bien d'autres règles qui n'existent pas dans d'autres langues .

Pour exemple: l'attribut , en langue allemande , est invariable. Nulle différence entre: il est grand , elle est grande, ils sont grands, elles sont grandes. L'adjectif restera groß : la phrase ne pose pourtant aucun problème de compréhension aux germanophones.

En anglais , on ne conjugue pas les verbes au présent ( sauf la 3 ème personne du singulier). I read, you read, we read, they read. Là non plus, il ne semble pas y avoir de confusion pour les anglophones .

Il me semble que chaque langue est le produit de son histoire et que ce qui vaut pour l'une n'est pas systématiquement valable pour l'autre .

Je reviens à cette règle de l'accord du participe passé avec le COD antéposé.

Grevisse en fait l'historique, avec quelques précisions,paragraphe 943 de la 14 ème édition :
" en ancien français, l'accord du participe passé pouvait se faire avec l'objet direct, précédant ou non: ESCRITES ou ESCRIT ai letres; Letres ai ESCRITES ou ESCRIT.

Cependant lorsque l'objet direct était inséré entre l'auxiliaire et le participe, l'accord avait presque toujours lieu: Ai letres ESCRITES.

au XVI ème s., Marot, père de la règle actuelle, enseignait "à ses disciples":

"Nostre langue a ceste façon,/ que le terme qui va devant/ voluntiers regist le suyvant/ Les vieux exemples je suyvray/ Pour le mieux: car, à dire vray,/ La chanson fut bien ordonnée/ qui dit : M'amour vous ay DONNEE / Et du bateau est éstonné ( amour était alors ordinairement féminin , Grevisse) ) / Qui dit: M'amour vous y ai donné / Voyla la force que possède/ Le féminin quand il précède."
Le comprenez-vous comme moi? Marot justifie cette règle en se référant à l'usage ancien de la langue française . Il prétend entériner ce qui était déjà , d'après lui, constitutif de la langue française .

Dans l'historique de Grevisse suivent l'apport de Vaugelas à cette règle, puis les discussions des grammairiens du XVIIIème s. .
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Marco
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Message par Marco »

Merci, Codrila, pour ces précisions. Vous conviendrez tout de même que l’ancien français, dans sa physionomie anarchique (rien que la liberté orthographique et grammaticale), est une base assez fragile sur laquelle fonder la norme actuelle.

Ce que vous dites au sujet des adjectifs est tout à fait pertinent, mais n’oublions pas que le participe passé conjugué avec l’auxiliaire ‘avoir’ est indissoluble de celui-ci, forme avec lui un tout (et n’a donc pas valeur d’adjectif, mais de verbe), et si la règle n’avait pas été énoncée, acceptée et transmise à la postérité, rien n’aurait empêché que l’on puisse aujourd’hui considérer comme invariable le participe passé avec ‘avoir’ (comme un syntagme fossilisé). Nous aurions eu alors une règle sublimement simple : le participe passé conjugué avec ‘avoir’ ne s’accorde jamais. :D

Mais vous nous ramenez à la raison : on ne refait pas l’histoire…
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Perkele
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Message par Perkele »

Marco a écrit :
Perkele a écrit :J'y trouve une nécessité parce que cela me paraît évident au point de vue sens et non par élégance, mais je ne saurais l'expliquer logiquement. :oops:
J’ai tout compris : vous êtes tombée amoureuse de Clément. ;) Et… le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. :D
Ce doit être cela... :mrgreen:
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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